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Liban - La situation

Tripoli, exutoire à une situation complexe

Philippe ABI-AKL

L’arrestation de Mawlaoui a servi, cette semaine, de détonateur à une situation complexe que seules une action conjuguée de plusieurs ministères et l’instauration d’un État pourront régler. L’explosion de violence à Tripoli s’explique facilement, quand on en analyse les causes : un dossier judiciaire remontant aux affrontements de Nahr el-Bared, l’arrestation rocambolesque d’un islamiste, Chadi Mawlaoui, une surenchère électoraliste acharnée, une rivalité traditionnelle entre deux quartiers, sur fond politico-confessionnel, l’impunité et l’extraterritorialité dont jouissent certains périmètres contrôlés par le Hezbollah, sous prétexte de résistance, et, enfin, la crise syrienne.
C’est à ce cocktail explosif que l’arrestation de Chadi Mawlaoui a servi de détonateur, et le rétablissement du calme dans la ville ne se fera vraiment qu’au prix d’une solution radicale à chacun de ces facteurs. Dans le cas contraire, on n’aura droit qu’à des trêves précaires ou, si l’on veut, à des flambées de violence sporadiques.
Le dossier des détenus islamistes est certainement le plus facile à identifier. Il y a cinq ans, au lendemain de l’atroce et impitoyable bataille de Nahr el-Bared, gagnée au prix de lourds sacrifices de la part de l’armée, une vague d’arrestations d’islamistes avait eu lieu à Tripoli et dans d’autres bastions sunnites du Liban-Nord. Cinq ans plus tard, des dizaines d’islamistes croupissent dans les cellules insalubres et surpeuplées de Roumieh, dans l’attente de leur comparution en justice et en l’absence de tout acte d’accusation.
Cette situation, injuste en soi, est rendue encore plus révoltante par l’impunité totale dont jouissent quatre ou cinq personnes accusées par la justice internationale d’avoir assassiné Rafic Hariri, et dont le secrétaire général du Hezbollah a assuré qu’elles ne seront arrêtées – ou encore que personne n’osera les arrêter – ni aujourd’hui ni dans cent ans ; le sentiment d’injustice est exacerbé en outre par l’extraterritorialité dont jouissent certaines régions contrôlées par le Hezbollah, où même l’armée n’a pas le droit de pénétrer, par la libération après cinq mois de détention d’un militant du Hezbollah accusé d’avoir abattu un pilote d’hélicoptère de l’armée, et au bout de deux ans d’un agent coupable d’intelligence avec Israël.
Certes, le ministre de la Justice , Chakib Cortbaoui, conscient de la grave injustice de cette situation, a fait approuver le projet de construction d’une grande salle dotée d’un système de sécurité adéquat, près de la prison de Roumieh, susceptible de recevoir tous les islamistes arrêtés, qui sont passibles d’un jugement collectif. La réalité, en fait, dépasse la fiction. C’est à l’absence de cette salle que les islamistes doivent d’avoir passé déjà cinq années de prison sans être jugés, sans être même incriminés. Comme prisonniers d’opinion, on ne fait pas mieux.
« Jusqu’à quand faudra-t-il attendre ? » se sont longtemps interrogés les parents de ces détenus, qui ont frappé en vain à toutes les portes. Et si la construction de cette salle tardait encore ? Ne peut-on pas les juger à l’Unesco, comme on l’avait fait dans les années 60 après le putsch manqué du Parti national socialiste syrien ? Ou les juger dans une caserne de l’armée ? Pourquoi se comporter comme si les vidéoconférences n’avaient pas encore été inventées ?
En fait, on apprend, de source ministérielle informée, que le gouvernement songe sérieusement à l’une de ces solutions, à savoir leur jugement dans une caserne de l’armée, proche de l’Unesco. Et ce ministre d’assurer que le cas Mawlaoui doit être dissocié du dossier des détenus islamistes et n’a joué à ce niveau qu’un rôle de détonateur.
En effet, cette arrestation a été utilisée par les uns à des fins électoralistes, en prévision des législatives de 2013, sur fond de crise syrienne. On n’en veut pour preuve que leur protestation contre la manière dont Mawlaoui a été arrêté – par ruse, dans un centre social de Mohammad Safadi où il a été attiré par la promesse d’une aide de 750 000 LL, et sans mandat –, à l’exclusion des charges pesant sur lui dans une affaire de trafic d’armes à destination de l’Armée syrienne libre et d’appartenance à un groupe terroriste proche d’el-Qaëda.
« Il n’y aurait donc au Liban que des terroristes sunnites ? » relèvent les intellectuels de cette communauté, qui rappellent que les accusés du Hezbollah circulent au Liban en toute impunité, alors même qu’un mandat d’arrêt international pèse sur eux. Mais là s’arrête leur point d’interrogation, dans l’attente que la justice libanaise tire au clair l’affaire Mawlaoui, interrogé hier et qui doit être, mardi prochain, confronté à un complice jordanien arrêté par les services de sécurité libanais, avec l’aide d’un service secret étranger, si l’on en croit certaines sources.
Les affrontements entre Bab el-Tebbaneh et Jabal Mohsen, pour leur part, ne datent pas d’hier. Ils ne sont qu’un prolongement de l’affrontement qui a lieu en Syrie même et les affirmations de l’alaouite Rifaat Eid, chef politico-militaire de Jabal Mohsen, en disent long là-dessus. Pour ce dernier, seule une intervention de l’armée syrienne est susceptible de rétablir le calme à Tripoli. Une invitation on ne peut plus claire et effrontée à une nouvelle ingérence de l’armée syrienne au Liban.
Pour un député de l’opposition, si le plan syrien est clair, la réponse à ce plan l’est encore plus. Pas question de laisser l’armée syrienne pénétrer de nouveau au Liban, et la politique libanaise de « neutralité » à l’égard de la crise syrienne constitue la politique officielle du Liban.
C’est pourquoi, estiment les spécialistes, les responsables libanais doivent régler les divers aspects de la crise de Tripoli par le biais de la justice, et là où il le faut, par celui de la force. Et par l’édification d’un État fort où nul n’aura le droit, comme Mohammad Raad vient de le faire, de mettre en garde contre la délimitation de nouveaux périmètres sécuritaires, à partir de son propre étatillon.
Philippe ABI-AKLL’arrestation de Mawlaoui a servi, cette semaine, de détonateur à une situation complexe que seules une action conjuguée de plusieurs ministères et l’instauration d’un État pourront régler. L’explosion de violence à Tripoli s’explique facilement, quand on en analyse les causes : un dossier judiciaire remontant aux affrontements de Nahr el-Bared,...

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