Lorsque j’ai rencontré le directeur médical du MLH (Mount Lebanon Hospital), le Dr Élie Gharios, en janvier 2006 pour discuter du service de psychiatrie que j’allais ouvrir, il m’a demandé de quoi j’avais besoin. « D’infirmiers et d’aides-soignants suffisamment en nombre. »
« Pourquoi ? Dans les asiles, on utilise la camisole de force, les électrochocs ou la chambre d’isolement en cas de grave agitation, m’a-t-il dit. Et les infirmiers et aides-soignants en nombre remplacent la camisole de force, les électrochocs et la chambre d’isolement ? » Ce à quoi je lui réponds : « Oui, à la contention, je préfère la contenance. »
Treize infirmiers et aides-soignants furent donc alloués au service de psychiatrie. Avec eux, trois psychiatres et une psychologue constituaient l’équipe.
Ainsi, pendant 20 ans et encore aujourd’hui, ce service n’a eu besoin d’aucune mesure de contention.
Dans les hôpitaux psychiatriques classiques, ce qu’on appelle les « asiles », ces mesures sont utilisées parce que les soignants sont peu nombreux. Et lorsqu’un patient s’agite ou devient agressif auprès des autres, on utilise camisoles de force, électrochocs et chambre d’isolement.
Le premier psychiatre à avoir libéré les « malades mentaux » de leurs chaînes est le Dr Philippe Pinel, aliéniste. En août 1793, nommé médecin-chef de l’hôpital Bicêtre, il brise les chaînes des aliénés et institue le « traitement moral ». Il est considéré comme le fondateur de la psychiatrie « par amour de l’humanité ».
Cette très belle appellation montre qu’avant lui les « fous » étaient considérés comme des animaux sauvages qu’il fallait enchaîner. La raison est simple : les fous expriment tout haut ce que les gens, dits « normaux », pensent tout bas. On les isole donc pour ne pas les entendre.
Contrairement à la contention, la contenance permet de « traiter » les patients en étant présents auprès d’eux, en les écoutant et en les accompagnant le temps de leur séjour dans le service. Ces mêmes patients, suivis à l’extérieur, ont besoin d’être hospitalisés lorsque dans des circonstances multiples, vie familiale, conjugale ou professionnelle devenue impossible, le patient se retire et demande à être hospitalisé. Il peut être hospitalisé à la demande d’un tiers, sa famille par exemple. Il peut être hospitalisé aussi à la demande du préfet, en France, ou d’office, contre sa volonté, par le procureur au Liban s’il s’avère devenir dangereux pour lui ou pour les autres.
C’est de fait une révolution. Lesdits « malades mentaux » redeviennent des personnes vivantes comme les autres, méritant le respect et engagées dans un dialogue. Ce changement est dû en partie à la psychanalyse qui a montré que l'on pouvait écouter l’inconscient, lieu de tous les refoulements, où l’homme rejette ce qui lui est difficile, voire impossible à entendre.
Ainsi, habituellement et depuis l’enfance, ce qui est interdit, voire tabou, ce que l’enfant exprime sans aucune censure, comme par exemple « maman, quand je serais grand, je t’épouserais », les fous peuvent le dire sans aucune censure. D’où la peur qu’ils suscitent et leur enfermement dans les asiles. Aujourd’hui, la politique de santé pour la psychiatrie a changé. En Europe, les services de psychiatrie sont de plus en plus situés dans les hôpitaux généraux, et les asiles ont tendance à diminuer, voire à disparaître.