Rechercher
Rechercher

Liban - Drame

Fassouh, trois mois après la catastrophe

La plupart des habitants de l’immeuble effondré en janvier dernier ne parviennent toujours pas à reprendre une vie normale.

Gladys et Jeanne d’Arc Naïm n’arrivent pas jusqu’à présent à pleurer leurs quatre morts.

Ils ont perdu leur maison, leurs repères et des membres de leur famille. Presque trois mois après l’effondrement de l’immeuble de Fassouh, qui avait fait 27 morts, certains de ses habitants n’arrivent pas à reconstruire leur vie. Étrangement, malgré l’ampleur de la catastrophe, d’autres se remettent à vivre, allant de l’avant et pouvant même envisager l’avenir.


Jeanne d’Arc Naïm a perdu son mari Tanious et ses trois fils Jihad, Charbel et Farhat. Depuis l’effondrement du bâtiment, elle vit chez l’une de ses filles, dans un appartement du secteur de l’hôtel Alexandre, à Achrafieh.
Jeanne d’Arc, son mari, sa fille Gladys, ses trois fils, et la fiancée de l’un d’eux se trouvaient dans un appartement du premier étage quelques instants avant l’effondrement. Les trois femmes ont eu le temps de prendre la fuite, mais pas les hommes : les trois fils de Jeanne d’ Arc s’apprêtaient à transporter leur père handicapé sur une chaise. D’ailleurs c’est dans cette posture que leurs corps avaient été retrouvés.


Gladys, elle, avait ameuté les habitants de l’immeuble quelques instants avant l’effondrement. C’est grâce à elle que certains d’entre eux ont survécu. Habitant les étages supérieurs, ils venaient de quitter leurs appartements et avaient été retrouvés vivants dans les escaliers.


Gladys et sa mère ne pleurent pas. Elles tentent de survivre à la catastrophe, probablement en s’acquittant de tâches quotidiennes, sans penser à l’avenir.


Jeanne d’Arc parle de ses fils... quand ils étaient petits et qu’ils allaient à l’école. Elle ne prononce pas leur prénom. Elle ne pleure pas. Si, un peu le soir, avant de dormir. La journée, elle s’occupe à aider sa fille dans les tâches ménagères et à la cuisine. Originaire d’un village de Jezzine, elle raconte qu’elle a toute sa vie vécu à Achrafieh. Elle habitait une maison près du Lycée français avant d’être expulsée avec sa famille il y a cinq ans. L’immeuble a été détruit et a été remplacé par une tour. Elle a donc déménagé au bâtiment de Fassouh.
Jeanne d’Arc parle de la fête des Mères, raconte que tous les amis de ses fils sont venus lui rendre visite. D’ailleurs, ils lui ont promis qu’ils resteront près d’elle. Elle évoque aussi sa petite-fille de 14 ans qui a été très affectée par la mort de ses oncles.


Gladys, très médiatisée lors de la catastrophe, a bel et bien changé depuis trois mois. Son visage même a été transformé, creusé par une tristesse incommensurable. Elle parle de sa foi, des chapelets qu’elle prie au quotidien, de son directeur spirituel à l’église de la Médaille miraculeuse. Gladys dit qu’elle sait qu’elle a désormais quatre anges au ciel.


La seule perte que Gladys parvient à évoquer est celle de ses affaires, ses vêtements et chaussures, qu’elle a perdus dans l’immeuble.


Elle s’inquiète aussi pour sa mère et pour Élise, la fiancée de son frère Jihad. « Elle était avec nous sur la chaussée quand l’immeuble s’est effondré. Cela fait trois ans qu’elle est avec mon frère. Il faut que je reste forte pour elle et pour ma mère... Et puis il y a beaucoup de choses que j’ai à faire », dit-elle, énumérant des tâches quotidiennes, comme se rendre au poste de police ou auprès du procureur général de Beyrouth pour tenter de récupérer les affaires qui ont été retrouvées dans l’immeuble mais dont la famille, à l’instar des autres habitants de l’immeuble, n’ont pas encore pris possession. Elle se démène aussi pour avoir une nouvelle carte d’identité et un nouveau passeport.
Le week-end, elle tente de se promener avec sa mère, l’amenant souvent au village.


Le peu de fois qu’elle évoque ses frères, elle parle d’eux au présent pour raconter comment ils s’occupent d’elle, l’aident par exemple à repasser ses vêtements ou quand sa voiture tombe en panne.


Depuis le drame, Gladys a rarement pleuré. « Il faut que je reste forte pour les autres », dit-elle. Mais aussi depuis le drame, Gladys a développé une maladie musculaire, la fibromyalgie. « Mes os me font mal à l’intérieur. Un rien me fatigue. Parfois je suis incapable de conduire d’Achrafieh jusqu’à Dora. » Et elle dort mal la nuit.
Gladys et sa mère n’ont plus de maison. Elles ont reçu en tout 85 500 dollars de la Fondation Bachir Gemayel. Jeanne d’Arc se déplace entre ses filles mariées.
Comme sa fille Gladys, même si elle se rend dans le quartier de Fassouh pour visiter des voisins, elle ne passe jamais devant l’immeuble effondré.

Un long traitement
Jacques Geara a 38 ans. Son père Joseph est décédé dans l’effondrement du bâtiment. Il occupait avec ses parents un appartement du quatrième étage. Jacques souffre de plusieurs blessures qui nécessitent un long traitement. Il a une blessure à l’œil, plusieurs côtes brisées, des fractures à la cheville droite et au genou gauche. Jusqu’à présent, il se déplace avec une canne et ne peut plus conduire.


Jacques Geara, qui avait suivi des études de droit et qui cumulait deux emplois pour joindre les deux bouts, dans un bureau d’avocats et auprès d’un bureau d’ingénieurs, ne se rend plus au travail depuis le drame. « Jusqu’à présent, mes employeurs ont toléré mon absence, mais cela ne durera pas éternellement », dit-il.


Jacques s’inquiète pour l’avenir. Lui et sa famille payaient un ancien loyer à Fassouh. Il vit maintenant avec sa mère dans leur village de Habil dans le jurd de Jbeil. « Ici, nous avons une maison familiale que nous partageons avec mes oncles, explique-t-il. Même si l’État nous a remis de l’argent pour payer un loyer, je ne peux pas louer une maison à Beyrouth, c’est la moitié d’un salaire mensuel. »


« En réalité, il n’y a que la Fondation Bachir Gemayel qui nous a aidés. Grâce à son action de solidarité, nous n’avons tendu la main à personne. Nous n’avons personne sur qui compter », ajoute-t-il.


La famille Geara a reçu 62 500 dollars de la Fondation Bachir Gemayel. Les Geara aussi doivent finaliser les formalités de l’héritage pour pouvoir encaisser les indemnités promises par l’État libanais. « Dans l’effondrement de l’immeuble, nous avons perdu huit titres de propriété, et pour en faire d’autres, il faut payer 640 000 livres l’un », explique Jacques qui évoque également les difficultés administratives comme l’impossibilité de payer la mécanique de sa voiture dont les papiers ont été perdus dans l’effondrement, ou encore de récupérer des objets retrouvés dans les décombres du bâtiment et que la police ne lui a pas encore remis, notamment un survêtement qui appartenait à son père, une petite relique de la sainte croix que son père portait autour du cou et une photo.
Jacques parle de sa vie qui a basculé et qui ne redeviendra plus jamais la même. « J’ai toujours vécu dans cet immeuble de Fassouh. Tous mes souvenirs sont là-bas. Je ne sais pas ce que la vie me réserve, j’ignore de quoi demain sera fait », dit-il.


« Si ma vie est sauve, c’est grâce à notre voisine Gladys. Elle m’a téléphoné pour dire que l’immeuble était en train de s’effondrer. Je suis sorti sur le palier pour voir ce qui se passait. J’ai cru que mon père était derrière moi, mais il était resté dans l’appartement. Sur le palier, j’ai vu les membres de la famille Abdelkarim et Albert Yazbek. Je comptais les marches pour descendre, parce qu’on n’avait plus l’électricité dans les escaliers depuis quelques années. Nous avons commencé à entendre des effritements, puis l’immeuble s’est effondré », se souvient-il.


« Cela faisait quelques jours que j’étais sorti de l’hôpital où j’avais subi quatre opérations, dont celle des amygdales. Ce soir-là j’avais demandé à ma mère de me ramener un jus de fruit ; c’est pour ça qu’elle n’était pas à la maison au moment de la catastrophe », ajoute-t-il.


« Je n’ai pas réalisé ce qui se passait, j’avais une plaque de ciment sur la poitrine, j’ai tenté de lever la main, mais j’étais bloqué par le plafond qui était au-dessus de moi. J’ai prié de toutes mes forces, j’ai craché la poussière et j’ai crié. Les secouristes m’ont entendu », dit-il.


« Alors que j’étais sous les décombres, je pensais à mon père en espérant qu’il soit en vie et à ma mère en imaginant sa réaction quand elle rentrera à la maison », note-t-il encore.

La maison de repos
Albert Yazbek a été placé à sa sortie de l’hôpital dans une maison de repos. C’est grâce à l’argent qui lui a été versé par la Fondation Bachir Gemayel qu’il peut payer les frais. Albert a bien changé depuis l’effondrement de l’immeuble. Âgé de 76 ans, il pouvait encore se déplacer quand il avait été transporté à l’hôpital Saint-Georges quelques heures après le drame.


À ceux qui viennent lui rendre visite, il répète ce qu’il avait raconté au lendemain de la catastrophe. Il habitait au sixième étage de l’immeuble avec sa compagne Nawal, 62 ans, qui a été tuée. Ils n’avaient pas d’enfants.
Aujourd’hui, il est aidé par des infirmiers pour qu’il puisse être installé dans une chaise roulante.


« Vous savez, nous étions tout le temps ensemble, Nawal et moi. Elle avait une sœur qui habite Aïn el-Remmaneh, et moi, mes frères et sœurs sont décédés. Nous n’avions pas d’enfants », raconte-t-il.
Jusqu’à sa retraite, Albert travaillait chez Sleep Comfort. Avant l’effondrement de l’immeuble, il passait son temps dans un parking du quartier. Il vivait du pourboire que les clients lui donnaient et d’une somme mensuelle que le propriétaire d’une boutique voisine lui versait.


Albert vivait depuis 45 ans dans l’immeuble de Fassouh.


D’autres personnes touchées par le drame, comme les Abou Serhal qui ont perdu leur fille âgée de 34 ans, ou les Saad, qui ont perdu leur père et leur mère, ont préféré ne pas s’adresser à la presse.

Ils ont perdu leur maison, leurs repères et des membres de leur famille. Presque trois mois après l’effondrement de l’immeuble de Fassouh, qui avait fait 27 morts, certains de ses habitants n’arrivent pas à reconstruire leur vie. Étrangement, malgré l’ampleur de la catastrophe, d’autres se remettent à vivre, allant de l’avant et pouvant même envisager...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut