En pleine période de sécheresse, des distributeurs privés s'approvisionnent dans les réservoirs de l'État libanais...

Dans la capitale et dans d'autres régions, les heures d'approvisionnement sont tombées à trois ou même moins. Dans certains quartiers, des témoins nous parlent de robinets secs depuis des jours. Le ballet des camions-citernes est incessant et l'eau, qu'elle provienne de ces distributeurs privés ou de l'Office des eaux, a un taux de salinité de plus en plus prononcé, constatent certains usagers.

Alors que la situation se complique, voilà que le député Mohammad Kabbani, président de la commission parlementaire de l'Énergie, dénonce le fait que certains distributeurs privés s'approvisionnent dans les réservoirs de l'État, censés alimenter les canalisations d'eau. D'autres témoignages de citoyens viennent corroborer ses dires dans diverses régions. Interrogé sur ce sujet, Mohammad Kabbani parle de « deux sociétés de distribution qu'on a vues remplir de l'eau dans le réservoir de l'Office des eaux à Bourj Abi Haïdar (Beyrouth) ».
« L'information m'a été donnée par un citoyen qui en a été témoin, raconte-t-il. J'ai exigé des preuves et il est revenu avec des photos. Quand j'ai montré les photos aux responsables de l'Office des eaux, ceux-ci ont reconnu que ces deux sociétés ont chacune un abonnement de 25 mètres cubes et se servent dans les réservoirs au besoin, ce qui veut dire surtout durant l'été. Je leur ai répondu que cela est inadmissible : pourquoi un abonné, qu'il soit société ou individu, irait-il prélever toute sa part en saison d'étiage, alors que tout le monde manque d'eau ? Et pourquoi se servirait-il directement à la source qui devrait être réservée aux autorités chargées de distribuer l'eau équitablement à tous les abonnés ? »

(Pour mémoire : Les dix commandements pour faire face à la pénurie d'eau de l'été...)

Le député affirme avoir demandé au ministère de l'Intérieur de mandater les Forces de sécurité intérieure (FSI) d'arrêter par la force ces pratiques si elles se poursuivent malgré tout. « Il est injuste que ces distributeurs privés profitent de prix préférentiels pour s'approvisionner en eau et la revendre plus cher à des abonnés qui en sont privés et qui ont déjà payé leur facture initiale, dit-il. J'ai parlé aux FSI hier, pour leur demander de réprimer ces abus. Nous verrons bien. »
Même s'il assure qu'il suit cette affaire de près, M. Kabbani apparaît excédé par le « chaos ambiant qui affecte le dossier très délicat de l'eau ».

Un taux de salinité dix fois supérieur à la normale !
Ce chaos influe aussi sur la qualité de l'eau distribuée aux citoyens, surtout les habitants de la capitale et des environs, qu'elle provienne des citernes ou de l'Office des eaux, selon le député. En effet, dit-il, le pompage de l'eau des puits à l'excès conduit à un taux de salinité supérieur à la normale (ce qui arrive quand le niveau de l'eau du puits devient plus bas que le niveau de la mer, d'où une intrusion saline).
Ce fait nous est confirmé par Kamal Slim, expert en qualité de l'eau, notamment auprès du Conseil national de la recherche scientifique (CNRS), et professeur à l'Université libanaise (UL). Il a testé l'eau qui arrive à son domicile, pour faire une trouvaille troublante. « J'ai décelé dans l'eau entre 500 et 1 000 milligrammes de chlorure par litre d'eau, un taux dû à l'intrusion saline, dit-il. J'y ai trouvé un taux de salinité qui est près de dix fois supérieur à la normale ! »

(Pour mémoire : Protéger la source de Jeïta, c'est protéger plus de 70 % de l'eau de Beyrouth)

Face à la période de sécheresse qui se prolonge (malgré les pluies occasionnelles comme celle d'hier), y a-t-il des solutions d'urgence à envisager ? M. Kabbani souligne qu'il est beaucoup trop tard pour envisager une quelconque solution d'urgence. « La seule chose à faire, et qui a été réalisée, est de creuser des puits dans des régions qui alimentent Beyrouth entre autres, dit-il. Les trois ou quatre nouveaux puits nous donnent 30 000 mètres cubes supplémentaires, pour aider à faire passer cette période problématique. »
Toutefois, le député affirme qu'il aurait fallu appliquer des mesures d'économie de l'eau plus tôt dans l'année. « Nous avions fait une quantité de recommandations, comme celle d'arrêter d'irriguer les cultures maraîchères, rappelle-t-il. Elles sont toutes restées lettre morte. Ce pays part à la dérive. »

Dossier
I- Épuration des eaux usées au Liban : beaucoup de bruit pour si peu de résultats...

II - Dans la station d'épuration de Nabatiyeh, des problèmes bien de chez nous