Depuis l'offensive de l'EIIL en Irak et le sentiment de victoire qui règne dans les milieux islamiques de la région et au Liban, les yeux se tournent de nouveau vers le Liban-Nord, où les extrémistes sont bien implantés. Certaines informations sécuritaires ont même mis l'accent sur des manifestations en faveur de l'EIIL avec des drapeaux brandis fièrement dans certains quartiers de Tripoli. Pour d'autres, l'une des conséquences de la proclamation du califat en Irak sera la déclaration d'allégeance à ce nouveau califat au nord du Liban. Toutefois, si on y regarde de plus près, le paysage est un peu différent.
Les spécialistes du Nord affirment qu'il faut distinguer le Akkar de Tripoli. Si dans la capitale du Nord les courants islamistes sont bien implantés, au Akkar, en dépit de toutes les tentatives et de la proximité de la frontière syrienne, ils n'ont pas vraiment réussi à s'imposer. Dans ce contexte, il est important de relever le fait que pour la première fois, la grande bourgade de Qobeyyate (chrétienne, il faut malheureusement le préciser) organise un festival cet été, auquel des artistes populaires, comme Najwa Karam et Haïfa Wehbé, sont conviés. Cette information est en elle-même une réponse à tous ceux qui craignent une islamisation du Akkar. D'ailleurs, même aux plus forts moments des divisions religieuses, politiques et confessionnelles, aucun incident à caractère communautaire n'a été enregistré, même dans les petits villages chiites du caza ou dans les localités chrétiennes.
Selon les témoignages des habitants, au début du conflit syrien, en 2011, il y a eu une vague d'appréhensions, notamment avec l'afflux de réfugiés et de combattants syriens que certains groupes locaux ont accueillis à bras ouverts. Il y a bien eu une agression contre l'armée et des tentatives de dresser la population contre la troupe, mais elles n'ont pas pu prendre de l'ampleur, la grande majorité de la population du Akkar restant favorable à l'armée. De plus, à mesure que l'armée syrienne renforçait son contrôle sur les régions syriennes de l'autre côté de la frontière avec le Akkar, la sécurité se consolidait dans cette région. D'ailleurs, le déploiement de l'armée syrienne dans le vieux Homs a constitué une sorte de tournant dans le climat politique du Akkar. De moins en moins d'habitants croient encore à l'opposition syrienne, et les appels de Khaled Daher, de cheikh Salem Raféi et d'autres notables aux jeunes à aller combattre en Syrie trouvent de moins en moins d'échos.
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Les habitants du Akkar révèlent à cet égard qu'il y a deux semaines, 45 jeunes Libanais envoyés combattre en Syrie dans la région de Zara, proche de la route qui relie Homs à Tartous, sont tombés dans un guet-apens. Certains sont morts, d'autres ont été blessés et d'autres encore ont été faits prisonniers. Même le chef des combattants libanais envoyés en Syrie, le dénommé Abou Sleimane al-Mouhager, a disparu de la circulation et on ignore s'il est mort ou s'il a été fait prisonnier, ou encore s'il se cache en attendant de pouvoir rentrer chez lui. Ceux qui veulent inciter les jeunes à combattre aux côtés de l'opposition syrienne ont beau démentir ces informations, les habitants savent à quoi s'en tenir et ce sont eux qui les révèlent aux médias. D'ailleurs, le moral des partisans de l'opposition syrienne est au plus bas et les groupes qui sont installés au Akkar ont du mal à s'étendre. Ils restent dans certaines localités, mais ils ne bénéficient plus d'un environnement populaire favorable.
Même le village de Bazbina, dont est originaire Mounzer el-Hassan que les services de sécurité recherchent activement puisqu'il serait l'un des soutiens logistiques des kamikazes, refuse de considérer el-Hassan comme un héros. Certains de ses proches le traitent même devant les journalistes de terroriste. Enfin, les associations islamiques qui donnaient de l'argent aux réfugiés syriens par le biais d'ONG qui relèvent de leur responsabilité sont moins généreuses et les réfugiés syriens deviennent un poids de plus en plus lourd pour les habitants du Akkar. Ce qui creuse encore plus le fossé entre la population et les réfugiés.
En gros, le Akkar reste donc réfractaire aux thèses extrémistes, en raison de sa diversité confessionnelle et religieuse, ainsi qu'à cause de la forte implantation de l'armée et du contrôle de l'armée syrienne de l'autre côté de la frontière.
À quelques kilomètres de là, à Tripoli, l'atmosphère est différente. Alors que le Akkar se prépare pour le festival de Qobeyyate, le chef de la municipalité de Tripoli, Nader Ghazal, interdit la consommation de boissons alcoolisées dans les restaurants de la ville pendant le mois de ramadan. Il faut préciser que lors de son élection à la tête de la municipalité de Tripoli, Nader Ghazal avait été surnommé le « Erdogan de Tripoli » (le Premier ministre turc avait commencé par être le maire d'Istanbul). Ghazal a justifié sa décision par la volonté d'éviter des frictions dans la ville. Ce qui est une reconnaissance du poids des extrémistes dans la capitale du Nord. De plus, après s'être faits discrets pendant la période qui a suivi la formation du gouvernement, cheikh Salem Raféi, Daï al-Islam al-Chahhal et le député Khaled Daher ont repris leurs discours extrémistes notamment contre l'armée et contre le plan de sécurité.
S'il est certain que la grande majorité des habitants de la ville ne partage pas les thèses extrémistes, celles-ci ont quand même des adeptes à Tripoli, notamment en raison de la politique de surenchère populiste adoptée par les principales figures du courant du Futur. Débordé par les figures extrémistes, directement mis en cause par les anciens « chefs des fronts » désormais détenus à Roumié, le courant du Futur peine à contrôler la base. Alors qu'il a passé ces dernières années à combattre l'ancien Premier ministre Nagib Mikati, il se retrouve pris en étau entre la grogne de la population qui lui fait désormais assumer la situation économique désastreuse de la ville et les projets des extrémistes qui veulent faire officiellement de Tripoli leur fief. Certains n'ont rien trouvé de mieux pour sortir de cette impasse que de rallumer la vielle animosité entre les habitants de Tripoli et ceux de Jabal Mohsen, mais le gros de la population ne veut plus d'affrontements, et après avoir vu ce qui est arrivé à « leurs chefs », les jeunes ne sont plus très enthousiastes pour se battre... Mais les divisions restent immenses.
Le Akkar et Tripoli, deux visages du Liban-Nord qui illustrent à merveille la complexité de la situation et l'interdépendance des dossiers locaux et régionaux.
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commentaires (7)
ET SI, MADAME SCARLETTE HADDAD, VOUS NOUS BROSSIEZ UN JOUR LE VRAI VISAGE DE L'ANTI-PÔLE ???
LA LIBRE EXPRESSION
19 h 42, le 14 juillet 2014