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À La Une - Théâtre

Cérémonial de la violence à Chatila par Genet

« Quatre heures à Chatila » de Jean Genet, dans une mise en scène de Stéphane Olivier Bisson, avec Carole Abboud, sur les planches du Monnot. Un texte dense, tendu, d’une poésie funéraire et déchirante. Oraison funèbre pour des morts sans sépulture. Pour un massacre, un charnier, un carnage, une barbarie insoutenable. Des mots, comme des diamants noirs, pour que nul jamais n’oublie...

Carole Abboud, diseuse, voix du poète Genet. Photo Michel Sayegh

Lumière blafarde et crépusculaire sur un décor d’apocalypse, de poussière, de gravats, de ruines et de destructions. Les souvenirs noirs émergent du passé. Chatila est encore sous le choc des armes, des couteaux, des haches. Les mouches bourdonnent, les morts jonchent le sol, l’odeur nauséabonde des cadavres déjà en putréfaction règne.
Dans ce paysage dantesque, cauchemardesque, dans ce paysage de fin du monde, une femme hébétée, titubante, blouse blanche sur un corps décharné, traverse la scène. Somnambulique comme une Lady Macbeth, portée par l’odeur du sang, elle bouche son nez des pestilences qui assaillent ses narines... Cette «diseuse» est la voix du poète visiteur: elle porte l’éclat de ses mots qui claquent comme un fanion au vent mauvais, aux premières lueurs du jour.
Rappel des faits, car cette œuvre de l’auteur de Notre-Dame-des-Fleurs est une déposition, un journal, un constat des lieux, un article politique, un reportage, un récit, un conte noir...


En septembre 1982, Jean Genet accompagnait Leila Chahid alors présidente de l’Union des étudiants palestiniens. Les massacres des camps de Sabra et Chatila commencent le jeudi 16 septembre et dureront deux jours. Le 19 septembre, Genet entre dans le camp de Chatila et sera le premier européen à voir les horreurs d’un innommable dérapage humain quand l’armée israélienne occupait Beyrouth...


Avec Genet tout est théâtre et ce texte, même s’il n’a rien de dramaturgique au sens premier du terme, a toutes les vertus oratoires pour être sous les feux de la rampe. Car ici, l’auteur (vagabond, voleur, homosexuel, délateur, défenseur de la cause des Noirs et des Palestiniens) réinvente son sens du cérémonial et étale les turpitudes d’une société méprisable. Il n’invite pas pour autant à la révolte, mais dépèce et dénonce la réalité.
Sans les provocations, les scandales, les faux-semblants de l’illusion, les fantasmes irréfutables, les outrances du langage (d’une grande richesse verbale) de son théâtre, la splendeur de son lyrisme opère ici en jetant les yeux sur un paysage dévasté et des morts aux membres sauvagement déchiquetés. Les images terribles et inhumaines dans leur horreur naissent d’un réalisme implacable. Comme un livre des comptes où les mots remplacent les chiffres.
La mise en scène, sage, grave et lente, est signée Stéphane Olivier Bisson. Louable projet que de mettre en lumière une des dernières œuvres de l’auteur de Haute surveillance en ces temps de violence extrême qui n’émeuvent plus personne (entre les morts à la pelle de la Syrie et de l’Irak).


On écoute ces propos du metteur en scène: «Le texte de Genet est un réservoir d’espérance, comme d’ailleurs tous ses derniers écrits (il est décédé en 1986). Il se heurte de front aux instincts humains les plus sombres. Ce qui me pousse aujourd’hui à vouloir que ce spectacle existe et soit vu le plus largement possible, c’est cette misère de la mémoire et l’impossibilité organisée de toute justice. Ces deux négationnismes écrasent ensemble des hommes et des femmes que je connais.»


Ces morts exhumés, cette vision effarante, cette putréfaction, cette pestilence, ces «mots pour ne pas consentir» (pour reprendre les termes de Sophocle), c’est Carole Abboud qui les porte sur scène, sur ses frêles épaules. En langue française. Sans emphase. Avec des surtitres en arabe sur petit écran au haut de la scène.


Une langue déclamée, qui a des éraflures orientales malgré un grasseyement soigné. Avec aussi un débit trop rapide et inaudible, surtout lorsque l’actrice monologue le dos tourné au public. Une voix monocorde qui s’empêtre et s’embrouille avec les mots et qui ne laisse pas savourer toutes les beautés et la puissance incantatoire d’un texte dont la maîtrise de la prononciation et l’articulation reste discutable. C’est une performance que de rester seule sur scène plus d’une heure avec un texte qui a la solitude, la cruauté, la puissance et la dépossession d’un Roi Lear shakespearien...De bons moments aussi pour cette actrice qui a déjà joué l’une des deux «bonnes» de Genet, en langue arabe, surtout quand elle imite, dans ce texte oppressant, étouffant, qui prend à la gorge comme une lame de couteau, la bourgeoisie beyrouthine.


Quatre heures à Chatila de Jean Genet est ici avant tout un somptueux poème funéraire, un tombeau-mausolée, avec des mots, pour des morts à qui on doit respect et souvenir...

* À partir de ce soir et demain dimanche, en français, puis du 22 au 27 janvier, en arabe, au théâtre Monnot, à 20h30. Billetterie dans toutes les branches de la librairie Antoine et au théâtre Monnot.

Fiche technique

Assistant à la mise en scène : Nasri N. Sayegh
Son : Yoann Perez
Assistant son : Hrayr Kalemkerian
Lumières : Hagop Der Ghougassian
Scénographie : Maya Khoury
Coproduction : théâtre Monnot, théâtre Paul Éluard de Choisy-le-Roi, avec le soutien de l’Institut français.

Lumière blafarde et crépusculaire sur un décor d’apocalypse, de poussière, de gravats, de ruines et de destructions. Les souvenirs noirs émergent du passé. Chatila est encore sous le choc des armes, des couteaux, des haches. Les mouches bourdonnent, les morts jonchent le sol, l’odeur nauséabonde des cadavres déjà en putréfaction règne. Dans ce paysage dantesque, cauchemardesque,...
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