D'un côté, Haïfa en proie au feu dans un incendie gigantesque que les autorités ne parviennent pas à maîtriser. Et de l'autre, un défilé militaire inattendu et bien organisé à Qousseir. Les deux images, si contradictoires, méritent qu'on s'y arrête. L'incendie de Haïfa, qui semble être tout à fait accidentel, a montré l'incompétence des autorités israéliennes et leur manque de préparation pour gérer une catastrophe naturelle... ou une guerre. Par contre, le défilé militaire organisé par le Hezbollah à Qousseir, en Syrie, montre le haut niveau atteint par les unités combattantes de ce parti qui constituent désormais une force militaire qui dépasse les frontières du Liban et avec laquelle il faut compter.
Une source proche du Hezbollah confie, dans ce contexte, que lorsque ce parti a été formé (sa naissance officielle remonte à 1984), il visait à libérer le Sud et la Békaa-Ouest occupés par l'armée israélienne et ses suppôts. Seize ans plus tard, il a marqué une victoire en parvenant à contraindre l'armée israélienne et la milice qu'elle avait formée (l'ALS) à se retirer du territoire libanais occupé (excepté les fermes de Chebaa et une partie du village de Ghajar). Le Hezbollah s'est aussitôt fixé un nouvel objectif : constituer une force capable de résister à une guerre offensive menée contre le Liban. Il a été atteint pendant la guerre de 2006, lorsque pendant 33 jours, les combattants du Hezbollah ont tenu bon face à une offensive israélienne d'une rare violence, poussant finalement les Israéliens à accepter une cessation des hostilités et à se retirer, sans contrepartie réelle, puisque la résolution 1701 a été adoptée, selon le parti chiite, pour sauver la face des Israéliens. Mais dès le 15 août (la cessation des hostilités avait été décidée pour le 14 août 2006), le Hezbollah a commencé à se fixer un nouvel objectif, celui de pouvoir mener désormais une guerre offensive.
Dix ans plus tard, il y est pratiquement parvenu, estime la source précitée, grâce notamment à sa participation à la guerre en Syrie qui lui a permis d'acquérir une nouvelle expertise militaire, notamment dans les opérations menées pour conquérir un territoire et lancer ainsi des offensives contre des éléments armés installés dans un lieu précis, ainsi que dans le maniement de nouvelles armes.
Selon la source proche du Hezbollah, c'est dans ce contexte que s'inscrit le défilé de Qousseir qui était essentiellement adressé aux Israéliens et dans une moindre mesure aux groupes jihadistes. Le Hezbollah avait en effet reçu des informations précises sur un plan israélien d'ouvrir un nouveau front dans le triangle Syrie-Golan-Liban pour faire d'une pierre trois coups. D'une part, mettre en difficulté les forces du régime syrien dans une zone qui lui fait mal puisqu'elle est à quelques kilomètres de la capitale Damas. Ensuite, cela permet aux Israéliens de renforcer la présence des rebelles syriens dans une bande frontalière qui servira de zone tampon entre le Golan occupé, la Syrie et le Liban et, enfin, un tel front devrait affaiblir le Hezbollah en le poussant à envoyer de nouvelles forces sur les lieux tout en l'obligeant à se battre dans une zone où il n'a pas d'environnement favorable, puisque les villages libanais dans cette région sont soit sunnites, soit druzes. De plus, des combats dans cette zone jusque-là plus ou moins épargnée devraient entraîner une nouvelle vague de déplacés syriens, en grande majorité sunnites ou druzes qui viendraient s'installer dans la région de Chebaa et de Kfarchouba, à la frontière avec Israël, remettant en cause le système défensif installé par le Hezbollah depuis 2006.
C'est d'ailleurs sur la base de ces mêmes informations que le président de la Chambre, Nabih Berry, a prévenu récemment contre l'émergence d'un « nouveau Ersal », dans la région de Chebaa. Il voulait ainsi évoquer la possibilité de créer, dans cet espace géographique hautement stratégique, un nouvel abcès, dans le genre de celui de Ersal, où l'armée et les forces de sécurité ont eu pendant des années les mains liées en raison des tensions confessionnelles.
En organisant le défilé de Qousseir, dans cette localité dont la reprise en 2013 par le Hezbollah et les forces du régime aux mains des rebelles a constitué un tournant stratégique dans la guerre en Syrie, ce parti a donc voulu adresser un message fort destiné à décourager les Israéliens de tenter une telle aventure militaire. D'autant qu'à partir de Qousseir et des hauteurs du Qalamoun, la zone de Chebaa et du Golan devient plus facilement contrôlable, au moins par la puissance de feu. De plus, le Qalamoun, cette région montagneuse particulièrement escarpée et difficile d'accès, peut abriter des batteries de missiles indécelables par les radars les plus sophistiqués... Le défilé militaire de Qousseir était aussi une réponse indirecte aux dernières décisions de l'état-major israélien qui aurait changé tous les responsables militaires du secteur nord pour désigner des officiers qui connaissent bien le terrain et qui ont déjà été impliqués dans les guerres au Liban.
Face à tous ces indices de haute préparation militaire chez le Hezbollah, le feu qui s'est allumé à Haïfa et qui a poussé les Israéliens à solliciter une aide internationale pour le circonscrire a donné l'impression d'une grande confusion et surtout d'une inefficacité certaine chez leurs autorités. Certes, nul n'est à l'abri de ce genre de catastrophes et beaucoup de pays ne sont pas équipés pour y faire face ( y compris le Liban), mais les deux images, mises côte à côte, ont un impact sur le moral des deux camps.
Pour mémoire
Le défilé militaire à Qousseir, un message dissuasif du Hezbollah
Les blindés US exhibés par le Hezbollah supplantent le marchandage gouvernemental
Une parade énigmatique, l'éclairage de Philippe Abi-Akl
commentaires (6)
Beaucoup de melanges. Vive la chute du monopole militaire de l Etat et vive la guerre avec Israel?
Beauchard Jacques
18 h 23, le 30 novembre 2016