Les Arabes. Voilà un collectif glorieux et pathétique. Des peuples capables de toucher le sublime et puis, avec une rapidité presque schizophrénique, se noyer dans le sordide. Des peuples que les dieux chérissent et honnissent avec une facilité déconcertante. Des tribus géniales, mais aussi maîtresses dans l'art de se suicider (civiquement, éthiquement, moralement, politiquement, culturellement, peu importe...). Des tribus qui ont côtoyé le Messie et le Prophète. Des tribus capables aussi de se sacrifier pour la laïcité. Pour des valeurs dites occidentales mais qui sont, qui devraient absolument être compatibles de ce côté-là du globe. De Marrakech à Mascate. Parce qu'il y en a bien plus qu'on ne le pense, qu'on ne voudrait le croire, des Arabes qui rêvent de république(s). Dans sa compréhension la plus athénienne. La plus nécessaire. Avec, à sa tête, un président.
En Algérie, c'est un quasi-fantôme qui vient d'être réélu pour un quatrième mandat avec un score de bananeraie, supérieur aux 80 %. Abdelaziz Bouteflika est une caricature : on dirait un monarque grabataire d'un siècle obscur dont seuls les yeux, un peu exorbités au demeurant, restent vivants et au côté duquel gouverne un régent, en l'occurrence son frère, le tout-puissant Saïd. Les Algériens ont peut-être voté pour la paix et la stabilité comme ils aiment à le répéter, mais cela ne pourrait durer longtemps : trop de choses ne vont plus.
En Égypte, pas très loin, il est un homme qui cracherait sans état d'âme aucun sur ces 421 médailles hystériquement épinglées sur son uniforme de maréchal pour nouer la cravate comme Sadate ou Moubarak. Et même comme Morsi. Abdelfattah el-Sissi est lui aussi une caricature, un épitomé de Tapioca et autres Alcazar, et sa façon, délicieuse et hypocrite comme rarement, de ménager les apparences et les infortunes de la démocratie en général et le peuple égyptien en particulier, est ahurissante. Naturellement, il sera élu ; naturellement, il commettra cent et un excès ; naturellement, ces braves Égyptiens réinvestiront de nouveau la place Tahrir.
En Syrie, un peu plus haut, il est un chef de gang qui élève depuis trois ans, un peu plus chaque jour, la barbarie au rang d'art de vivre. Férocement, furieusement déconnecté de toute réalité, même lorsqu'il parle avec Ali Khamenei ou Vladimir Poutine, Bachar el-Assad entend être réélu dans quelques semaines. Rarement, ou plutôt jamais, un peuple n'aura été traité avec autant de criminelle désinvolture, de condescendance assassine. Et il en reste encore, des tas ici ou là-bas affligeants au possible, à défendre le gang.
Un poil plus bas, il y a le Liban. Pauvre petit pays d'assistés, de cannibalisés même, et qui ne sait toujours pas décider pour lui-même par lui-même. Qui prouve à chaque fois un peu plus, à une ou deux exceptions près, à quel point il a besoin d'être sous tutelle. Ou sous occupation. Ou sous mandat. Ou qui prouve, à chaque fois un peu plus, l'étendue du génie (et du respect des valeurs fondamentales de la démocratie) de certains de ses hommes politiques : Michel Aoun n'a pas besoin de présenter un programme électoral, car son parcours personnel est suffisant pour braquer les projecteurs sur lui en tant que candidat le plus apte à la présidence. Ce génie s'appelle Naji Gharios. Et il n'est pas seul. Le pire, c'est Farid el-Khazen, professeur à l'AUB : Michel Aoun n'a pas l'intention d'annoncer officiellement sa candidature parce qu'il est le candidat le plus en vue et que sa candidature est à la base centrale. Les parents peuvent mourir tranquilles : leurs enfants sont à bonne(s) école(s).
Mais tout cela n'est pas bien grave, nous n'avons rien à craindre. Nous, peuple du Liban et donc notre futur président si tant est que cela arrive, ne sommes pas arabes. Nous sommes phéniciens. Voilà. Heureusement que le ridicule ne tue pas. Il y aurait eu génocide depuis longtemps.
P.S. : en Tunisie, aux antipodes de tous ces gens-là, il est un homme, Moncef Marzouki, qui a consacré des années de sa vie, avant d'arriver à la première magistrature, à la défense des droits de l'homme. Un peu frileux, un peu (trop) pacifique, un peu tartour comme se moquaient ses compatriotes, un peu intello, il vient cependant de prendre une décision qui fera date et dont ses pairs arabes (ou autres) devraient grandement s'inspirer : il a baissé de deux tiers son salaire. De Djeddah où il est exilé, Zine el-Abidine Ben Ali a dû en recracher son jus d'amareddine. Moncef Marzouki est un ovni.
commentaires (6)
et si nos politiciens faisaient pareil que le chef de l'etat tunisien au lieu de chercher a augmenter les taxes???
Le Herisson
10 h 14, le 20 avril 2014