Pour le Hezbollah, la priorité reste à la sécurité

Le secrétaire général du Hezbollah l'a bien dit dans son discours de dimanche soir : ce gouvernement n'est pas un gouvernement d'entente ou d'union nationale. C'est juste un pas vers la consolidation de la stabilité du Liban et pour empêcher l'effondrement de l'État et de ses institutions. En d'autres termes, il s'agit d'une fenêtre ouverte soit sur la solution, soit sur le blocage. Tout dépendra de l'attitude des parties internes et surtout des développements régionaux. Le Hezbollah est en effet convaincu que la région est en train de vivre de grands changements et que les contours du monde nouveau en train de naître restent imprécis, même s'il y a de fortes chances qu'il soit en sa faveur, dans le sens d'un nouveau rapport de force régional et international, dans lequel les États-Unis n'auraient plus le monopole de la conduite du monde mais devraient composer avec la Russie, l'Iran et d'autres pays...

L'un des premiers éléments de ce monde nouveau est l'insistance des États-Unis à vouloir un gouvernement au Liban représentant toutes les parties, en particulier le Hezbollah, alors que le 14 Mars – notamment certaines formations au sein de ce mouvement – aurait préféré former un gouvernement « neutre » ou « de technocrates ». Il a fallu près de neuf mois pour que le camp du 14 Mars renonce à cette option (de toute façon utopique) et les efforts pour former le gouvernement n'ont commencé à être réellement déployés qu'il y a un mois, avec l'acceptation de la formule des « trois huit ». Pendant neuf mois, il s'agissait donc essentiellement d'exclure le Hezbollah et de le maintenir sous la pression des explosions, des attentats et des agressions de toutes sortes. En temps normal, le seul fait que ce soient les États-Unis qui poussent vers un gouvernement avec la participation du Hezbollah aurait suffi à décourager celui-ci d'accepter de faire des concessions. Mais justement, à cause de la nouvelle donne régionale et internationale, le Hezbollah a préféré faciliter la formation de ce gouvernement, considérant qu'une baisse de la tension sur le terrain ne peut qu'être à son avantage. Sa priorité est en effet actuellement la bataille en Syrie, dans laquelle il est impliqué et qu'il considère comme un enjeu stratégique, sous le titre de la lutte contre la vague takfiriste et son terrorisme.

Dans un tel contexte, la formation d'un nouveau gouvernement est importante, mais pas à n'importe quel prix. Or les concessions qu'il a faites à ce sujet restent dans les limites de l'acceptable. D'autant qu'à ses yeux, le principal gagnant dans la composition de ce gouvernement est son allié le général Michel Aoun, qui a réussi à imposer ses conditions.

Pour le Hezbollah donc, la distribution des portefeuilles est un détail, du moment que ses alliés sont satisfaits. Ses efforts sont actuellement concentrés sur la bataille de Yabroud, dans le Qalamoun, vitale pour les régions libanaises frontalières et notamment pour le Hermel. D'autant que la plupart des voitures piégées qui ont été trouvées ou qui ont explosé au Liban ces derniers mois provenaient de cette localité où se sont installés les groupes takfiristes de l'autre côté de la frontière. Il était donc impératif pour le Hezbollah que la bataille de Qalamoun soit engagée. L'hiver, plutôt clément cette année, a facilité la tâche de l'armée syrienne, aidée par les combattants du parti chiite, en lui permettant d'avancer petit à petit dans la région jusqu'à atteindre les alentours de Yabroud. La stratégie de l'armée syrienne est de laisser toujours une issue aux combattants de l'opposition, pour éviter le carnage dans ses rangs et dans ceux de ses adversaires et pour permettre leur reddition. Actuellement, Yabroud qui reste le fief des takfiristes dans la région de Qalamoun est encerclée de trois côtés. Avec la prise du village de Jarajir, il ne reste plus qu'une seule voie de fuite vers Assal el-Ward et Rankouss, plus proches de Baalbeck que du Hermel.

C'est d'ailleurs de là qu'est venue la voiture piégée attrapée à temps dimanche, alors qu'elle transportait plus de 200 kg d'explosifs. Cette provenance prouve d'ailleurs que le chemin Yabroud-Ersal n'est plus sûr pour les chauffeurs des voitures piégées destinées à exploser au Liban. Une source militaire précise que dans la région de Yabroud, il y a 18 passages clandestins avec le Liban. Le départ des groupes takfiristes de cette localité permettra de contrôler 14 d'entre eux et les quatre autres restants seront sous le contrôle de la puissance de feu de l'armée syrienne. En d'autres termes, si la bataille de Yabroud est remportée par l'armée syrienne, elle sera d'une importance stratégique pour le régime syrien certes, mais aussi pour le Hezbollah et ses partisans, puisqu'elle est la principale origine des attentats terroristes qui ont secoué le Liban ces derniers temps. Certes, d'autres villages comme Rankouss et Assal al-Ward peuvent être aussi utilisés pour envoyer des voitures piégées vers le Liban mais leur chemin ne passe pas par Ersal, mais par Baalbeck où le contrôle est plus strict.

Les experts militaires qui suivent de près les développements dans ce secteur estiment que les combats de Qalamoun ne devraient plus être très longs. L'armée syrienne, aidée par les combattants du Hezbollah, devrait donc remporter bientôt une nouvelle victoire sur le terrain. Mais la bataille est encore longue et sans gouvernement, l'attente aurait pu être terrible pour le Liban.