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Mandat d’arrêt contre Béchir : le Soudan retient son souffle - Analyse

Mandat d’arrêt contre Béchir : le Soudan retient son souffle

Une décision de la CPI d'inculper le président soudanais risque d'envenimer la situation dans le plus grand pays d'Afrique et menace de faire dérailler le fragile processus de paix.

Le suspense doit prendre fin le 4 mars. Date que les juges de la Cour pénale internationale (CPI) ont choisie pour rendre leur décision sur l'émission ou non d'un mandat d'arrêt contre le président soudanais Omar el-Béchir pour son rôle présumé dans le conflit au Darfour. Lorsqu'il avait réclamé aux juges ce mandat d'arrêt en juillet dernier, le procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, avait accusé M. Béchir de génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité au Darfour, une région en proie à une guerre civile qui a fait 300 000 morts depuis 2003, selon l'ONU, 10 000 selon Khartoum. Dans sa requête, le procureur de la CPI affirme que le président soudanais « a, de façon spécifique et à dessein, pris pour cible des civils qui ne prenaient part à aucun conflit, dans l'intention de les détruire en tant que groupe ». Les populations visées, appartenant aux ethnies Four, Masalit et Zaghawa, ont été victimes de meurtres, viols, tortures, pillages et de déplacements forcés, toujours selon l'accusation.
Si mercredi les juges décident - comme pressenti - de lancer un mandat d'arrêt international contre le président soudanais, ce dernier deviendra le premier chef d'État en exercice à être inculpé par la CPI, et le troisième rattrapé par la justice internationale après les présidents yougoslave Slobodan Milosevic et libérien Charles Taylor.
 
Des signes de bonne volonté
Face à une telle éventualité, quelle sera la réaction des autorités de Khartoum? Durciront-elles le régime ou décideront-elles de jouer l'apaisement ? Le Soudan, qui ne reconnaît pas la CPI, a déjà annoncé que l'émission d'un mandat d'arrêt contre son président serait « une décision mort-née ». Toutefois, depuis l'annonce d'une éventuelle inculpation du président Béchir par la CPI, les autorités soudanaises ont multiplié les signes de bonne volonté sur la voie de la paix. Le 17 février, à Doha, le gouvernement a conclu avec le groupe rebelle le plus actif du Darfour (Mouvement pour la justice et l'égalité - JEM) un accord ouvrant la voie à une cessation des hostilités dans cette région. Khartoum espère qu'en s'impliquant davantage dans la paix, un éventuel mandat d'arrêt contre le président Béchir n'aura plus d'effet. « Un mandat peut très facilement être oublié », si le Soudan agit sur la voie de la paix et de la démocratie, a récemment déclaré un porte-parole du gouvernement, Abdel-Attieh Rabie.
Jeudi dernier, le président Béchir a dit vouloir organiser « des élections libres dans un proche avenir » pour assurer la « stabilité » du Soudan. Faisant visiblement allusion à la CPI, il a également prévenu qu'aucune partie ne pourrait l'empêcher de mener à bien ce processus de démocratisation. Pour certains observateurs, le président, arrivé au pouvoir en 1989 à la faveur d'un coup d'État militaire, fera tout son possible pour gagner ces élections afin de rester à la tête du pays et continuer de bénéficier ainsi d'une immunité diplomatique. Aucune date n'a encore été établie pour la tenue de ces élections générales prévues par l'accord de paix global ayant mis fin en 2005 à la guerre civile entre le nord et le sud du pays. En vertu de l'accord, ces élections ne peuvent néanmoins se tenir sans la publication au préalable du recensement national, un enjeu crucial pour l'établissement des circonscriptions électorales et pour confirmer, ou réévaluer, le partage du pouvoir.
 
Craintes d'un « chaos sécuritaire »
Pour de nombreux diplomates et analystes, une éventuelle inculpation du président Béchir par la CPI risque de plonger le plus grand pays d'Afrique dans un « chaos sécuritaire ». Un mandat d'arrêt contre M. Béchir pourrait avoir des « conséquences très sérieuses » pour la « stabilité » du Soudan, a prévenu mardi dernier Li Chengwen, l'ambassadeur de Chine, allié stratégique de Khartoum exploitant d'importants gisements pétrolifères dans le Sud. Il pourrait faire dérailler l'accord de paix de 2005, déjà fragilisé, avec le Soudan-Sud. La semaine dernière, des affrontements entre éléments sudistes et nordistes ont d'ailleurs fait près de 50 morts et plus de 100 blessés. Certains diplomates occidentaux ont vu dans ce regain de violence un « avertissement » de Khartoum au Soudan-Sud signifiant que la guerre pourrait reprendre si les Sudistes ne soutiennent pas le président Béchir dans sa croisade contre la CPI.
La situation au Darfour, à l'ouest du pays, pourrait également s'envenimer un peu plus encore. De récents combats entre les forces gouvernementales et les rebelles ont obligé plus de 30 000 personnes à fuir leur maison. Les rebelles ont clairement fait savoir qu'un mandat d'arrêt de la CPI signifierait la « chute de Béchir ». Le chef du JEM, Khalil Ibrahim, avait même manifesté la semaine dernière sa volonté de « capturer » Omar el-Béchir et de « le remettre à la CPI » si ce dernier ne se rendait pas. « Si Béchir ne coopère pas avec la Cour pénale internationale, la guerre va s'intensifier », a-t-il ajouté.
 
Khartoum met en garde
De son côté, Khartoum durcit le ton et multiplie les mises en garde. Un mandat d'arrêt susciterait des réactions populaires hostiles vis-à-vis des étrangers au Soudan, a prévenu il y a deux semaines le chef de la Sécurité nationale, Salah Gosh. Ambassades, organisations internationales et humanitaires suivent de près la situation au cas où elles auraient besoin d'évacuer leur personnel et/ou leurs ressortissants. Jeudi dernier, deux employés soudanais d'une ONG humanitaire française ont déjà été retrouvés morts dans la région de Darfour-Sud. Et à la mi-janvier, les camps locaux des ONG Médecins sans frontières et Solidarités - qui fournissent une aide d'urgence à des milliers de personnes - ont été détruits et le personnel international a été évacué.
Mais les étrangers ne sont pas les seuls à être pris pour cible ces derniers jours au Soudan. Les partis d'opposition sont également menacés et les autorités soudanaises leur ont clairement conseillé d'adopter un profil bas. « Nous couperons la main à celui qui tentera de contribuer à la mise en œuvre de la décision de la CPI contre le président Béchir », a récemment menacé M. Gosh. « Nous étions des islamistes intégristes. Nous sommes devenus des modérés civilisés qui croyons en la paix. Nous redeviendrons des intégristes si nécessaire », a-t-il encore prévenu.
 
La communauté internationale divisée
À l'ONU, les dissensions au sein de la communauté internationale sont de plus en plus évidentes. Des représentants de l'UA et de la Ligue arabe, ainsi que la Russie et la Chine, souhaitent l'invocation de l'article 16 du statut de Rome, qui a créé la CPI. En vertu de cet article, le Conseil de sécurité peut adopter une résolution entraînant la suspension pour une période d'un an renouvelable de toute procédure engagée par la cour, même si un mandat d'arrêt a déjà été lancé.
Les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne refusent toutefois tout report d'une éventuelle procédure contre le président Béchir. « Nous ne voyons pas de circonstances ou d'autres actions en date qui changeraient notre jugement à ce stade selon lequel le recours à l'article 16 est infondé », a souligné il y a deux semaines Susan Rice, l'ambassadrice des États-Unis à l'ONU. Pour les Occidentaux, un report de la procédure contre Béchir porterait atteinte à la crédibilité de la Cour pénale internationale, surtout sur le continent africain. Depuis sa création en juillet 2002, la CPI a mené des enquêtes dans quatre pays d'Afrique et a lancé des mandats d'arrêt contre douze suspects, dont le ministre soudanais des Affaires humanitaires Ahmad Haroun et le chef de milice janjawid Ali Kosheib. Omar el-Béchir a toujours refusé de les extrader. Parmi les douze personnes inculpées par la CPI, seulement quatre - toutes des miliciens congolais - ont été arrêtées et transférées au centre de détention de la CPI à La Haye.
 
Les implications juridiques
Certains observateurs estiment néanmoins que l'émission d'un mandat d'arrêt par la CPI contre Omar el-Béchir aura certainement un effet négatif, mais « limité » sur la présidence de ce dernier. Godfrey Musila, chercheur à l'Institute for Security Studies, basé en Afrique du Sud, explique à L'Orient-Le Jour que même si un mandat d'arrêt est émis contre M. Béchir, le président soudanais continuera de bénéficier d'une immunité diplomatique tant au Soudan qu'à l'étranger, conformément au droit international. En principe, les pays signataires du statut de Rome sont tenus de coopérer avec la CPI. « Toutefois, souligne M. Musila, dans le cas du président Béchir qui occupe toujours ses fonctions de chef d'État, certains pays pourraient refuser de coopérer avec la CPI sous le prétexte de l'immunité diplomatique dont jouit l'accusé. » Selon cet expert en matière de crime international, la CPI ne peut obliger aucun pays à rompre ses relations diplomatiques avec Khartoum. « Même si un mandat d'arrêt est émis contre lui, Omar el-Béchir continuera d'exercer ses fonctions de président du Soudan, dit M. Musila. Mais si la décision du 4 mars lui est défavorable, il va devoir choisir avec beaucoup de précautions ses futures destinations et limiter ses déplacements aux pays "amis". »

 (Avec AFP)

Le suspense doit prendre fin le 4 mars. Date que les juges de la Cour pénale internationale (CPI) ont choisie pour rendre leur décision sur l'émission ou non d'un mandat d'arrêt contre le président soudanais Omar el-Béchir pour son rôle présumé dans le conflit au Darfour. Lorsqu'il avait réclamé aux juges ce mandat d'arrêt en juillet dernier, le procureur de la CPI, Luis...