Dans ce dialogue entre les sonorités de l'instrument et les extraits des monologues de Médée d'Euripide et de Phèdre de Racine, l'action est recréee dans ce magnifique temple aux colonnades qui se teintent de pourpre, d'ocre et de violacé.
Modulations vocales
Languissant et gémissant, sec ou déchaîné, le violoncelle n'est plus que le miroir des émotions de ces deux personnages qui chavirent entre la raison et la folie. Médée, une des figures les plus assassines de tous les siècles (puisque pour se venger de Jason, elle devra tuer ses propres enfants), devient à certains instants la plus tendre et la plus douce des mères, alors que Phèdre est tiraillée entre son amour fou pour Hippolyte, ses remords, ainsi que sa soif de pureté. C'est cette solitude humaine, cette perdition qui sont retranscrites en une longue conversation entre le son et le mot. L'instrument sans voix prend alors figure humaine. Il devient Jason, Créon ou Œnone. Médée se promènera ainsi de personnage en personnage. « Il n'y a pas une seule Médée ou une seule Phèdre mais plusieurs », confie Ardant. Et il y en aura certes d'autres tant qu'il y aura des comédiennes qui la feront vivre et vibrer.
Que ce soit avec la musique de Claudio Monteverdi ou celle des chants arméniens réarrangés par la violoncelliste les mots, ce soir-là, se sont libérés et ont pris forme. Ils deviennent ainsi colère, amertume, amour, aigreur, rage ou encore haine. Phèdre et Médée sont en éternel combat contre les autres et contre elles-mêmes. Malgré une lutte acharnée, Fanny Ardant illustre par les changements d'états d'âme soudains la soumission à la destinée. Recroquevillée sur elle-même, l'infortunée Médée ayant pris la décision d'assassiner ses enfants se love dans la matrice de la terre. Elle n'est plus qu'une énorme plaie. Accablée et torturée, la descendante du soleil élève les bras au ciel et implore les dieux. « Hélas, hélas. Tout est accompli. » Plus tard, l'actrice semble prendre le public à témoin. « Le bonheur n'est pas fait pour les mortels, dira-t-elle. Qui est heureux ? » Et soudain Médée devient si actuelle, si présente parmi les vestiges de Baalbeck.
« Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue. » Comment traduire ces émotions si contradictoires en un pincement de cordes. Et pourtant ! « Là où les mots sont ellipses et ne peuvent plus rien dire, la musique est là pour créer des couloirs, ouvrir l'imaginaire et créer d'autres histoires, car la tragédie est un état et la musique a la possibilité de rentrer dans ces états », dira Sonia Wieder-Atherton. Ces deux artistes, dont le langage des sens a fusionné avec le langage des mots, ont livré à l'assistance une prestation incandescente que sont venues broder les étoiles du ciel. Ce rendez-vous magique a pris toute son ampleur lorsque, quittant son habit tragique et pour remercier les dieux des lieux, l'Ardente Fanny a déclamé un poème de Nadia Tuéni.
Un mot d'amour adressé à Baalbeck d'une femme au nom de braise, aux yeux pleins de pépites et qui a laissé derrière elle des myriades de lumières.
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