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Liban - Reportage

Le père de Mohammad Hamiyé : L’État est responsable de la mort de mon fils

À Taraya, village exclusivement chiite du caza de Baalbeck, la famille du soldat Mohammad Hamiyé, exécuté par le Front al-Nosra, reçoit depuis samedi les condoléances.

Mohammad Hamiyé, 22 ans, était l’aîné d’une famille de quatre enfants.

Samedi, un troisième soldat est venu s'ajouter à la liste des militaires exécutés par les groupes fondamentalistes qui se trouvent dans le jurd de Ersal. Après Ali Sayyed et Abbas Medlej, décapités par des miliciens de l'État islamique, Mohammad Hamiyé a été exécuté par balle vendredi par le Front al-Nosra, sous les yeux de son camarade, Ali Bazzal, qui a exhorté sa famille à agir sinon il subirait le même sort.

Le Front al-Nosra avait rendu publique, samedi, une vidéo de l'exécution de Hamiyé et des propos tenus par Bazzal, avant qu'il n'éclate en sanglots.

La famille de Mohammad Hamiyé recevait, hier, les condoléances à Taraya dans le caza de Baalbeck. La maison où les femmes recevaient les condoléances et la grande tente dressée dans le jardin à l'intention des hommes étaient noires de monde. Il y avait des députés de la région, de hauts responsables du Hezbollah, une délégation de l'armée constituée de jeunes officiers, des représentants des tribus des villages voisins, des notables de la région dont une importante délégation de Deir el-Ahmar, localité exclusivement maronite de la Békaa.

(Lire aussi : Raï présente ses condoléances aux proches des soldats tués et invite à l’élection immédiate d’un président)

Le père du soldat exécuté, Maarouf Hamiyé, à réitéré à L'Orient-Le Jour ce qu'il avait annoncé la veille dans un communiqué publié après qu'il a appris l'exécution de son fils. Il tient « l'État pour responsable de la mort de Mohammad ». Selon lui, « le gouvernement aurait dû laisser l'armée agir pleinement à Ersal et gérer différemment le dossier des otages. Oui, il avait souhaité au début de la prise d'otages que le gouvernement négocie avec les jihadistes. Plus maintenant ».

Maarouf Hamiyé a la sagesse des gens simples, de ceux qui croient à la Providence et au destin. À la question de savoir s'il pense que tous les soldats enlevés à Ersal seront exécutés, il indique : « Dieu seul le sait... Si leur destin est de vivre, ils vivront. » « Je suis fier de mon fils. Il est mort pour le Liban », ajoute-t-il, probablement pour se donner courage.

Maarouf Hamiyé parle de Mohammad, son aîné, âgé de 22 ans : « Un garçon simple et généreux, qui avait tout le temps le sourire aux lèvres. » Le père avait rendu visite aux otages libérés, les camarades d'armes de Mohammad. « Ils m'ont dit que mon fils était toujours souriant, qu'il leur donnait courage, qu'il leur disait de tenir bon, qu'il avait le moral... »
Interrogé sur les conditions de détention des soldats et des policiers pris en otage le 3 août dernier, le quadragénaire préfère ne pas en parler à la presse, affirmant que les camarades de son fils ne lui avaient rien dit.

(Lire aussi : Joumblatt : D’accord pour un échange, à certaines conditions)

Plus de 500 hommes au sein de l'armée

Samedi, Maarouf Hamiyé avait lancé un appel au calme dans le village, notant que « les Syriens sont nos frères. Personne ne doit venger la mort de mon fils en s'en prenant à des ouvriers et des réfugiés syriens. Les sunnites sont nos frères et les habitants de Ersal aussi, à part le président du conseil municipal Ali Hojeiri, et cheikh Moustapha Hojeiri alias Abou Ta'iyyé ».
C'est que le matin même, les deux hommes originaires de Ersal avec qui la famille du soldat exécuté était en contact depuis l'enlèvement du 3 août leur avaient affirmé au téléphone que Mohammad était en bonne santé, garantissant même sa sécurité pour les jours à venir. Mais selon ses proches, Mohammad avait déjà été tué et la vidéo de son exécution commençait déjà à circuler sur les médias sociaux.

Ersal, localité exclusivement sunnite du caza de Baalbeck, et Taraya, localité exclusivement chiite du même caza, ont toujours eu des relations de bon voisinage... Jusqu'à la guerre en Syrie ; jusqu'à l'arrivée d'opposants syriens dans un premier temps et de miliciens fondamentalistes ensuite dans le jurd de Ersal et jusqu'au départ de miliciens du Hezbollah des villages chiites vers la Syrie pour soutenir le président syrien Bachar el-Assad...

Parmi ses 12 000 habitants, Taraya compte plus de 500 hommes dans les rangs de l'armée. Comme tous les villages chiites de la Békaa, Taraya arbore les drapeaux jaunes du Hezbollah. Sa municipalité compte 15 membres, dont 7 – presque la moitié – appartiennent au mouvement Amal.
Ici, les hommes du village comptent leurs camarades tombés au combat. Ils ne font pas la différence entre ceux qui font partie de l'armée ou du Hezbollah.

(Lire aussi : L'armée réaffirme son droit d'utiliser « tous les moyens » pour combattre les terroristes)

Un cousin de Mohammad Hamiyé, un soldat âgé de 20 ans, montre les portraits de ces hommes sur l'écran de son téléphone portable : « Quatre sont morts en Syrie dans les rangs du Hezbollah, un à Nahr el-Bared avec l'armée libanaise en 2007, un à Ersal lors des combats d'août dernier et maintenant c'est Mohammad qui vient d'être exécuté », dit-il.
Ce cousin, comme nombre de personnes présentes aux condoléances hier, veut que tous les fondamentalistes emprisonnés à Roumieh soient exécutés.

Comme beaucoup d'autres, il rêve que l'armée intervienne à Ersal, qu'elle livre un combat avec les jihadistes et que l'on en finisse. Tout comme le père du soldat exécuté, il estime que le gouvernement empêche la troupe de faire son travail et d'intervenir auprès des terroristes.

Hassan, un autre cousin de Mohammad, souhaite voir un jour « une armée forte, capable de protéger le territoire libanais et les citoyens du pays, capable au moins de se défendre. Une troupe que l'on envoie sur le terrain avec des armes et des munitions, des vraies ».

« Il aurait fallu nous laisser sans espoir »

C'est le même son de cloche que l'on entend auprès des femmes qui reçoivent les condoléances. Beaucoup portent le tchador iranien, mais pas la mère, les deux sœurs ou les tantes du soldat exécuté.
Chaml, la mère de Mohammad Hamiyé, est assise à l'entrée de la maison. Ses larmes coulent en silence. Elle balbutie quelques mots inaudibles pour remercier les personnes venues présenter leurs condoléances. Elle semble absente, indifférente aux cris des femmes qui conspuent : « Qatar et l'Arabie saoudite, ces pays du Golfe qui financent les jihadistes. »

(Lire aussi : Le Hezbollah et Amal réitèrent leur rejet de tout échange pour libérer les militaires retenus en otage)

Imane, la sœur du soldat exécuté, raconte entre deux sanglots : « Mon frère n'a pas eu encore 22 ans. Il a rejoint l'armée parce que l'agriculture et le travail des champs ne nous suffisent pas pour vivre dignement. Si nous avions de l'argent, mon frère ne serait jamais mort. Avant de rejoindre la troupe, il avait les mains rugueuses tellement il travaillait la terre. Je voulais que ses mains deviennent lisses. »
Imane a vu son frère pour la dernière fois le 2 août dernier. Il avait une permission. Le 3 août, il a été pris en otage. « Tous les quatre jours, il rentrait à la maison pour repartir. Il n'était pas depuis longtemps à Ersal... Il travaillait au Liban-Sud, jusqu'à son transfert dans la localité au début de juin dernier », dit-elle.

La tante maternelle du soldat exécuté se demande : « Pourquoi nous ont-ils donné de l'espoir ? Pourquoi ont-ils gardé les soldats en vie, pour tuer leurs familles à petit feu? Il aurait fallu qu'ils les tuent dès le début. Depuis que Mohammad a été pris en otage, nous comptons les jours, en vain. »
Elle rapporte ce que son neveu racontait, avant son enlèvement, son séjour à Ersal. « Nous avons toujours cru qu'Abou Taiyyé (cheikh Moustapha Hojeiri) protégerait les soldats et les policiers », soupire-t-elle. « Durant le ramadan, presque tous les soirs, selon les propos de Mohammad, il rompait le jeûne avec eux, prenant son repas à la caserne, avec les militaires... Nous étions en contact avec le cheikh et avec le président du conseil municipal de Ersal jusqu'à hier matin. Pourquoi nous ont-ils menti ? Ils ont dit que Mohammad était vivant, alors qu'il avait été exécuté la veille », s'indigne-t-elle.

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Les femmes présentes en veulent « à l'État qui se fiche de l'armée, aux pays du Golfe qui alimentent le terrorisme, à quelques membres de la famille Hojeiri de Ersal qui protègent les jihadistes ».
Une femme du village, habillée d'un tchador, se lève et crie à qui veut l'entendre : « Mes cinq fils servent dans les rangs de l'armée. Deux sont au Liban-Sud, trois dans la Békaa-Ouest. J'ai peur pour eux. » Et d'ajouter, comme si elle avait un pouvoir sur ses enfants, qu'elle veut leur faire changer d'affectation : « Je vais les enlever de l'armée, les mettre chez Hassan Nasrallah (le secrétaire général du Hezbollah). Au moins lui, il tient parole, s'enquiert du sort de ses hommes et respecte le sang de ses martyrs. »

La crise entre l'État et les zones périphériques du pays ne date pas d'aujourd'hui. Les cazas de Baalbeck et du Hermel, par exemple, sont délaissés depuis bien longtemps. C'est une raison parmi tant d'autres qui a permis au Hezbollah de gagner du terrain ; le parti chiite a souvent remplacé l'État avec ses écoles, ses hôpitaux et ses aides sociales... Mais cela est une autre histoire.


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Samedi, un troisième soldat est venu s'ajouter à la liste des militaires exécutés par les groupes fondamentalistes qui se trouvent dans le jurd de Ersal. Après Ali Sayyed et Abbas Medlej, décapités par des miliciens de l'État islamique, Mohammad Hamiyé a été exécuté par balle vendredi par le Front al-Nosra, sous les yeux de son camarade, Ali Bazzal, qui a exhorté sa famille à agir...

commentaires (3)

Avec toute la compassion qu'on pourrait avoir pour ce heros de l'armee libanaise , on ne peut que dire au papa , quand on s'enrole dans cette fiere institution on est conscient des perils lies a la profession , surtout quand la mission est d'eradiquer le salafowahbisme au service d'isrel pays de l'usurpation constitutionnelle .

FRIK-A-FRAK

16 h 20, le 22 septembre 2014

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Commentaires (3)

  • Avec toute la compassion qu'on pourrait avoir pour ce heros de l'armee libanaise , on ne peut que dire au papa , quand on s'enrole dans cette fiere institution on est conscient des perils lies a la profession , surtout quand la mission est d'eradiquer le salafowahbisme au service d'isrel pays de l'usurpation constitutionnelle .

    FRIK-A-FRAK

    16 h 20, le 22 septembre 2014

  • Au lieu de jeter la responsabilité sur l’état et le gouvernement, a la demande expresse de la propagande du Hezbollah semble-t-il, le monsieur Hamiye aurait du plutôt interroger le Hezbollah qui est le principale responsable de la situation. N'est ce pas le parti qui était au pouvoir lorsque la guerre a débuté en Syrie? Pourquoi n'a-t-il pas poussé, a travers son gouvernement, a l’époque, de fermer les frontières? Pourquoi n'ont-ils pas empêcher cette vague de réfugiés nous envahir? Pourquoi le Hezbollah cherche-t-il, a tout prix et par n'importe quels moyens, a discréditer et le gouvernement et l’armée en ce moment difficile? Pourquoi ne laisse-t-il pas les élections se dérouler comme il faut? ... ? Les question sont très nombreuses et celui qui aura vendu son âme au diables, lire ici l'Iran et le régime de Damas, ne peut y répondre que par des mensonges et de la démagogie! Ils votent Hezbollah eh bien ils récoltent ce que celui ci sème, la haine et la violence! Ce qui est triste c'est qu;ils demandent des comptes de tous le monde sauf des responsables! Dans ce cas, ils verront leurs enfants mourir pour n'importe quoi et qui mais surement pas pour le Liban.

    Pierre Hadjigeorgiou

    14 h 09, le 22 septembre 2014

  • Que dire sur ce reportage ? La douleur incommensurable de cette famille du soldat Mohammad Hamiyé est tout à fait compréhensible et même partagée par chaque citoyen. Je me contenterai ici d'ajouter ce qui suit : je suis sûr que toux ceux qui voient la vidéo de l'instant juste avant l'exécution du brave soldat deviennent certains que ces exécuteurs ont une âme de démon et non une âme d'humain.

    Halim Abou Chacra

    06 h 08, le 22 septembre 2014

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