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Liban - En dents de scie

Foi(e)s

Quarante-huitième semaine de 2011.
Ils auraient pu être drôles s’ils avaient eu fût-ce des mini-dons de mauvais comédiens. Même pas. Parce que, qu’ils soient du 8 Mars ou du 14, du centre ou des extrêmes, les hommes politiques libanais ont quelque chose de follement pathétique : ils sont persuadés, intimement, que leurs compatriotes sont totalement imbéciles. D’irrécupérables crétins qui croient tout ce qu’ils voient, tout ce qu’ils entendent.
L’espèce de mise en scène autour de la contribution du Liban au financement du tribunal spécial a transformé l’événement en un piteux vaudeville, où tout, pratiquement, y était : amants dans le placard, portes qui claquent, scènes de ménage, par-où-es-tu-sorti-je-ne-t’-ai-pas-vu-entrer, tics des uns et T.O.C. des autres, etc. Comme si les acteurs n’étaient pas au courant de la pièce qu’ils allaient jouer en trois actes ; comme s’ils n’avaient pas répété.
Acte I scène 1 : le Gérard Majax de la politique made in Lebanon, Nagib Mikati lui-même, sort un gigantesque lapin de son chapeau. Ce sera la présidence du Conseil qui paiera, via ce fourre-tout absolu qu’est le Haut Comité de secours, une sorte de tirelire destinée à indemniser les victimes de catastrophes naturelles ou de guerres, même celles générées par le Hezbollah contre l’ennemi dehors : Israël (2006), ou contre son ennemi du dedans : les autres Libanais (2008).
Acte I scène 2 : Nabih Berry sourit : son Khalil (le ministre de la Santé, Ali Hassan) a bien travaillé, la veille, à Damas. Il faut dire que le chef d’Amal a une tendresse particulière, qu’il ne veut pas (s’)expliquer, pour le TSL.
Acte II scène 1 : Hassan Nasrallah joue les duchesses offensées en égratignant, toutes griffes dehors, un Premier ministre qu’il a lui-même somptueusement cornaqué après la démission forcée de Saad Hariri et en se jetant à bras raccourcis sur le courant du Futur, c’est-à-dire sur l’immense majorité des sunnites, qu’il a notamment accusé de rallumer les feux mal éteints du... confessionnalisme. Lequel courant du Futur joue certes souvent au jeu préféré des leaders libanais : titiller la petite, la belliqueuse, la stérile identité libanaise (l’appartenance à une communauté ou à une secte), mais nous sommes là, avec cette attaque du patron du Hezb, dans le risible à l’état pur : ce n’est plus l’hôpital, mais l’Organisation mondiale de la Santé qui se moque de la charité.
Acte II scène 2 : Nabih Berry sourit. Modeste, comme le sont, il en est persuadé, les grands manitous. Sans oublier, naturellement, que le chef d’Amal a une tendresse particulière, qu’il ne veut pas (s’)expliquer, pour le TSL.
Acte III scène 1 : Saad Hariri investit le plateau par le truchement de son bureau de presse. On peut, et il faut, commencer à trouver légèrement saumâtre l’absence-bouderie du jeune héritier sans doute profondément blessé à l’ego, mais qui n’est sûrement pas le seul à être menacé ; il n’empêche : sa réplique à Hassan Nasrallah était tellement bien ficelée que ses arguments devenaient presque indiscutables.
Acte III scène 2 : Tellement, que Nabih Berry a souri encore plus largement. Il faut rappeler, n’est-ce pas, que le chef d’Amal a une tendresse particulière, etc.
Ils auraient pu être drôles si, dans le fond, cela n’était pas aussi dangereux.
En privilégiant cette prestidigitation du pauvre, Nagib Mikati a certes montré qu’il est désormais bien plus à la hauteur de ce poste qu’il avait commencé par usurper. Bien plus à sa place. Il n’en reste pas moins que le Premier ministre, après le Hezbollah et ses blitzkriegs contre les débits d’alcool à Nabatiyeh, a grandement propulsé le Liban dans la spirale de la division, des fédérations et des cantons : c’est donc aux sunnites de payer pour connaître la vérité sur l’assassinat d’un Premier ministre ? C’est inouï.
Quant à Hassan Nasrallah, il a pour une fois perdu pratiquement toutes ses qualités politiques : la logique, la technicité et la scientificité de l’argument, l’ampleur, le charisme, tout, sauf la mauvaise foi. À sa décharge, le patron du Hezb est totalement empêtré dans la corédaction, avec certains ayatollahs d’Iran, de la feuille de route de son parti pour l’après-Assad : avec un Iran totalement acculé, entre l’Occident, la Turquie, les islamistes qui gagnent partout dans les pays arabes et dont l’oreille sera bien plus tendue vers Riyad et Doha que vers Téhéran, et une Syrie qui va bientôt s’anamorphoser, le Hezbollah va vite se retrouver obligé, sous intraveineuse de Xanax, de revoir toute sa stratégie. Ce qui explique probablement l’inédite posture d’épicier de son chef, qui a exigé de Nagib Mikati toute une série de desiderata en contrepartie de sa mansuétude, de son abnégation en faveur de l’intérêt national ; des exigences qui ne sont que celles de son radeau de la Méduse à lui ; de celui qui sera bon gré mal gré, dès la chute de la maison Assad, son seul allié – et encore : Michel Aoun.
Bref. Maintenant que c’est fait, et en attendant mars 2012 où il faudra tout refaire, il serait grand temps de passer à autre chose. À des questions bien plus primordiales que les pantagruéliques et haussmaniens projets du CPL ; plus importantes même que les agressions de plus en plus flagrantes de la Syrie contre le Liban ou le vandalisme de la station électrique de Zahrani par des hommes armés, des questions essentielles pour la suite : comment jauger l’infini bonheur de Nabih Berry maintenant que le TSL (qui a accusé quatre membres du Hezbollah...) vient d’être légitimé par un gouvernement hezbollahi ?
Tout cela rend Nagib Mikati finalement bien plus sympathique. Même si les Libanais auraient adoré voir sa réaction si Damas n’avait pas imposé ce financement....
Quarante-huitième semaine de 2011.Ils auraient pu être drôles s’ils avaient eu fût-ce des mini-dons de mauvais comédiens. Même pas. Parce que, qu’ils soient du 8 Mars ou du 14, du centre ou des extrêmes, les hommes politiques libanais ont quelque chose de follement pathétique : ils sont persuadés, intimement, que leurs compatriotes sont totalement imbéciles....

commentaires (4)

Cette piéce de théatre un peu rébarbative, mais bon c'est du Makhoul pur jus, dit une chose nouvelle dans son acte III scéne 1, Hassan N. il a pour une fois perdu toutes ses qualités etc... c'est nouveau ça ! faut il comprendre qu'à vos yeux il en avait , des qualités ? jamais dans tous vos commentaires on ne l'avait ressenti, c'était plutot la brute épaisse, sans imagination, gros sabots belliqueux etc... Eh bien pour une fois Ziad, votre article est à contrario trés bien fait.

Jaber Kamel

13 h 07, le 03 décembre 2011

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Commentaires (4)

  • Cette piéce de théatre un peu rébarbative, mais bon c'est du Makhoul pur jus, dit une chose nouvelle dans son acte III scéne 1, Hassan N. il a pour une fois perdu toutes ses qualités etc... c'est nouveau ça ! faut il comprendre qu'à vos yeux il en avait , des qualités ? jamais dans tous vos commentaires on ne l'avait ressenti, c'était plutot la brute épaisse, sans imagination, gros sabots belliqueux etc... Eh bien pour une fois Ziad, votre article est à contrario trés bien fait.

    Jaber Kamel

    13 h 07, le 03 décembre 2011

  • "Il faut dire que le chef d'Amal a une tendresse particulière qu'il ne veut pas (s')expliquer ("le coeur a ses raisons..."), pour le TSL. Ziyad Makhoul vous êtes génial !

    Halim Abou Chacra

    05 h 03, le 03 décembre 2011

  • Belle pièce de théâtre que vous avez bien brossé en plusieurs actes dans un pays ou de tout bord on ne fait pas de politique avec un bon cœur ,et ou touts nos politiciens sans aucune exception regardent la foi aveugle de travers. Antoine Sabbagha

    Sabbagha Antoine

    03 h 49, le 03 décembre 2011

  • Monsieur Ziad Makhoul, comme à votre habitude, superbe ! Il est plus que vrai que nous avons, comme souvent je l'avais répété, à qui voulait l'entendre, des responsables/irresponsables Élus, que nous avons élus nous mêmes. Nous en avons des renards, des moutons de Panurge, des autuches, des dindons, comme nous en avons aussi des loups. Les renards prennent les gens pour des imbéciles, comme vous le dites si bien. Les moutons de Panurge suivent docilement et bêtement le troupeau dirigé par le mouton-guide et se jettent après lui, et avec lui, dans le gouffre. Les autruches et les dindons sont pour la consommation car frappé et de bêtise et d'incapacité. Et les loups terrorisent la population pour la maintenir dans la crainte de demain et dans l'insécurité, se trimballant librement dans la bergerie et semant souvent troubles et parfois terreur. Combien les fables de Lafontaine s'appliquent à nos responsables/irresponsables Élus ( majuscule par politesse uniquement ). Anastase Tsiris

    Anastase Tsiris

    03 h 00, le 03 décembre 2011

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