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Culture - Dialogue

Noces d’amour et de sang

Fanny Ardant à la chevelure longue, tout de noir vêtue. À ses côtés Sonia Wieder Atherton étreignant son violoncelle. Reprenant en écho les voix du passé, ces deux femmes à la carrière exceptionnelle ont fait  revivre, par ce dialogue du mot et de la musique,  deux figures féminines des tragédies grecques dans le magnifique temple de Bacchus, devenu panthéon de la passion.   
« La colère qui a perdu tant d'hommes », hurle Fanny Ardant, et la supplique de cet ange de la mort prend tout d'un coup la dimension d'un chant qui traverse les âges. « Une expression qui a une tout autre signification sur la terre du Liban », avait dit la veille la comédienne en s'adressant à la presse.  « Tout a  déjà  été dit et raconté, avait-elle poursuivi et si quelqu'un aujourd'hui veut avoir la prétention de reprendre un texte, c'est qu'il doit y mettre sa marque. Cette marque,  le tandem féminin l'a apposé en lettres d'ardeur et de talent sur des tragédies intemporelles.
Dans ce dialogue entre les sonorités de l'instrument et les extraits des monologues de Médée d'Euripide et de Phèdre de Racine, l'action  est recréee dans ce magnifique temple aux colonnades qui se teintent de pourpre, d'ocre et de violacé.

Modulations vocales
Languissant et gémissant, sec ou déchaîné, le violoncelle n'est plus que le miroir des émotions de ces deux personnages qui chavirent  entre la raison et la folie. Médée, une des figures les plus assassines de tous les siècles (puisque pour se venger de Jason, elle devra tuer ses propres enfants), devient  à certains instants la plus tendre et la plus douce des mères, alors que Phèdre est tiraillée entre son amour fou pour Hippolyte, ses remords, ainsi que sa soif de pureté. C'est cette solitude humaine, cette perdition qui sont retranscrites en une longue conversation entre le son et le mot. L'instrument sans voix prend alors figure humaine. Il devient Jason, Créon ou Œnone.  Médée se promènera ainsi de  personnage en personnage. « Il n'y a pas une seule Médée ou une seule Phèdre mais plusieurs », confie Ardant.  Et il y en aura certes d'autres tant qu'il y aura des comédiennes qui la feront vivre et vibrer.
Que ce soit avec la musique de Claudio Monteverdi ou celle des chants arméniens réarrangés par la violoncelliste les mots, ce soir-là, se sont libérés et ont pris forme. Ils deviennent ainsi colère, amertume, amour, aigreur, rage ou encore haine. Phèdre et Médée sont en éternel combat contre les autres et contre elles-mêmes. Malgré une lutte acharnée, Fanny Ardant illustre par les changements d'états d'âme soudains la soumission à la destinée. Recroquevillée sur elle-même, l'infortunée Médée ayant pris la décision d'assassiner ses enfants se love dans la matrice de la terre. Elle n'est plus qu'une énorme plaie. Accablée et torturée, la descendante du soleil élève les bras au ciel et implore les dieux. « Hélas, hélas. Tout est accompli. » Plus tard, l'actrice semble prendre le public à témoin. « Le bonheur n'est pas fait pour les mortels, dira-t-elle. Qui est heureux ? » Et soudain Médée devient si actuelle, si présente parmi les vestiges de Baalbeck.
« Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue. » Comment traduire ces émotions si contradictoires en un pincement de cordes. Et pourtant ! « Là où les mots sont ellipses et ne peuvent plus rien dire, la musique est là pour créer des couloirs, ouvrir l'imaginaire et créer d'autres histoires, car la tragédie est un état et la musique a la possibilité de rentrer dans ces états »,  dira  Sonia Wieder-Atherton. Ces deux artistes, dont le langage des sens a fusionné avec le langage des mots, ont livré à l'assistance une prestation incandescente que sont venues broder les étoiles du ciel. Ce rendez-vous magique a pris toute son ampleur lorsque, quittant son habit tragique et pour remercier les dieux des lieux, l'Ardente Fanny a déclamé un poème de Nadia Tuéni.
Un mot d'amour adressé à Baalbeck d'une femme au nom de braise, aux yeux pleins de pépites et qui a laissé derrière elle des myriades de lumières. 
« La colère qui a perdu tant d'hommes », hurle Fanny Ardant, et la supplique de cet ange de la mort prend tout d'un coup la dimension d'un chant qui traverse les âges. « Une expression qui a une tout autre signification sur la terre du Liban », avait dit la veille la comédienne en s'adressant à la presse. ...

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