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À La Une - Feuille de route

Criminel Kremlin !

Non, le peuple syrien martyrisé n’émeut pas Moscou.
... Que la Russie de Vladimir Poutine soit insensible, sur le plan strictement humain, aux souffrances endurées depuis près d’un an par les femmes et les enfants de Syrie aux mains des assassins du régime Assad n’a rien de particulièrement étonnant. Faudrait-il en effet en attendre beaucoup plus de la part d’une nation dont la puissance et la gloire de naguère ont été édifiées selon la tradition la plus pure, la plus authentique du despotisme oriental, tant du temps de l’autocratie tsariste que du totalitarisme soviétique ? À cette sanglante tradition, le césarisme poutiniste ne fait finalement guère exception; au contraire, il constitue en quelque sorte l’aboutissement parfait d’une longue histoire d’absolutisme, incarnant l’oxymore exemplaire, un effroyable bouquet de ténèbres, entre un impérialisme russe forcé par les contraintes de l’histoire et de la géopolitique, et un pragmatisme digne de l’athéisme soviétique – le tout au service d’un affairisme dont le seul dieu s’achète et se vend, et a pour nom Argent. Ce n’est donc pas sur le terrain des droits de l’homme, des libertés et de la dignité humaine que les révolutionnaires syriens, et ceux parmi les pays qui les défendent, qui par intérêt et qui par conviction profonde, pourront gagner la cause du dirigeant russe.
Quelques exemples récents montrent d’ailleurs que, confronté à ses choix stratégiques, le tsar de la Russie moderne ne s’embarrasse guère de sacrifier des vies humaines, qui plus est au sein de son propre peuple. Il suffit d’évoquer les scènes tragiques du carnage du théâtre de la Doubrovka à Moscou, le 23 octobre 2002, où 129 innocents périrent lorsqu’un agent chimique inconnu fut introduit dans le système de ventilation du bâtiment pour en finir avec une quarantaine de terroristes tchétchènes. Ou encore lorsque les troupes russes donnèrent l’assaut au moyen de lance-flammes à l’école de Beslan, en Ossétie, en septembre 2004, pour mettre fin à une prise d’otages perpétrée encore une fois par des séparatistes tchétchènes et dans laquelle 300 personnes, dont une majorité d’enfants, avaient trouvé la mort.
Mais Homs, Hama, Deraa, Idleb, pour ne citer que ces villes-martyres dans le lot, ne sont pas Beslan ou la Doubrovka, et les manifestants syriens ne sont pas des terroristes islamistes tchétchènes. La propagande officielle syrienne, plus personne n’en est dupe, sauf ceux qui veulent absolument y croire de toutes leurs forces, ainsi qu’une étrange nébuleuse hybride d’extrême droite et d’extrême gauche – représentée au Liban par les partis, courants et personnalités gravitant dans l’orbite iranienne et dans le sillage du Hezbollah – qui, un peu partout à travers la planète, continuent de soutenir pieusement Bachar el-Assad et ses hommes.
Étrange politique du bord du gouffre que mène la Russie au Moyen-Orient, à l’heure où, sur le plan stratégique, elle a tout intérêt à se ranger au côté des peuples, comme elle s’est d’ailleurs résolue à le faire finalement, bon gré mal gré, en Libye.
Une bien étrange politique d’abord au regard de l’islam : la Russie compte aujourd’hui 20 millions de musulmans sur une population de plus de 140 millions d’habitants, ce qui n’est pas quantité négligeable, et cette minorité conserve le plus fort taux de natalité du pays, ce qui en fait un acteur qui gagne tous les jours en ampleur au plan national. Comment Moscou peut-il supporter, partant, de se mettre en porte-à-faux avec la majorité du monde arabo-musulman ? Dans son discours, Vladimir Poutine, comme son prédécesseur d’ailleurs, s’est toujours bien gardé de placer la Russie en confrontation avec l’islam, en soutenant, non sans justesse et habileté, que la question tchétchène était une affaire de lutte contre le terrorisme dans une optique statonationale. La Syrie ne fait pas partie de l’hinterland russe, évidemment, même si le Kremlin entretient depuis toujours des liens solides avec le régime Assad. Les stratèges russes font-ils preuve de sagesse en s’aliénant la majorité du peuple syrien, qui, bon gré mal gré, constituera, avec ou sans l’appui russe au Conseil de sécurité, le nouveau régime à venir à Damas ? Font-ils vraiment le bon choix en s’opposant à une majorité arabe venue exprimer au Conseil de sécurité un soutien historique – du jamais-vu ! – à un peuple arabe par la voix du secrétaire général de la Ligue arabe, Nabil el-Arabi, et du chef de la diplomatie qatarie, Hamad ben Jassem ? Et qu’en est-il de l’importante minorité orthodoxe, que Moscou prétend tenir à cœur ? Si aucune fibre orthodoxe n’anime dans la réalité la politique russe, ne faudra-t-il pas au moins faire preuve d’un minimum de cohérence entre le discours et la pratique, et tenter d’assurer à la communauté orthodoxe la place qui lui revient de droit dans le processus de décision syrien – et qui a été annihilée par le Baas depuis près de 40 ans ?
Étrange, la politique menée par Moscou sur la crise syrienne l’est aussi pour une multitude d’autres raisons, notamment au regard de considérations géopolitiques. Le récent partenariat sino-russe sur la crise syrienne peut faire sourire. Les deux pays peuvent en effet s’épauler pour dénoncer « l’impérialisme américain » et consolider un partenariat commercial déjà établi. Ils peuvent aussi faire une coalition pour dénoncer le droit d’ingérence, qui pour continuer à réprimer le séparatisme tchétchène, qui pour continuer à écraser le Tibet, les deux au nom d’une ligue contre les droits de l’homme et la démocratie. Moscou peut aussi continuer, par calcul antiaméricain et antiatlantiste, à s’éloigner de l’Europe et à s’ouvrir sur l’Asie, notamment par méfiance vis-à-vis d’une extension manifeste de l’influence américaine, qui vient de plus en plus désormais jouer sur son terrain géopolitique naturel. Mais il faut cependant lui rappeler, encore une fois, que ce n’est pas en se mettant à dos les peuples arabo-musulmans pour un régime minoritaire que Moscou se gagnera les faveurs des pays de la région, ni en se mettant au ban de l’ensemble de la communauté internationale, en donnant à Washington ce doux plaisir de le voir s’acculer à défendre un des régimes les plus sanglants de l’histoire de l’humanité, et qui plus est voué tôt ou tard à disparaître. Est-ce par ailleurs en soutenant la répression continue du peuple syrien – qui affaiblira les démocrates et renforcera encore plus les islamistes – que la Russie entend lutter contre l’influence grandissante de la Turquie de Davutoglu, au sein de cette incessante Question d’Orient (notamment la question de l’accès aux mers chaudes) ?
Il ferait bon enfin de rappeler au dirigeant russe qu’il avait été l’un des premiers à hurler, de concert avec la France à l’époque, contre l’équipée unilatérale américaine en Irak. Au nom de quoi, de quels nouveaux gains faramineux, de quel ultime marchandage, de quelle vengeance mesquine, de quel infâme prétexte se permet-il aujourd’hui de faire face à l’ensemble de la communauté internationale, Assemblée générale, Conseil des droits de l’homme et Conseil de sécurité de l’ONU confondus, pour les beaux yeux d’un ophtalmologue assoiffé de sang et atteint de cécité ?
Non, le peuple syrien martyrisé n’émeut pas Moscou. ... Que la Russie de Vladimir Poutine soit insensible, sur le plan strictement humain, aux souffrances endurées depuis près d’un an par les femmes et les enfants de Syrie aux mains des assassins du régime Assad n’a rien de particulièrement étonnant. Faudrait-il en effet en attendre beaucoup plus de la part d’une nation dont la...

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