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Moyen Orient et Monde - Récit

Entre la vie et la mort... une journée dans les quartiers rebelles d’Alep

De la capitale de l'opposition syrienne, un journaliste raconte son quotidien.

Un casque blanc sur des bâtiments détruits par les raids du régime dans le quartier rebelle d’al-Machhad, à Alep. Fadi al-Halabi/AMC

Lorsqu'on me demande comment nous vivons en Syrie, je m'étonne toujours. Mais quand mon amie égyptienne May me demande comment on mange, je ne peux me retenir d'éclater de rire. Je réponds : « Nous sommes comme vous ! On aime, on prie, on pleure, on rit... »

Nous n'avons pas changé toutes nos habitudes. J'écoute jusqu'à tard dans la nuit mes chansons favorites, en tentant d'ignorer le bruit des obus. Mon ami et colocataire Fadi, lui, passe sans cesse d'une chaîne télévisée à l'autre pour regarder des matches de football, en montant au maximum le volume du poste télévisé pour pouvoir écouter les voix des commentateurs.

Les avions du régime me réveillent souvent très tôt, malgré tous mes efforts pour tenter d'ignorer leurs bruits désagréables. À chaque fois que je vois mon reflet dans le miroir, je subis le même choc : je ressemble à un personnage tout droit sorti d'un film d'horreur. J'ouvre le robinet, sans succès bien entendu. Il est rare qu'il y ait de l'eau à Alep. Mais grâce aux efforts d'organisations humanitaires et autres associations indépendantes, nous recevons de l'eau chaque 15 jours.

 

Ces gens n'ont que faire de la mort
Pendant ce temps, Fadi, qui est photographe, prépare son appareil et son matériel, et nous nous dirigeons vers le bâtiment de la Défense civile. La rue grouille de monde. Il semble que ces gens n'ont que faire de la mort, qui les guette de là-haut. Nous sautons dans un taxi – oui, il en reste à Alep – et, comme à son habitude, Fadi s'assoit à l'avant, près du chauffeur. Durant tout le trajet, il nous régale d'anecdotes qui n'ont rien de vrai, mais qui ont le mérite de rendre le trajet moins pesant. Je ne l'écoute pas, je suis plus occupé à contempler les rues détruites, les immeubles éventrés.

L'un des nombreux préjugés qui concernent la Syrie est que tout y est détruit. Il est vrai que l'aviation de Bachar el-Assad a rasé des zones entières. Mais d'autres quartiers, dont ceux par exemple qui sont tenus par l'Armée syrienne libre, sont très animés. Le mérite en revient bien entendu à la Défense civile, qui, après chaque raid, nettoie les décombres, rouvre les rues. En quelques heures, la vie reprend son cours normal dans les zones bombardées un peu plus tôt. Les facultés d'adaptation des gens face aux aléas de la vie m'étonneront toujours.

Nous arrivons à la Défense civile. Le commandant suit de près le mouvement des avions du régime dans le ciel. Il n'est supposé déployer ses hommes que si le ciel est vide, car au moins 130 membres de la Défense civile ont perdu la vie en Syrie depuis le début de la guerre. En général, lorsque le commandant donne le signal de départ, Fadi et moi sautons à l'arrière du pick-up avec les autres membres de la brigade, et le chauffeur du véhicule se dirige à toute vitesse vers l'endroit visé par les raids. Il semblerait que, cette fois-ci, ce soit le quartier d'al-Machhad qui ait été visé. Pendant ce temps, Fadi ajuste son appareil photo et multiplie les clichés, sans oublier d'en prendre un de nous, ne serait-ce que parce que nous pouvons mourir d'une minute à l'autre.

 

(Lire aussi : En Syrie, la recherche à l’épreuve de la guerre)

 

Les cris de cette mère
En arrivant sur les lieux visés par le raid, je ne vois rien ; la poussière m'empêche de distinguer quoi que ce soit à plus de quelques mètres. Les membres de la Défense civile, en revanche, ont déjà disparu dans les décombres à la recherche de blessés. Entre-temps, les ambulances sont arrivées. L'odeur du sang se mêle à celle de la poussière ; peu à peu les membres déchiquetés des victimes du raid apparaissent ici et là ; au fur et à mesure les nuages de fumée se dissipent. Soudain, l'un des membres de la Défense civile apparait, portant sur son dos un enfant aux bras ballants, suivi d'une femme qui semble être la mère du petit garçon. On a beau s'habituer à la violence, les cris de cette mère voulant serrer son enfant une dernière fois resteront à jamais gravés dans ma mémoire. Plus de 12 personnes sont mortes ce jour-là, et des dizaines ont été blessées. Toutes des civiles.

Au coucher du soleil, Fadi et moi revenons chez nous, sans échanger un mot. Je m'assieds à mon ordinateur pour vous écrire ces mots et rassurer mes amis et ma famille, dispersés aux quatre coins du globe.
À Alep, les journées se suivent et se ressemblent, avec leur lot de violences et de massacres quotidiens. Nous sommes las d'entendre encore et encore les critiques de la communauté internationale qui dénonce, sans résultat, les violences.

Depuis novembre 2013, lorsque les forces du régime ont intensifié leurs opérations militaires à Alep, nous vivons avec la violence. Toutefois, depuis le 7 juillet, un fait nouveau a changé notre quotidien. Les forces du régime ont réussi à nous encercler, et commence désormais une épreuve contre un nouvel ennemi : la faim. Je ne sais pas comment on pourra s'adapter à cela, mais je vous promets de vous le raconter plus tard...

 
Mohammed AL-KHATIEB
@MohAlKhatieb

 

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