Rechercher
Rechercher

Liban - Guerre de juillet 2006 : 10 ans déjà

Nos lecteurs ont la parole : Votre souvenir le plus marquant de la guerre de juillet 2006

12 juillet 2006 : un commando du Hezbollah attaque une patrouille israélienne à la frontière libano-israélienne. Trois soldats sont tués et deux autres capturés. Israël lance immédiatement des représailles massives et larguera, 33 jours durant, une pluie de bombes sur le Liban, en particulier sur la région sud et la banlieue de Beyrouth. Une guerre qui aura fait 1 200 morts côté libanais, en grande majorité des civils, et 165 morts côté israélien, essentiellement des soldats. À l'occasion du 10e anniversaire de la guerre de juillet, nous vous avons demandé quel est votre souvenir le plus marquant de ces 33 jours de guerre.

Deux enfants libanais regardent les cercueils de 72 personnes tuées lors d’un raid israélien à Tyr, au Liban-Sud, le 21 juillet 2006. Hassan Ammar/AFP

La frayeur totale d'une petite fille
J'avais 14 ans à cette période. Je m'en souviens comme si c'était hier. Comme pour tous les Libanais qui vivent à l'étranger, venir passer l'été au Liban est incontournable. J'étais venue revoir mes amies, mes grands-parents, ma famille que j'avais quittés en allant vivre au Sénégal. Avec ma voisine, on avait l'habitude de traîner dans un petit coin du quartier d'Achrafieh, où on jouait et on se racontait des histoires à n'en plus finir. On aimait nos petites habitudes de l'été. On ne faisait pas grand-chose mais ça nous suffisait. Tout a basculé du jour au lendemain. Toute jeune, je n'y comprenais rien : des avions qui tourbillonnaient, le tremblement suivi du bruit sourd des bombes qui nous empêchaient de fermer l'œil pendant la nuit. La frayeur totale d'une petite fille innocente, qui n'était certainement pas égale à la peur dans laquelle vivaient les régions attaquées.
Christina NASR

Adieu mon enfance
Dix ans déjà, peut-être plus, peut-être moins. Dix ans que j'ai dit adieu à mon enfance, à cette petite fille qui courait parmi les oliviers et qui effleurait le soleil. Dix ans déjà que le vent effleure les rues dans lesquelles elle courait, celles d'un Liban-Sud abandonné à ses peurs. Qu'en reste-t-il encore aujourd'hui? Une danse de violences. L'éclat du pont qui s'écroule, l'image d'un avion dans le ciel, le souvenir d'un ami qui avait souri. Une danse de violences faite de pas qui s'entremêlent si maladroitement. Pour certains, cette danse marque la fin de l'espoir, pour d'autres, elle en est le commencement. La question est alors la suivante : faut-il entrer dans cette danse? Faut-il se retourner pour quelques instants et s'y faufiler de telle sorte à faire vibrer toutes ces violences, ou vaudrait-il mieux ne pas regarder ? Dix ans après, je danse plus intensément que jamais.
Sofia FARHAT

 

Des sanglots
De cette guerre, je me souviens d'une date, lundi 7 août, de la réunion des ministres des Affaires étrangères arabes et de la voix étouffée du Premier ministre (Fouad Siniora, NDLR) par des sanglots qu'il n'a pu retenir. Ce jour-là, l'entame du processus de paix rime avec une escalade de la violence. Et dans la grande salle de réunion, on se lève pour applaudir le courage d'un homme, et celui de son peuple. On compatit. On lui donne une petite tape dans le dos, puis on lui adresse un « au revoir » poli.
Tania ARWACHAN


Nasrallah est un menteur
Mon souvenir le plus marquant : tout d'abord ce n'est pas la réponse d'Israël mais bien l'attaque irresponsable du Hezbollah. Le jour même, je passais en voiture devant un barrage volant du Hezbollah juste avant l'ancien Hard Rock Café à Aïn el-Mreissé quand j'ai appris la nouvelle. J'ai tout de suite compris la folie de cette attaque. J'ai hurlé (j'ai perdu tout contrôle) contre les militants du Hezbollah en leur disant qu'ils ne réalisaient pas qu'ils venaient de déclarer la guerre. Un responsable du barrage a dit à ses miliciens qui se dirigeaient vers cet intrus (moi) : Laissez-le, c'est un fou (majnoun). J'ai démarré. Un chauffeur de taxi qui était derrière moi et qui m'avait entendu m'a poursuivi et m'a apostrophé : « Ce sont des héros, tu n'as pas à leur parler comme cela. » Résultat : les héros ont fait tuer 1 200 civils et détruire pour 6-7 milliards de dollars de constructions. Juste pour le compte de wilayet el-fakih. Mon deuxième souvenir fut que la veille de l'attaque, Nasrallah en personne promettait en Conseil de sages de ne rien faire au cours de l'été qui puisse perturber la vie économique. Aussi il m'a été confirmé ce que j'ai toujours affirmé : Nasrallah est un menteur.
Saleh ISSAL

 

Déculottée
J'étais en vacances en Italie. Au bout du 10e jour sur CNN, j'entends Hala Gorani répondre à l'attaché de presse du pays de l'usurpation : What do you mean you cannot defeat Hezbollah easily ? Cela faisait 10 jours qu'Olmert annonçait la fin du Hezb résistant. Et le pire, c'est que je le croyais.
C'est depuis ce jour que je me suis fait à l'idée que l'« usurpie » ne pourra plus jamais s'aventurer à attaquer les résistants du Hezb qui leur ont confirmé que 2000 était une année qu'ils devaient bénir dans leurs annales : elle leur a permis de détaler avant que leur armée de poltrons ne s'effondre au Liban-Sud. Mon Dieu la déculottée qu'ils se sont prise ce mois de juillet ! Un rappel : on ne compte pas une victoire ou une défaite sur le nombre de morts, mais sur les objectifs à atteindre. Sinon les Américains auraient gagné au Vietnam et les Russes auraient perdu contre les nazis. Une très grande victoire pour le Liban.
Kamel JABER

 

La petite Shirine
Mon souvenir est celui d'une petite Shirine âgée de huit ans que ma famille a accueillie en France pendant deux mois cet été-là. Elle est venue avec une trentaine d'enfants de son âge par le biais d'une association de la région de Zahlé pour découvrir la France et apprendre le français. La guerre a éclaté à peine une semaine après son arrivée. Consigne nous est donnée de taire la guerre à nos petits Libanais : nous dissimulons les journaux et évitons de regarder les journaux télévisés avec eux. Meurtrie de ce que vivait le Liban, j'ai eu alors à cœur de mieux connaître ce pays, son histoire, sa culture et ses habitants. J'ai développé un grand amour pour le Liban qui est maintenant mon deuxième pays de cœur.
Anne F.


Les yeux de ma mère

Je me souviens encore de cette inquiétude dans les yeux de ma mère. Du bruit sourd des roquettes qui s'abattent sur les immeubles voisins. La faim, la soif et la peur. Je me souviens encore des avions au-dessus de nous, bombardant au hasard. Notre famille est séparée, et nous sommes tous pris au piège, nous sommes une vingtaine à nous cacher dans un petit F3. Dehors, les cadavres s'accumulent sous les décombres. C'est une angoisse omniprésente, d'avoir peur de mourir, de ne pas savoir à quoi ressemble la mort. Au Liban, la guerre est presque culturelle. On s'habitue. On ne devrait pourtant pas s'habituer à ce genre de choses. Je me souviendrai toujours du 14 juillet 2006, jour de mes 10 ans, et de ne pas avoir vu de couleurs dans le ciel ni de bruit de feu d'artifice.
Tanya MELHEM

 

33 bombes
Aujourd'hui, 10 ans après cette guerre, j'ai 21 ans. La guerre de 2006 est l'un des événements les plus marquants de ma vie. Je me souviens très bien des nuits blanches que mes parents et moi passions. J'avais très peur que j'ai quitté ma maison pour aller dans une région plus éloignée. Toutes ces journées passées loin de mes parents, de mon lit, de mes jouets, à cause d'une guerre inoubliable, méchante et violente. Le dernier jour, le jour de la trêve, je suis revenue à la maison. J'étais assise, tranquillement sur le balcon, quand soudain 33 bombes effrayantes détruisirent le silence de cet après-midi. Depuis ce jour-là, cette guerre devint le souvenir le plus déplaisant.
Mélanie STEPHAN

Le sens des responsabilités
Mon souvenir le plus marquant de la guerre de juillet 2006 serait probablement l'émotion et le sens des responsabilités ressentis en voyant, dans un parking à Antélias, mes collègues et leurs familles (16 personnes au total) réunis devant les voitures que mon employeur avait louées (gardes du corps compris) pour nous évacuer. Leurs vies m'avaient été confiées. La tâche la plus lourde que j'aie eu à assumer dans ma carrière jusqu'à aujourd'hui. « Toni, il faut faire arriver tout le monde à bon port, les réinstaller à Amman et au Caire et continuer à fonctionner pour que Beyrouth garde sa place comme centre pour le Levant et l'Afrique du Nord. » Ces mots, qu'avait prononcés mon patron la veille, ne cessaient de tourner dans ma tête. Encore une fois, un groupe de Libanais allait braver la machine de guerre israélienne. Pour aller « exploiter leur savoir-faire » et survivre. Et cela avec l'inévitable sens de culpabilité d'avoir abandonné les siens en partant.
Toni M. PRINCE


Fuir au lever du soleil

Nous avions été potentiellement épargnés, hormis le pont enjambant le fleuve Litani. Mais le 14e jour, trois roquettes sont tirées par le Hezbollah du centre du village. Toute la nuit durant, le village est bombardé, des maisons sont détruites et le bilan des morts augmente. Nous nous sommes enfuis au lever du soleil, quand la maison de notre voisin a été touchée. Après six heures de route, nous sommes arrivés à Bikfaya. Les habitants nous ont bien accueillis et bien traités jusqu'à la fin de la guerre.
Zorkot Mohamed

 

Nuit sans sommeil
« Allô maman, écoute je n'en peux plus je quitte demain et vais rejoindre mon mari à l'aéroport de Damas et repartir avec lui à Dubaï. » Et voilà, c'est ainsi que ma fille, enceinte de trois mois et réfugiée depuis une semaine avec son fils âgé de trois ans dans un chalet à Faraya, me fit part de sa décision de prendre la route de Tripoli pour rejoindre la frontière syrienne. Nuit sans sommeil à Baabdate, passée à compter les étoiles et parmi elles, furtives, les traces de ces avions israéliens sillonnant le ciel, bombardant ponts et routes. Le jour se lève, l'angoisse me prend à la gorge, la peur me serre le ventre, le téléphone sonne : « Le taxi est arrivé nous partons, je te tiendrai au courant. » J'ai mon portable. J'ai mis la télévision, allumé la radio et un cierge devant l'icône de la Vierge. J'ai joint les mains pour ne pas trembler et attendu. Les heures ont passé, interrompues par des coups de fil : on est sur l'autoroute ; on a traversé Jounieh ; il y a un barrage ; quelque chose a explosé devant nous ; on arrive à Jisr el-Madfoun ; il y a des hommes armés.
C'est quoi une heure ? Quand elle est divisée en minutes et en secondes ? Il suffit d'une seconde pour qu'un destin bascule. Heureusement, ce jour-là, Dieu, les saints, nos chers défunts, tous étaient avec nous. Ma fille est arrivée à destination. Combien d'autres n'ont pas eu cette chance ?
Dolly TALHAMÉ

 

La voix de la mère
J'avais 11 ans. Ce n'était pas les tremblements du bâtiment qui m'ont réveillé ce matin-là, mais la voix de ma mère. Elle a ouvert la porte de ma chambre et à voix haute, mais sans crier, m'a dit qu'on descendait au premier étage. Dans les escaliers, les voisins étaient tous prêts. Ce qui me semblait comme une urgence était, pour eux, une routine. Leur manière mécanique de descendre les escaliers était plus effrayante que le son assourdissant des bombes. J'avais 11 ans et je ne vivais qu'une des plusieurs guerres qu'ils avaient vécues. À la télé, les politiciens étaient au centre de l'attention. Aucune mention de mon quartier qui brûlait. Une heure plus tard, de retour chez nous, ma mère, si calme, m'a préparé à manger. Comme si de rien n'était. J'avais 11 ans et j'ai réalisé que moi aussi je devais m'habituer.
Karim NADER

 

 

Lire aussi dans notre dossier spécial

Double unilatéralisme, l'édito de Michel TOUMA

De la « victoire » de 2006 à la guerre en Syrie, le Hezbollah et ses mutations, par Sandra NOUJEIM

Israël a épargné les grandes infrastructures libanaises sous la pression américaine, par Zeina ANTONIOS

La reconstruction du Liban, un modèle de réussite ?, par Céline HADDAD

Tarek Mitri retrace le cheminement de la rude bataille diplomatique autour de la résolution 1701, par Claude ASSAF

La marée noire de 2006 : une résolution onusienne marquant une victoire juridique... et l'habituelle négligence, par Suzanne BAAKLINI

Au Conseil de sécurité, « la France était le seul vrai ami du Liban », par Antoine AJOURY

Côté israélien, le changement de doctrine stratégique..., par Lina KENNOUCHE

Dix ans, dix œuvres : Résistance culturelle et devoir de mémoire, par Marie FAROULT, Caroline EL-KHOURY et Mira TFAILY

4 photographes, 4 images : Instants volés, pour toujours..., par Carla HENOUD

La frayeur totale d'une petite filleJ'avais 14 ans à cette période. Je m'en souviens comme si c'était hier. Comme pour tous les Libanais qui vivent à l'étranger, venir passer l'été au Liban est incontournable. J'étais venue revoir mes amies, mes grands-parents, ma famille que j'avais quittés en allant vivre au Sénégal. Avec ma voisine, on avait l'habitude de traîner dans un petit coin...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut