Mais cheikh Ahmad el-Assir est passé maître dans l’art de la communication. Il a ainsi annoncé quelques jours à l’avance sa sortie de neige, accompagné de ses consorts. Trois à quatre bus donc. De quoi nous rappeler nos sorties d’école, les jours de congé. Ça tombe bien. Cette journée ensoleillée est jour de fête. Celle de la naissance du prophète Mohammad. Donc en quelque sorte, c’est Noël! Le bonhomme de neige est de circonstance.
Sauf que certains n’ont pas cru à ce conte si bien ficelé. Et, comme si le diable en personne s’invitait à leur table, plutôt que de verser dans l’angélisme, ils ont, comme aux pires jours de la guerre civile, tenté de barrer la route à ce convoi si «peu conventionnel». Il faut dire qu’au dos du bus, nul porte-skis en vue. Et les tenues de ces visiteurs tranchent avec l’habit des «autochtones». Pas d’après-skis aux pieds, et en guise de combinaison de ski, ces femmes arborent un semblant de burka. D’elles, on ne verra que les yeux. Et d’eux, une barbe si longue, qu’elle a dû éveiller des frayeurs liées à l’enfance chez ces anciens lecteurs de Barbe bleue. Donnant libre cours aux fantasmes...
Car le symbolisme, intentionnel ou non, de cette visite, est lourd de sens.
En effet, à l’ère de la vague salafiste qui a conquis et submergé les printemps arabes, sous le couvert de promesses si fragiles de démocratie, affadissant les rêves de libertés, et alors que le Liban-message, le Liban de la coexistence islamo-chrétienne se croyait à l’abri des courants extrémistes, le voilà qui découvre que cheikh Ahmad el-Assir offre au salafisme une belle place au soleil. Ce, par une franche immersion dans l’antre de la liberté: Faraya, témoin de tous les « libertinages » de la société libanaise... En effet, dans cette partie du Liban faite de chalets en montagne et d’hôtels, les couples non mariés peuvent passer des week-ends tranquilles, sans être dérangés. C’est aussi le paradis de la jeunesse, ses cimes renfermant, au fils des générations, nos secrets d’adolescence les plus farfelus, et les plus insouciants. Des premières cuites aux premiers baisers. Et, chaque hiver, un des événements phares de la saison est le défilé de mannequins en sous-vêtements dentelés et sexy, bravant le froid de la neige. Aussi, l’intrusion du rigorisme du salafisme ne pouvait-elle qu’y faire tâche.
Mais ces adeptes de la guerre préventive, qui ont eu ce geste malheureux, illégal, de barrer la route à leurs concitoyens, auraient dû au contraire se battre pour les laisser passer, et défendre cette liberté sacrée d’aller et de venir, sur le sol libanais, même s’ils sont en désaccord avec les croyances de leurs visiteurs. Car si Faraya, c’est le symbole de la liberté, cette liberté est en premier celle d’Ahmad el- Assir et de ses frères, sœurs, femmes, enfants de pratiquer leur droit de faire de la luge et découvrir les joies de la glisse.
Les habitants ont-ils eu peur que Voltaire ne foute le camp, une fois qu’el-Assir aura étalé sa tente sur la neige ?
Pour vérifier que Voltaire est encore là, au nom du respect des droits primordiaux rattachés à la personne, et garantis par la Constitution libanaise, ils n’avaient qu’à rendre la courtoisie, le dimanche, ou même le vendredi suivant. Et ce, par une visite au sud ou tout au nord du pays, dans le fief d’el-Assir. En short, décolleté, minijupe et top ou jean moulant, les cheveux au vent... Boire une bière, à Saïda. Et visionner un film américain à Tripoli. Ou encore, au centre de la capitale, à Dahyé.
Et conjurer le symbole de cette visite pour en faire un hymne à la liberté de tous les citoyens d’un même pays. En toute légalité.
Lina ZAKHOUR
Avocate à la cour
commentaires (9)
CORRECTION ! Merci : " sur leur Pseudo-arabisme Sectaire walïyyo-Hanafo-nusayrisé à la noix".....
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
04 h 48, le 02 février 2013