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Liban

Lettre ouverte à Samir Geagea

Cher M. Geagea,


La Chambre des députés est sur le point d’entériner demain, sauf deus ex machina, l’acte irréparable de décès de la formule libanaise du vivre-ensemble et du pacte national, chère à Michel Chiha, Béchara el-Khoury et Riad el-Solh, renouvelée, depuis, au moins à deux tournants historiques : l’accord de Taëf, avec ses tares et ses imperfections, et le serment civil du 14 mars 2005.


C’est au nom d’une revendication identitaire combinée à des exigences d’une meilleure représentation au plan parlementaire que la grande majorité des députés des partis chrétiens affiliés au 14 Mars serait sur le point d’avaliser la proposition suspecte du Rassemblement dit orthodoxe, qui ramène, au plan politique, le citoyen libanais au simple stade d’un sujet de sa communauté religieuse, sinon de sa « tribu » sectaire. Il m’apparaît inutile de revenir sur le caractère suspect de la proposition en tant que telle dans son timing actuel, tant le groupe de personnalités politiques qui fait le gros du Rassemblement orthodoxe en question est connu tant pour son allégeance au régime syrien que pour sa sympathie à l’égard de la stratégie identitaire de Moscou dans la région, et donc pour son adhésion implicite au projet iranien dit de « l’alliance des minorités » au Proche-Orient. Tout cela a été largement expliqué et argumenté depuis que cette proposition piégée a été balancée sur la scène politique locale, dans la seconde moitié de l’année 2011, c’est-à-dire l’année par excellence du printemps arabe.

Cher M. Geagea,
Je ne prends pas la peine de m’adresser au chef du parti Kataëb, l’ancien président de la République, Amine Gemayel, ou au député Samy Gemayel, que je sais être un partisan convaincu de cette loi. Je sais que c’est notamment par conviction idéologique que mon camarade de faculté Samy, un adepte de Will Kymlicka, a fait ses choix.
Je ne prends pas non plus la peine de m’adresser au Hezbollah, qui s’amuse de voir le 14 Mars empêtré dans ses propres « manœuvres », et d’alimenter indirectement la crise institutionnelle qu’il souhaite voir durer au Liban, alors que lui participe tranquillement à l’épuration ethnique menée par le régime syrien dans la région de Homs. Encore moins au Courant patriotique libre, Michel Aoun ayant fait ses choix populistes, sectaires et suicidaires depuis longtemps.


Non M. Geagea. La question qu’une grosse partie de l’opinion publique nationale, en général, et chrétienne, en particulier, se pose est la suivante : mais qu’est-ce les Forces libanaises sont venues faire dans cette galère ? Elles n’ont en effet plus rien à gagner ou à prouver à la droite de l’échiquier politique chrétien, leur autorité à ce niveau étant plus qu’établie et les équilibres de force entre les partis chrétiens de l’ancien Front libanais (Kataëb, FL, PNL et, dans une certaine mesure, Aoun) étant inchangées et inchangeables. Comment l’homme qui a été le plus loin parmi les anciens chefs de guerre dans la promotion et la défense, depuis 2005, de la symbolique de l’instant fondateur du 14 mars 2005, du discours national et des valeurs républicaines, au point de devenir la cible privilégiée des assassins, peut-il se retrouver aussi soudainement retranché dans le plus petit carré sectaire, en porte-à-faux avec lui-même ? Comment le leader qui a su reprendre, aux yeux du public islamo-chrétien du 14 Mars, le flambeau du souverainisme après le coup de force du 7 mai 2008, la « désertion » de Walid Joumblatt et l’équipée absurde de l’initiative saoudo-syrienne menée par Saad Hariri, puis qui a été le plus loin dans la défense du printemps arabe et de la révolution syrienne, loin du discours chrétien malade dhimmi et apeuré, peut-il aujourd’hui se retrouver embourbé dans un projet réducteur et risible qui ne ressemble en rien à son discours des six dernières années ?


L’intérêt des chrétiens est-il, à ce moment-charnière de l’histoire de la région, de se replier dans un enclos identitaire, ou d’exprimer plus que jamais leur être culturel au côté de leurs alliés musulmans démocrates-libéraux, dans un projet d’avenir ? L’enjeu, quel qu’il soit – la volonté d’une représentation politique plus importante ou une surenchère chrétienne pour contrer le populisme aouniste – mérite-t-il vraiment ce sacrifice, ou plutôt ce suicide politique ? À quoi cela sert-il de se battre si, au bout du compte, l’on se laisse emporter, attirer et terrasser, inéluctablement, sur le terrain de son ennemi ?

Cher M. Geagea,
Depuis l’an 2005, encore une fois, vous avez rigoureusement défendu, sans erreur aucune, les valeurs de la République. Il est en votre pouvoir unique, aujourd’hui, de ne pas contribuer à l’assassinat de cette dernière (et de la symbolique du 14 mars 2005 avec), voire même de la sauver, en refusant de voter pour la loi sordide d’Élie Ferzli.
Vous avez présenté des excuses une première fois pour les atrocités commises par les FL durant la guerre civile, avec un courage salué par l’opinion publique libanaise.


Rien ne vous empêche, aujourd’hui, de rééditer cet exploit valeureux par un sursaut historique à caractère national, plutôt que de cautionner cette véritable atrocité pour l’âme libanaise qu’est la proposition Ferzli.
Les moments de vérité sont toujours les plus durs ; l’on y est, c’est bien connu, encore plus solitaire qu’en prison.
Alors, bon courage.

 

 

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Cher M. Geagea,
La Chambre des députés est sur le point d’entériner demain, sauf deus ex machina, l’acte irréparable de décès de la formule libanaise du vivre-ensemble et du pacte national, chère à Michel Chiha, Béchara el-Khoury et Riad el-Solh, renouvelée, depuis, au moins à deux tournants historiques : l’accord de Taëf, avec ses tares et ses imperfections, et le...

commentaires (9)

Cher Michel , Ta lettre met chaque zaïm en face de ses responsabilités , chaque citoyen libanais aussi ! Que tous les citoyens libanais se réveillent et disent leur soutien à ta démarche sinon demain sera trop tard . Merci encore cher Michel. adel hamed .

Hamed Adel

16 h 37, le 14 mai 2013

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Commentaires (9)

  • Cher Michel , Ta lettre met chaque zaïm en face de ses responsabilités , chaque citoyen libanais aussi ! Que tous les citoyens libanais se réveillent et disent leur soutien à ta démarche sinon demain sera trop tard . Merci encore cher Michel. adel hamed .

    Hamed Adel

    16 h 37, le 14 mai 2013

  • M. Hajji Georgiou, vous cherchez avec votre plume à terrasser le dragon de la proposition de loi ferzliotte, comme d’autres pendant la guerre, ont terrassé leurs rivaux par le feu, et je vous en félicite. Pour rappel, je ne me déplace que rarement, pour des raisons éminemment sécuritaires, et c’est mon vice-président, dans lequel j’ai peut-être confiance, qui est chargé de faire la liaison entre mon quartier général et la sous-commission parlementaire. Si je vous ai bien compris, cette proposition de loi ressemble à un jeu d’échec où les pions noirs jouent contre les pions noirs. Autant dire que pas de jeu électoral du tout ! Vous avez raison qu’il faut faire avancer la démocratie et ne pas se contenter comme Aoun, de se faire élire au Kessrouan uniquement par des voix maronites. Ce soir, comme Napoléon sa Joséphine, je consulterai ma muse politique, ma chère et tendre épouse. Si elle se montre hésitante, je lui rappellerai l’éternel serment de Gerbran Tuéni, et si Dieu le veut, vous aurez probablement ma réponse lors de la prochaine réunion. Salut ! Meerab sur colline, S.G. dit Hakim.

    Charles Fayad

    14 h 49, le 14 mai 2013

  • La fondation Kamal Batal pour les droits de l'homme approuve totalement et sans aucune equivoque le contenu de votre lettre et se met a la disposition de toute activite visant a cosolider la mission de notre cher Pays.

    AL BATAL ELIAS KAMEL

    11 h 12, le 14 mai 2013

  • TRÈS BELLE LETTRE.... malgré que "quelqu'un?" avait déjà bien prédit "qu'avec DEUX NÉGATIONS on ne bâtit pas une Nation." !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    09 h 39, le 14 mai 2013

  • Je dirai au Hakim et aux autres : la formule "FERZLIOTE" comme adoptée est une moitié sans tête qu'il faut REFUSER, CAR SANS TÊTE POINT DE VIE... SANS "CHACUN CHEZ SOI ET TOUS ENSEMBLE" ELLE EST UN SLOGAN VIDE DE SENS ET UN CORPS VIDE DE VIE !

    SAKR LOUBNAN

    09 h 11, le 14 mai 2013

  • Encore une initiative courageuse de M Hajji Georgiou qui clame haut et fort ce que beaucoup pensent. Etre Libanais implique pluralisme et ouverture vers l'autre; l'autre, au Liban, c'est le Chretien et le Musulman, oui, c'est le Liban pour lequel tous se sont battus. Ce projet infame dit orthodoxe fait eclater toute l'identite du Liban irremediablement, et je pese mes mots. Ce que les bombes n'ont pas pu faire, les elus du peuple le preconisent; un comble.

    CM

    08 h 29, le 14 mai 2013

  • Il m'est strictement impossible, en tant que Libanais chrétien maronite -et je suis certain que c'est le sentiment de la majorité des Libanais chrétiens maronites- de comprendre comment les Kataeb et le parti des Forces libanaises aient pu adhérer à ce "projet sordide", comme vous le décrivez bien, M Hajji Georgiou. Il est cent fois sordide, cent fois subversif, le projet de Ferzli, qui représente un groupe du front des laquais les plus laquais du régime le plus exécrable et le plus sordide du monde, pour n'avoir permis un seul jour de tranquillité au Liban depuis qu'il existe par malheur de la Syrie comme on le voit bien, soit depuis 43 ans. Il m'est strictement impossible de comprendre comment Bkerké ait pu permettre un tel projet-aberration, qui est une négation du Liban et de sa signification comme "pays message", tel que défini par le grand pape Jean-Paul II. Le refus net de ce projet par les Kataeb et les Forces libanaises, en conséquence de ces considérations, aurait été le meilleur moyen de faire face au populisme suicidaire et aux surenchères du général Aoun. Cela dit, la médiocrité du courant du Futur, qui en trois mois est incapble d'aider ses alliés à élaborer un autre projet de loi électorale acceptable, dépasse toutes les limites.

    Halim Abou Chacra

    05 h 46, le 14 mai 2013

  • Bravo monsieur Michel Hajji Georgiou pour votre Lettre ouverte adressée à M. Samir Geagea dans le journal OLJ du 2013/05/13. Là je me tais pour faire bonne figure au journal LOJ à partir de mes ± 14000 km de distance de Beyrouth. Elias W Chalhoub Chalhoub Elias

    Chalhoub Elias

    03 h 50, le 14 mai 2013

  • BRAVO MICHEL HAJJI GEORGIOU, ON VOIT CLAIREMENT QUE CHACUN POUR SOI DANS NOTRE PAYS ET PERSONNE JE DIS BIEN PERSONNE TRAVAILLE DANS L'INTERET DU PAYS. CHAQUE ZAIIM VEUT GARDER LA MAIN SUR SON TROUPEAU. ET TOUTES CES MËME FAMILLES QUI NOUS EXPLOITENT DEPUIS TOUJOURS SE SONT MISE D'ACCORD À NE JAMAIS ËTRE D'ACCORD.

    Gebran Eid

    02 h 03, le 14 mai 2013

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