Rechercher
Rechercher

Liban - Patrimoine

Dar el-Opéra et l’hôtel Royal de Tripoli menacés par les démolisseurs

Alors qu'en hommage à la ville et à ses habitants Badr el-Hage publie un magnifique album relatant « Trablous al-Cham » au début des années 1900, la main de l'homme continue à dilapider le patrimoine architectural et à réduire en poussière la mémoire du Liban. Inscrits à l'inventaire des bâtiments protégés, illustrant plus d'un siècle de l'histoire sociale de Tripoli, l'hôtel Royal et le Teatro sont eux aussi menacés de disparition.

Le chemin de fer longeant la tour du Lion.

Dar al-Opéra ou le Teatro, ainsi nommé en raison de son style d'influence florentine, a été érigé pour le compte de Hassan al-Ingea, en 1885, par des artisans italiens. Inauguré en 1887, il a fonctionné sous l'Empire ottoman et ensuite sous le mandat français, accueillant de grands artistes du monde arabe tels Abdel Wahab, Mounira al-Mehdia (alias Sultana, détrônée plus tard par Oum Kalthoum), Youssef Wehbé, Nagib Rihani et tant d'autres. « Cet édifice présente un intérêt public au regard de l'histoire », a indiqué Toufic Sultan, un notable de la capitale du Liban-Nord, ajoutant qu'« il ne suffit pas d'émettre l'interdiction de le détruire. La municipalité et le ministère de la Culture doivent investir pour réhabiliter ce bijou architectural et le transformer en un centre culturel ». En mars 2009, 40 % du bâtiment avait été démoli avant que le ministre de la Culture, Tammam Salam, n'oppose son veto à l'opération, déclarant que les propriétaires fonciers (le député Mohammad Kabbara et Bassam el-Masri) ont « les ressources financières pour restituer à ce monument tout son lustre... ». C'était il y a un an et six mois. Aujourd'hui, les propriétaires brandissent un permis de destruction livré par l'actuel ministre de la Culture, Salim Wardy, qui tente pourtant lui aussi de mettre fin à l'érosion du patrimoine architectural ! Pressions politiques ? En tout cas, en l'absence d'une législation appropriée, les Libanais, prenant pour modèle les métropoles du pétrole, vont s'ingénier à couler leurs villes dans du béton.

Nervures, muqarnas et coupoles
Pour faire revivre le passé de la cité et pour qu'une tranche de son histoire ne sombre pas dans l'oubli, Badr el-Hage - auteur de plusieurs ouvrages, dont Des photographes à Damas et L'Orient des photographes arméniens - a pour sa part engrangé une documentation photographique (cartes postales) sur Trablous al-Cham, paru récemment aux éditions Kutub. La ville, saisie entre 1897 et 1940 par des photographes français ou autochtones, surgit fascinante, revêtant un attrait quasi magique... Du château des croisés à la place du Tell, en passant par el-Mina, le couvent des derwiches tourneurs surplombant le fleuve Abou Ali, la station de chemin de fer qui longe la tour des Lions (XVe siècle), et les plantations d'orangers et d'oliviers qui recouvraient la ville, les photographes ont promené leur objectif sur les sites historiques et les belles bâtisses d'époque ottomane (page 64 le Teatro et l'hôtel Royal) et immortalisé aussi bien des scènes de métiers, que des scènes rurales et des coutumes vestimentaires. L'aspect de Tripoli a énormément changé. Ses champs arboricoles, livrés au cours de la seconde moitié du XXe siècle aux promoteurs immobiliers, ont disparu. Ses quartiers à caractère traditionnel ont été démolis, ou défigurés, néanmoins le vieux centre urbain a su préserver jalousement son héritage croisé, mamelouk et ottoman. Il est désormais l'atout fondamental de la capitale du Nord, sa fierté et son identité. Mais aussi un périmètre exceptionnel pour la mémoire collective.
Tripoli est en effet l'« unique dépositaire de l'architecture mamelouke au Liban. À l'instar d'Alep ou de Damas, elle a conservé sa cité médiévale construite par les Mamelouks au XIIIe siècle, puis développée par les Ottomans au XVIe siècle. Se déployant sur 65 hectares au pied du château fort érigé en 1104 par les croisés, elle abrite des mosquées, des bains, des bazars et des halles à marchandises, parfois vieux de 700 ans.
Avec leurs nervures, leurs muqarnas et leur écriture kufie, une trentaine de mosquées et écoles coraniques (madrasas) constituent à elles seules un patrimoine culturel et architectural d'une grande valeur. Pour ne citer que la Grande Mosquée (Jami' el-Kabir), avec sa cour et ses arcades, édifiées entre 12941326 par le sultan Qalaoun et ses fils Khalil et Nassir ; la mosquée Abd al-Wahed et la structure originale de ses coupoles sur double tambour et la forme polygonale de son minaret ; la mosquée al-Attar (du parfumeur) datant de 1350, avec son portail à moqarnas et son haut minaret carré; al-Burtasiyat et sa madrasa, fondée avant 1381 par Isa, fils de Omar al-Burtasi ; l'école al-Qortawiyat offerte à la ville par l'émir -gouverneur (1316 à 1326) et la mosquée al-Dabbaghin (antérieur à 1477)... Elles sont cependant surpassées, en beauté et intérêt, par la mosquée Taylan érigée, à l'emplacement d'une église croisée, par l'émir Sayfeddine Taynal al-Nasiri, gouverneur de Tripoli de 1326 à 1333. Avec la splendeur de son pavement multicolore, son grand portail intérieur aux assises noires et blanches, son mirhab, son minaret à double escalier et la grande variété de ses nombreuses coupoles, elle est un des monuments les plus intéressants de Tripoli.
Les Mamelouks - qui ont construit des ouvrages militaires comme la tour des Lions au bord de la mer, des khans (al-Askar, al-Khayattine et al- Misriyine), et des souks (al-Haraj) - appréciaient aussi les plaisirs des bains. Outre hammam al-Nouri offert par Noureddine vers 1333, le prince Ezzedine Aïbak, gouverneur de Tripoli de 1294 à 1298, avait doté la médina d'un bain public (Hammam Ezzedine) qui est resté en usage tout au long des huit siècles derniers, jusqu'en 1975, début de la guerre civile du Liban. Construit, dit-on, à l'emplacement de l'église et de l'hospice Saint-Jacques datant de l'époque des croisades, le hammam a été exproprié par la Direction générale des antiquités (DGA) en 2002, et restauré grâce à un don de 330 000 dollars attribué par la Caisse arabe du développement économique et social. Il accueillera un espace culturel. L'apoditerium (première salle dans le circuit thermal) recevra des expositions et des concerts de musique classique ; le tepidarium (partie des bains tièdes) et le caldarium seront aménagés en espaces muséographiques pour présenter la fonction du hammam sous tous ses aspects sociaux, techniques, architecturaux et iconographiques...
Les Ottomans ont aussi laissé leur empreinte sur la médina qu'ils ont agrandie à la suite de leur occupation, en 1516. Des khans, d'un pittoresque intense, furent construits (Khan al-Saboun (XVIIe siècle). Des mosquées, marquées par l'élégance légère qui caractérisait la période, furent édifiées (al-Muallaq en 1559 ; al-Tahhâm, vers 1600 ; al-Tawbat ou mosquée du repentir, en 1612). Et un des plus beaux bains publics de la région, hammam el-Jadid - qui se distingue par sa somptuosité et sa richesse, la variété de ses coupoles et de ses carrelages - fut bâti en 1740, par Assad Pacha al-Azem. Selon un rapport de l'Unesco, les édifices de la médina, d'époques et d'intérêts divers, pourraient fournir « la matière d'une intéressante étude sur la coupole et plus que tous autres, les hammams en offriraient des exemples ».
En bref, Tripoli qui, à l'instar de Baalbeck, Byblos et Tyr, entend faire du tourisme l'un des secteurs moteurs de son économie, offre un site exceptionnel par sa beauté et son histoire. Le cachet oriental des rues étroites restées intactes, des monuments pris entre les maisons et les commerces en un jeu d'arcades, de voûtes, de coupoles et de minarets, devraient attirer les touristes étrangers de plus en plus nombreux à se rendre en Syrie, et tout particulièrement dans la vieille ville de Damas. Mais les quartiers vétustes de la médina, ses monuments délabrés, ses hammams livrés à l'abandon, ses maisons à cour où se cantonnent une population dense et pauvre, tombent en ruine. Le programme CHUD, financé à hauteur de 19 millions de dollars par la Banque mondiale, l'Agence française de développement (ADF) et le gouvernement italien, a été lancé pour préserver ce tissu urbain.
Dar al-Opéra ou le Teatro, ainsi nommé en raison de son style d'influence florentine, a été érigé pour le compte de Hassan al-Ingea, en 1885, par des artisans italiens. Inauguré en 1887, il a fonctionné sous l'Empire ottoman et ensuite sous le mandat français, accueillant de grands artistes du monde arabe tels Abdel Wahab, Mounira...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut