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Liban - La situation

Requiem pour Ignace IV Hazim

Une délégation du 14 Mars a exposé hier au chef du législatif les fondements de l’actuelle ligne de conduite de la coalition souverainiste. Photo Hassan Ibrahim

La disparition hier du patriarche grec-orthodoxe Ignace IV Hazim est venue assombrir un tableau déjà bien peu reluisant. Comme si, avec la disparition du patriarche Hazim – celui qui avait bien su se garder, durant tant de décennies, et à partir de Damas même, de sombrer dans la servitude au régime d’Assad alors même que ce genre de régime ne peut tolérer que les vassaux serviles –, c’est tout un ordre, toute une époque qui disparaît aussi. Certes, Mgr Hazim n’était pas du genre frondeur. Il n’empêche qu’il prétextait toujours des congrès à l’étranger pour s’absenter, et donc résister à sa façon à la tyrannie et aux plébiscites factices visant à réélire le dictateur à vie qui avait fait de son pays et de son peuple rien qu’une particule à son nom. Tout comme il esquivait habilement, avec sagesse et lucidité, les divers traquenards tendus par le régime syrien visant à braquer sa communauté contre la communauté sunnite dans un régime tenu par le monde entier, à l’époque, comme un État laïque, mais en fait plongé dans le vice communautariste et identitaire tyrannique le plus étroit et le plus abject.


Le monde et le temps – de la liberté – ont rattrapé le régime syrien, qui va sûrement à sa chute. Mais ils ont également rattrapé le patriarche Hazim, qui s’en va à un moment où la communauté chrétienne a plus que jamais besoin de guides. Certes, le départ du patriarche n’est pas triste pour lui : son rappel à Dieu lui permettra au moins d’en finir, loin du temporel, avec la grande prison sécuritaire au sein de laquelle il séjournait, loin de ses cohortes de moukhabarat qui traquaient ses moindres gestes et ses moindres déclarations, loin aussi de certains prélats de sa communauté qui n’ont pas hésité à se couvrir de honte durant ces derniers mois en livrant, en Syrie, de jeunes opposants, venus trouver refuge et guidance auprès du clergé, aux bourreaux ; au moins une jeune fille serait ainsi morte sous la torture. C’est à un exercice périlleux d’équilibriste, particulièrement complexe, que le patriarche voulant enfin s’endormir du sommeil de la terre avait dû se livrer durant ces derniers mois, essayant de concilier entre partisans de la liberté et de la démocratie, et minoritaristes craintifs et recherchant la tutelle éternelle du dictateur ; entre les citoyens transcommunautaires ouverts et pluralistes et les identitaires recroquevillés sur eux-mêmes et cherchant à créer autant de partis orthodoxistes sectaires repliés sur eux-mêmes... L’agonie n’était pas due à l’âge ou à la fatigue. L’agonie, c’était de devoir tous les jours composer avec les affres d’une communauté ne sachant plus que faire de son héritage culturel, en perte de sens, en perte de repères, en perte de valeurs, incapable désormais du moindre discernement. Et la mort, n’est-ce pas finalement lorsqu’on a décidé de mettre fin à sa quête du meilleur en nous-mêmes ?


C’est donc par une journée sombre et pluvieuse, et par une année particulièrement triste pour le pays, puisqu’elle a aussi emporté l’un des autres doyens de sa communauté, Ghassan Tuéni, qu’Ignace Hazim s’en est allé vers le repos éternel. Un repos éternel dont la Syrie, en parfaite décomposition, et le Liban, en stagnation stérile, sont toujours privés, eux.

De Damas à Tripoli
Mgr Hazim était l’un de ses « passeurs positifs » entre le Liban et la Syrie, à l’heure où tant d’autres s’évertuent à marquer la relation d’une empreinte négative. Son départ est significatif à l’heure où la relation se complique de plus en plus entre les deux pays avec la chute du régime Assad et les implications de parties libanaises dans les batailles entre les deux camps. La reprise des combats à Tripoli a ainsi fait écho hier à la guerre urbaine à Damas, Alep ou Homs, alors que les deux principaux partis du pays, le Hezbollah et le courant du Futur, reconnaissent désormais ouvertement, après l’affaire du guet-apens de Tell Kalakh (qui a donné lieu hier à une réunion entre la Sûreté, le palais Bustros et l’ambassadeur syrien pour le rapatriement du corps des victimes), leur participation dans la lutte qui se déroule en territoire syrien. En soirée, l’intensité des affrontements avait baissé d’un cran, non sans avoir fauché sept vies et une trentaine de blessés.

Le 14 Mars chez Berry
C’est dans ce contexte explosif et dangereux pour le pays que, quarante jours après l’assassinat de Wissam el-Hassan, qui avait entraîné un boycott par l’opposition parlementaire de la Chambre des députés et de tout dialogue avec la majorité, une délégation du 14 Mars a brisé hier la glace et s’est rendue auprès du président de la Chambre, Nabih Berry. La délégation, formée des députés Samir Jisr, Marwan Hamadé, Élie Marouni et Joseph Maalouf, a placé sa visite dans le cadre du suivi du mémorandum que le 14 Mars avait présenté au président de la République après l’assassinat du brigadier el-Hassan. Une initiative qui prouve que, malgré sa volonté de hausser le ton, le 14 Mars perçoit le danger de la situation et l’impasse générale dans laquelle se trouve l’ensemble des parties locales, à commencer par le Hezbollah, à l’heure de l’effondrement du régime à Damas. La polémique autour de la volonté de poursuivre en justice Okab Sakr et/ou Hassan Nasrallah est assez révélatrice de l’état d’esprit général. C’est dans ce même contexte que la majorité serait sur le point de lever le sit-in devant le Sérail pour permettre à la saison des fêtes de se dérouler normalement, sans bousculer le roulement économique du centre-ville de la capitale. Mais il y a aussi la question de la prochaine échéance électorale, que la communauté internationale insiste à faire respecter dans les délais impartis – la chef de de la Délégation de l’Union européenne au Liban, Angelina Eichhorst, et le représentant du secrétaire général de l’ONU, Derek Plumbly, ont tous les deux évoqué ce dossier avec le ministre de l’Intérieur hier –, alors que la polémique sur la loi électorale continue de battre son plein. Mais, comme l’a signalé hier le député Dory Chamoun, toutes les parties semblent, bon gré mal gré, se résigner à un retour à la loi de 1960 avec quelques légères modifications – la saison des enchères électoralistes et communautaristes s’étant terminée sans succès.


Il reste la très amusante tirade facebookienne de Nicolas Sehnaoui sur « le respect de la vie privée et des libertés publiques menacées par les FSI » au moment où tout le pays, de l’aveu même de ses principaux dirigeants, à l’instar de Walid Joumblatt, reconnaisse que le Hezbollah contrôle tout le pays au plan sécuritaire et a placé tout le monde sur écoute grâce à son fameux réseau télécom qui avait valu aux Libanais le glorieux 7 mai 2008. Silence radio du ministre Sehnaoui et de son camp sur cette question. Et les habitants de Tarchiche, eux, ont sans doute fumé du haschisch.
Le patriarche Hazim, lui, paix à son âme, est désormais loin de cette insoutenable légèreté de l’être, et du paraître.

 

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commentaires (1)

Très bel hommage de Monsieur Hajji Georgiou au patriarche Hazim.

Antoine-Serge Karamaoun

03 h 17, le 06 décembre 2012

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Commentaires (1)

  • Très bel hommage de Monsieur Hajji Georgiou au patriarche Hazim.

    Antoine-Serge Karamaoun

    03 h 17, le 06 décembre 2012

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