
Fondée en 1989, à la veille de la fin de la guerre civile de 1975-1990, la chaîne de radio libanaise Light FM a réussi à adapter son modèle économique pour continuer à se financer malgré la crise qui a éclaté en 2019, en développant son activité de sonorisation des espaces publics, au Liban mais aussi dans d’autres parties du monde. Son directeur général, Karim Mansour, a récemment ouvert une filiale à Bruxelles pour acquérir de nouveaux clients en Europe. Il raconte à L’Orient-Le Jour comment son partenariat avec Soundtrack Your Brand, une plateforme développée initialement par Spotify destinée à ce segment d’utilisateurs, a vu le jour.
À quel moment Light FM a-t-elle décidé de lancer son activité de sonorisation-diffusion de musique d’ambiance des espaces publics ?
Light FM a commencé à offrir ses services aux entreprises souhaitant sonoriser leurs espaces commerciaux et environnements professionnels dès la fin des années 2000. Lorsque je suis devenu directeur général de Light FM en 2010 – l’une des sociétés gérées par l’entreprise familiale –, ce segment consacré à la sonorisation était encore une activité secondaire, parallèle à celle de la radio, avec un nombre de clients limités, tous au Liban. Nous leur proposions des services sur mesure, allant de la composition de playlists adaptées à un événement jusqu’à l’engagement de musiciens ou de DJ pour créer une ambiance musicale live.
Pour la musique préenregistrée, elle était diffusée à l’aide des moyens technologiques de l’époque, c’est-à-dire via des clés USB et des disques durs. Le streaming commençait tout juste son essor à l’échelle mondiale.
À quel moment avez-vous décidé d’investir du temps et de l’énergie au développement de ce domaine d’activité de niche ?
La question s’est posée à partir de 2015, pour deux raisons. Premièrement, Light FM subissait une baisse constante de ses revenus – provenant principalement de la publicité mais aussi de l’événementiel – depuis 2013. Cette tendance s’expliquait à la fois par la détérioration de la situation économique et politique du pays et par le déclin des médias traditionnels face à la concurrence croissante des plateformes numériques. À cet égard, il faut noter que la radio a été moins impactée que d’autres médias : la presse écrite, concurrencée par les sites d’information en ligne, ou la télévision, progressivement remplacée par les services de streaming.
Deuxièmement, nous menions depuis quelque temps déjà une réflexion interne sur la nécessité pour la station de trouver des débouchés à l’étranger, compte tenu des limites structurelles du marché libanais. Le commerce de la sonorisation des espaces s’est alors imposé comme la piste la plus prometteuse pour générer d’autres revenus et nous internationaliser. La problématique consistait alors à transformer notre approche pour passer d’un modèle sur mesure (notre savoir-faire) à une solution prêt-à-porter, pour reprendre la métaphore de l’industrie textile, en profitant de la notoriété de la marque Light FM dont nous avions affiné l’identité au cours des années.
Quelle a été l’étape suivante ?
À ce stade, nous disposions déjà d’une base de clients « corporate » – boîtes de nuit, banques, hôtels – pour lesquels nous avions élaboré des musiques d’ambiance. L’idée était de nous faire connaître dans le Golfe, et le défi était alors de nous faire une place sans risquer de tout perdre si un géant du streaming musical décidait de se lancer sur ce créneau.
La solution est justement venue de l’un de ces géants : Spotify, qui a lancé à la fin des années 2010 un service adapté aux professionnels. Pour faire court, diffuser de la musique dans ce cadre nécessite de payer des droits d’auteur et d’utilisation spécifiques. Spotify a donc lancé ce service pour répondre à une demande des propriétaires de restaurants et de bars à Stockholm, où se situe son siège. Ce qui n’était au départ qu’un simple département est rapidement devenu une filiale à part entière.
Où Light FM a-t-elle trouvé sa place dans cette nouvelle équation ?
Dès 2017, nous avons démarché Spotify pour devenir leurs représentants au Moyen-Orient, puis dans le monde à partir de 2022. Nous avons fait du chemin depuis en multipliant par dix le nombre de nos clients, qui tournent autour de 200, répartis dans plus de 25 pays aujourd’hui. Élie Saab, Azadea, Admic, le groupe Chalhoub ou encore Swiss Butter font partie de ce portfolio.
Notre expansion a été facilitée par le fait que Soundtrack Your Brand avait décidé de s’implanter en priorité sur le marché nord-américain et préféré s’appuyer sur des revendeurs dans les autres régions du monde. Light FM Business n’est cependant pas un simple revendeur de comptes permettant l’accès à la plateforme Soundtrack, une appli qui nécessite un abonnement mensuel de quelques dizaines de dollars par mois. C’est aussi et surtout l’outil que nous utilisons pour gérer la musique de nos clients en temps réel, grâce aux fonctionnalités disponibles. Cet outil permet de faciliter et fluidifier le processus, tant pour la personnalisation de l’ambiance musicale que pour la diffusion des morceaux sélectionnés.
Concrètement, comment cela fonctionne-t-il ?
Nous disposons d’une interface qui centralise les comptes de chacun des lieux gérés par nos clients, qui ont juste besoin d’installer l’application dédiée et de brancher l’appareil à partir duquel ils se connectent sur leur système de sonorisation. Par exemple, pour une chaîne de restaurants, tous les sites équipés d’un compte (au Liban ou à l’étranger) sont accessibles. Sur cette interface, un calendrier avec des plages horaires nous permet de « glisser-déposer » (drag and drop) des playlists préétablies ou créées en interne, qui s’enchaînent automatiquement. Le catalogue des musiques utilisables est très riche et les possibilités de personnalisation sont quasiment infinies.
Le client peut ainsi choisir une ambiance musicale calme de 8h à 10h du matin, lorsque l’activité est encore faible, puis passer automatiquement à une playlist plus énergique pendant les heures d’affluence. Tout cela est programmable à l’avance et modifiable en temps réel. Avant l’existence de cette plateforme, il aurait fallu effectuer d’innombrables déplacements pour déposer ou récupérer des clés USB et transmettre des instructions complexes, pour un résultat bien moins réactif et à un coût plus élevé. Désormais, le client installe l’application, se connecte, et nous prenons le relais à distance depuis nos terminaux. En étant cinq, nous pouvons gérer les ambiances de pas moins de 750 lieux.
Combien doit débourser une entreprise pour bénéficier de vos services ?
Il y a un abonnement de quelques dizaines de dollars par mois à payer par client dans chacun des emplacements où il souhaite utiliser l’appli. Notre marge est incluse. Le client est aussi responsable du règlement des droits d’utilisation de la musique, sauf en Amérique du Nord où tout est pris en charge par Soundtrack. Nous offrons enfin, pour un supplément, des services de conseil pour élaborer des ambiances musicales sur mesure, une offre personnalisée grâce à laquelle nous avons construit notre réputation et notre savoir-faire.
Aujourd’hui, est-ce que c’est Light FM Business qui fait vivre Light FM ?
Sur le plan financier, c’est on ne peut plus vrai. Mais les deux marques sont interdépendantes et ont chacune sa propre notoriété. Light FM reste très connue au Liban, tandis que Light FM Business se développe à l’étranger. Si la situation évolue positivement au Liban, la radio pourra redevenir financièrement autonome. En parallèle, nous continuerons de développer notre réseau de clients, en mettant désormais le cap sur le marché européen.
