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Liban - Patrimoine

Les fresques médiévales de Mar Saba, à Eddé, restaurées par des spécialistes russes

 Il y a quelques jours, le village de Eddé-Batroun a tenu à rendre hommage aux restaurateurs des fresques de son église Mar Saba. La cérémonie clôturait deux campagnes menées en 2012 et 2013 par M. Vladimir Sarabianov, restaurateur très connu en Russie et professeur à l'Université Saint-Tychon de Moscou. Venu au Liban avec son équipe, il a redonné vie à de magnifiques fresques représentant la Crucifixion, la Dormition ainsi qu'une Vierge portant l'Enfant Jésus.

Fresque de la Crucifixion.

Les fresques de l'église Mar Saba du village de Eddé-Batroun ont été peintes au cours du treizième siècle alors que la seigneurie du Batroun faisait partie du comté de Tripoli. Mais ni les siècles ni l'ignorance ne les avaient épargnées puisqu'on avait dans les années vingt entrepris de les détruire pour repeindre l'église à neuf. Quelques panneaux avaient néanmoins été sauvés in extremis. Les images martelées étaient, hélas, désormais presque invisibles.


En 2012 et 2013, l'Association pour la restauration et l'étude des fresques médiévales (AREFML), qui a déjà à son actif la restauration des fresques de la chapelle rupestre de Kfar Chleimane-Batroun, de l'église Saint-Charbel de Maad-Jbeil et de l'église Sayyidat el-Khrayib à Kfarhelda-Batroun, a entrepris la restauration des fresques de Mar Saba, à Eddé, sous la supervision de la Direction générale des antiquités. Le financement a été assuré par un donateur anonyme et l'entreprise menée à bien grâce au diocèse maronite de Batroun en la personne de ses deux évêques successifs, Mgr Émile Saadé et Mgr Mounir Khayrallah, et grâce aussi à la municipalité du village d'Eddé présidée par M. Nassib Chédid, qui ont assuré logement et nourriture à l'équipe des restaurateurs venus de Moscou. Le village dans son ensemble a spontanément manifesté son intérêt pour l'entreprise et, presque tous les jours, les visiteurs s'arrêtaient pour regarder et poser des questions aux spécialistes juchés sur leur échafaudage. Ces derniers étant des restaurateurs relevant du ministère de la Culture en Russie, parlant exclusivement le russe et un peu l'anglais pour leur chef. C'était Paul Merhi, un stagiaire libanais, qui faisait office de traducteur. L'intérêt des gens pour leur travail a beaucoup surpris et ému les restaurateurs, et une dernière séance d'explication a été organisée pour ses ouailles par le prêtre de la paroisse, le R.P. Élie Saadé, samedi dernier.

 

L'église œuvre de maçons francs
L'église de Mar Saba date des croisades. Elle a probablement été construite au cours du douzième siècle avec le concours de maîtres-maçons francs présents dans le comté de Tripoli. Les murs latéraux de l'église sont en effet soutenus par des contreforts permettant à la nef centrale de s'élever, concept qui sera développé en Occident dans les arcs-boutants des cathédrales édifiées à la même époque. Par contraste, les églises construites localement dans le comté de Tripoli étaient massives, puissantes et basses. Les voûtes croisées d'ogives de Mar Saba sont elles aussi caractéristiques de l'architecture des églises de l'époque en Occident. Des meurtrières étroites, permettant aux chevaliers de tirer leurs flèches sur d'éventuels assaillants à partir de l'intérieur de l'église, dénotent en même temps le caractère défensif de l'édifice. Sa défense spirituelle était, quant à elle, assurée par quatre saints cavaliers peints de part et d'autre sur les parois se dirigeant vers l'autel. On ne les voit malheureusement plus, mais on devine quelle impression devait faire sur les fidèles ces saintes figures à cheval ; parmi elles il y avait saint Georges sur son cheval blanc.
On connaît deux seigneurs d'Eddé, Johan en 1243, vassal du seigneur de Gibelet (Jbeil) qui était lui-même vassal du comte de Tripoli, et Raymond en 1258. Ce sont peut-être leurs ancêtres qui ont fait construire l'église, en collaboration avec les chrétiens du village, car l'église est dédiée à un saint oriental, saint Saba (mort en 532), dont le nom veut dire vieillard ou sage en syriaque. On sait qu'il s'est distingué dans la vie monastique en Palestine où il a fondé la célèbre laure qui porte son nom.

 

Artistes orientaux
La coopération entre les seigneurs francs d'Eddé et les chrétiens locaux, vraisemblablement maronites, est également perceptible dans les fresques, commanditées par les premiers, mais peintes au cours du treizième siècle par des artistes orientaux. Cependant, deux époques différentes se superposent sur les murs. La couche de fresques la plus ancienne est la plus byzantinisante, tant dans la composition des scènes que dans le style. Elle consiste en une Crucifixion peinte sur un pilier, où le visage aux yeux clos du Christ est sublime. Les quatre femmes au pied de la croix (sa mère la Vierge Marie est au premier plan) expriment une douleur muette. Les anges, le soleil et la lune, l'univers entier le pleurent. Sur un autre pilier de l'église l'un des donateurs des fresques est représenté aux pieds de saint Mamas, un très jeune homme originaire de Capadoce qui, après son martyre, a été accompagné par un lion. Le visage imberbe du donateur tendu vers le saint et son lion souligne sa jeunesse. Une belle Dormition de la Vierge date aussi de cette première époque des fresques : la Vierge, étendue sur son catafalque, est entourée par les apôtres, et par un évêque et deux diacres ailés, vêtus de blanc, identifiés par une inscription syriaque dans leur halo, tandis que son âme est portée par le Christ vers les anges du ciel prêts à l'accueillir.

 

Une maîtrise exceptionnelle de l'iconographie byzantine
On a pu dater le deuxième niveau de fresques grâce au grand patriarche maronite du dix-septième siècle Estéphane Douayhi. Il avait pu lire à son époque dans l'église l'inscription syriaque qui relatait une victoire remportée par les maronites. Ceux-ci, « descendus de leurs montagnes », avaient aidé les Francs à repousser une attaque du sultan Baybars sur Tripoli en 1266. « Les maronites, poursuit Douayhi, ont alors édifié plusieurs églises pour célébrer leur victoire et ont peint les images du mur nord de l'église Mar Saba. » Un fragment de cette inscription lue par Douayhi est encore visible dans l'encadrement au-dessus de la Dormition de la Vierge, calligraphiée en très belle écriture syriaque que l'on appelle stranguélo. De cette époque postérieure à 1266 on peut voir une Vierge assise portant son fils en médaillon sur ses genoux.


Sur une vingtaine d'églises médiévales à fresques, situées pour la plupart entre Beyrouth et Tripoli, sept ont été restaurées à ce jour depuis 2005, en sus d'un pan de mur découvert à Beyrouth et conservé au Musée national, inauguré depuis peu. On commence seulement à distinguer les différences de style, byzantin, syriaque local, et les influences des Latins dans cette floraison artistique des douzième et treizième siècles au Liban. Chaque fresque restaurée contribue à une meilleure compréhension de l'une des périodes les plus négligées de notre histoire, tant sur le plan spirituel que culturel. Dans le cas particulier de Mar Saba, par exemple, le Pr Sarabianov et le Dr Nada Hélou, spécialiste de l'art chrétien en Orient et membre de l'AREFML, s'accordent à dire que le peintre de la couche de fresques la plus ancienne dans l'église pourrait être un artiste venu au Liban de Constantinople après l'occupation de la capitale par les Latins en 1204, tant la Crucifixion et la Dormition témoignent d'une maîtrise exceptionnelle de l'iconographie byzantine.
En 2014, l'équipe de M. Sarabianov et deux stagiaires libanais continueront leur minutieux travail à l'église Saint-Georges de Rachkida-Batroun dans laquelle ils ont déjà dégagé une Crucifixion qui était totalement invisible jusque-là.

 

Pour en savoir plus sur cette église et sur des visites programmées aux églises à fresques du Liban, en collaboration avec Liban Trek, visitez le site fresquesliban.com

 

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