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Culture - Photo

Lara, Elsie, Chaghig et Myriam n’y vont pas par quatre chemins

Les quatre jeunes photographes présentent, en simultané, leurs œuvres à la galerie Janine Rubeiz, et tentent de disséquer, chacune à sa manière, ce fameux « Lieu commun »...

« The sand along the way » d’Elsie Haddad.

Lieu commun: le titre de cette exposition est intriguant. Qui dit « lieu commun » pense «banalité», cliché (tiens!), poncif, stéréotype... Sauf que l'expression, prise à la lettre, désigne aussi un espace ouvert à tous, un lieu de retrouvailles, de rencontre et de partage, physique soit-il ou des idées, des situations, des émotions...
À la galerie Janine Rubeiz, jusqu'au 18 août*, il y a d'abord la commune sensibilité artistique de Chaghig Arzoumanian, Lara Tabet et Elsie Haddad. Un trio d'artistes trentenaires qui partagent un même attrait pour la photo feutrée, le noir et blanc et la captation des transformations sociétales, en particulier celles du Liban contemporain. Trois photographes et amies qui ont déjà collaboré ensemble. Et notamment, en 2013, dans le cadre d'une précédente exposition collective organisée par la galerie Janine Rubeiz sur le thème des sols fluctuants (On Fleeting Grounds), allusion évidente aux inquiétants changements (infra)structurels du pays du Cèdre. Un trio complice – malgré des techniques et des regards différents – auquel est venue se greffer dans cet accrochage la toute jeune Myriam Boulos, 23 ans (lauréate de la Byblos Bank Award en 2014), dont l'expression, certes personnelle, s'accorde néanmoins avec celles de ses consœurs.
Sur les cimaises blanches et lumineuses de la galerie de Raouché, leurs 4 séries s'accordent, tant dans les formats, rectangulaires et aux dimensions modestes (18 x 27 cm), de leurs photos que dans cette même subtilité d'expression qui nimbe leurs images d'atmosphères se dévoilant doucement.

Fragile désert
Images silencieuses du désert jordanien aux alentours de Amman pour Elsie Haddad, qui a traité ce vaste espace (commun) au moyen d'une caméra argentique, avec des films périmés, «les seuls que j'avais sous la main», avoue-t-elle. Ce qui en a donné certaines vues plus éthérées que d'autres, suggérant avec plus d'insistance encore une certaine représentation de la solitude et du sentiment d'abandon. «Dans cette série, je voulais aussi montrer la fragilité de ces étendues dépouillées. Contrairement à la mer ou la forêt, qui absorbent beaucoup de choses, dans le désert, n'importe quel élément perturbe le paysage, puisqu'il y est immédiatement décelable. L'intrusion de l'homme en premier, laquelle se manifeste ici à travers une flèche signalétique, une pancarte, un barrage...» relève la photographe.

« Confort Zone »
Un portrait saisi sur le vif de sa maman rentrant d'une soirée, un autre de son père pensif, un troisième de sa grand-mère s'engouffrant doucement dans une voiture, ou encore ce complice duo de pieds masculin-féminin chaussés de derbies représentant le couple parental... Pour Myriam Boulos, le lieu commun se confond avec l'espace familial, le sien en l'occurrence. «Ces photos de membres de ma famille, je les avais prises tout au long de l'année écoulée, sans les envisager en tant que série. Mais en les regardant dernièrement, j'ai remarqué qu'elles formaient un ensemble», dit-elle. Sans doute parce qu'elles suggèrent quelque chose qui est de l'ordre du ressassement, de la répétition, de la zone de confort un peu lassante dans laquelle chaque personne portraiturée se retrouve.
En même temps, ces portraits, malgré leur force d'expression et leurs angles souvent non conventionnels, sont pour la jeune artiste l'expression même de sa propre zone de confort artistique. «C'est un travail dans lequel je suis à l'aise, je n'ai pas pris de risques. En fait, dans cette série, j'ai essayé de capturer chez les autres mon propre ressenti», reconnaît-elle.


(Lire aussi : Confinée et rassurée, ou libre et inquiète ?)

 

Quand les sorcières s'en mêlent
Des champs de tournesols aux pétales flétries évoquant une sarabande de sorcières en chapeaux pointus; une angoissante nuée d'oiseaux survolant une maison isolée; des champs brûlés par le soleil ou encore un plan rapproché sur un filamenteux objet non identifié... Les images de Chaghig Arzoumanian, photographe mais aussi cinéaste, sont imprégnées de fiction, de vibration, de narration. De lectures aussi. Celle d'un passage tiré d'un ouvrage de Marguerite Duras, intitulé Les lieux, dans lequel l'auteure revient sur l'origine du mythe des sorcières. «Ces femmes qui, à partir d'une solitude inimaginable pour nous maintenant, ont commencé à parler aux arbres, aux plantes, aux animaux sauvages, c'est-à-dire à entrer (...) en intelligence avec la nature, à renouer avec elle.» Dans la série qu'elle expose, Chaghig Arzoumanian explore cette perception des vibrations de la nature, de son intelligence, de ses frémissements à travers une expérience de vie en milieu rural (dans la campagne française) et totalement isolée. «À l'aide de ma caméra (argentique), j'ai cherché à voir la nature à la manière d'une sorcière. Je ne savais pas que mon film était brûlé. Il en a résulté des images un peu flippantes, cernées de plages blanches, qui dégagent un sentiment inhabituel.» Comme qui dirait habitées...

Noir, c'est noir
Chez Lara Tabet, le noir est plus noir que chez les autres. Il domine le blanc et donne à ses clichés, accrochés à la manière d'une succession de séquences d'un film, une expression d'une sombre puissance. Un baiser d'amoureux, une femme déambulant pensive dans la rue, un visage émacié, une jeune femme sur un lit d'hôpital (il s'agit en l'occurrence d'Elsie Haddad), ou encore un gros plan sur les points de suture d'une femme âgée alitée... Autant de clichés pris dans des lieux communs et déroulant un ensemble de situations somme toutes banales et qui sont un peu le lot de tout un chacun, mais qu'elle réussit à imprégner d'une ambiance artistique qui lui est propre. Amour, tristesse, hospitalisation ou réflexion... Des étapes obligées de toute vie que chaque individu expérimente cependant de manière singulière.
Quatre séries de photos différentes qui, au final, rappellent toutes au spectateur que les émotions qui les irriguent sont à la fois personnelles et communes.

* Raouché, imm. Majdalani, rez-de-chaussée. Horaires d'ouverture : de mardi à vendredi, de 10h à 19h, et samedi jusqu'à 14h. Tél. : 01-868290.

 

 

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