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Nos Lecteurs ont la Parole - Carol SABA – Avocat à la cour au barreau de Paris

Crète 2016 : concile ou pas concile orthodoxe ?

Faut-il revisiter Athénagoras 1er de Constantinople pour sortir de l'impasse ecclésiale de Crète 2016 ?

Le patriarche Athénagoras avec le pape Paul VI.

La rencontre interorthodoxe de Crète 2016 vient de s'achever. Au-delà du tapage médiatique intense qui a été déployé en Crète, et qui s'est déroulé très souvent non sans « désinformation » et non sans « défiguration » des arguments des Églises qui ont été contraintes à ne pas y être, il n'en demeure pas moins que, d'évidence, la photo de famille restera marquée par cette tache indélébile d'une unité « inachevée ». Qu'on le veuille ou pas, le concile qui devait réunir les 14 Églises orthodoxes autocéphales s'est transformé en rencontre, certes importante, d'une dizaine de ces Églises.
Quatre Églises, et pas des moindres (l'Église apostolique d'Antioche, et les Églises russe, géorgienne et bulgare), ont été contraintes de ne pas y être. Les autres Églises orthodoxes sœurs leur ont littéralement tourné le dos et ont voulu avancer toutes seules, sans elles, coûte que coûte. Pourtant les doléances de celles-ci, valables et fondées, ne visaient qu'à mieux affermir l'unité orthodoxe et sa manifestation par les « 14 Églises » qui constituent « ensemble » le « plérome » de l'orthodoxie. Elles cherchaient à faire éviter au monde orthodoxe, déjà largement éprouvé, de nouvelles fractures et déchirures comme celles qui résulteraient de Crète 2016.
Il n'est pas question ici de faire une lecture à chaud et critique de la rencontre crétoise, ni de ses documents qui continuent, au-delà de la rencontre, à susciter de vives critiques justifiées de la part même de certains hiérarques qui ont été en Crète. Il ne s'agit pas non plus de décrypter les implications juridico-canoniques de cette « rencontre » crétoise et des risques sous-jacents qu'elle implique pour l'unité du plérome de l'Église orthodoxe. Ni non plus, à ce stade, de prendre la défense des arguments valables et fondés des Églises qui ont été contraintes de ne pas y être malgré le fait qu'elles représentent non seulement des Églises apostoliques, comme le cas de l'Église d'Antioche, mais aussi des Églises qui représentent de très nombreux fidèles orthodoxes de par le monde, l'Église russe représentant à elle seule bien plus que la moitié des orthodoxes du monde.
Chacune de ces Églises fera sa propre plaidoirie par la bouche de ses propres instances et de son saint synode. D'ailleurs, celui d'Antioche vient de sortir un long communiqué explicatif et circonstancié de la position fondée de cette Église.
Il y a lieu tout simplement de mettre en garde contre les risques importants, présents et sous-jacents, d'un certain « triomphalisme » totalement déplacé qui s'est manifesté en Crète, un triomphalisme dénué d'esprit évangélique et qui ne se soucie point de la nécessité viatique de renouer ce qui a été rompu et de restaurer la pleine « conciliarité » de l'Église orthodoxe, qui ne peut qu'être celle des 14 Églises, largement entamée en Crète. Je ne citerai pas ici les propos blessants d'un primat en Crète parlant des 4 primats des Églises non présentes en Crète car il faut renouer ce qui a été rompu.
En effet, tout orthodoxe responsable conscient des risques qui menacent désormais l'unité orthodoxe ne peut faire fi des fractures, avant, pendant et après Crète 2016, qui se multiplient ici et là entre les Églises en raison de Crète 2016, qui a été davantage un signe de fracture qu'un ferment d'unité, quoi qu'on en dise dans les belles interviews des bouches officielles martelant des mots d'ordre de cette rencontre.
La première ligne de fracture oppose les Églises présentes en Crète et celles qui n'y étaient pas. La deuxième ligne de fracture, plus grave de conséquences, est celle qui oppose les Églises qui appelleront Crète 2016 un « concile » et celles qui le désigneront comme « rencontre ». Concile donc, coûte que coûte, pour les uns qui le veulent engageant, au nom de 10 Églises orthodoxes autocéphales, les 14 Églises autocéphales ! Et pour les autres, une rencontre préconciliaire non engageante, car ils considèrent à juste titre que seules l'unanimité et la concordance des 14 Églises peuvent engager le plérome de l'orthodoxie. Une troisième ligne de fracture, de plus en plus dynamique celle-là, traverse chacune des Églises qui ont été en Crète, une ligne qui monte en crescendo et constitue une opposition interne au sein des Églises signataires de Crète, manifestant ouvertement ses critiques sur ses documents et leur validité.
Toutes ces fractures, mouvantes, dynamiques et menaçantes, résultent malheureusement, de cette logique un peu « bulldozer » qui, non sans tension, a voulu avancer « coûte que coûte », sans entendre ni écouter les doléances de fond des Églises sœurs qui les empêchaient d'être aux discussions conciliaires et, pour Antioche, à la table eucharistique préalable forcé à toute discussion conciliaire sauf si pour les Églises présentes en Crète la communion eucharistique est un détail mineur qui ne vicie pas les discussions au sommet ! C'est cette logique qui a voulu avancer « sans les autres frères » qui est en cause et qui est, bien entendu, regrettable car, d'évidence, le concile n'est pas l'objectif mais la conciliarité, qui aujourd'hui est atteinte. Est-ce vrai « qu'ils ont des yeux et ne voient point, ils ont des oreilles et n'entendent point », selon les paroles du prophète Jérémie ?
Alors comment sortir de l'impasse ecclésiale de Crète 2016 ? Mon charisme antiochien, qui reste et restera un charisme de « rassemblement », qui va au-delà des analyses et des positions des uns et des autres, me dicte de dire que l'intelligence ecclésiale implique aujourd'hui aux Églises qui n'ont pas été en Crète de ne pas mettre en cause la « légitimité » de la rencontre d'une dizaine d'Églises orthodoxes autocéphales réunies en Crète et de reconnaître cette légitimité et de traiter avec elle d'une manière irénique. De même, les mêmes considérations d'unité orthodoxe et d'intelligence ecclésiale imposent à mon avis aux Églises orthodoxes réunies en Crète de ne pas insister sur la qualification canonique de Crète comme un « concile » qui n'en est plus un. Ceci ne serait-ce que parce que au moins une des Églises orthodoxes autocéphales, l'antiochienne, n'a pas signé les résolutions de Chambésy 2016 y compris le règlement du concile qui ne peut être convoqué, selon les propres termes de ce règlement, « qu'avec l'accord de tous les primats des Églises orthodoxes autocéphales ». L'équation est simple, validité du concile, non. Légitimité de la rencontre au sommet des 10 Églises, oui ! Il y a là matière à réfléchir pour les pacificateurs des deux camps !
Crète 2016 : une fracture de fond qui entame l'unité orthodoxe. Mais rien n'est irréversible. Il est encore temps de sortir de l'impasse et de réduire cette fracture. Pour ce faire, il faut sortir du triomphalisme d'un camp sur un autre pour que l'ensemble du plérome de l'Église orthodoxe gagne... Il ne faut pas oublier que le patriarche Athénagoras 1er de Constantinople a été à Antioche en premier, au début de son périple en novembre 1959 auprès des Églises locales, pour défendre l'idée du concile panorthodoxe.
Il a commencé son voyage par Alep puis c'est dans la cathédrale patriarcale d'Antioche à Damas qu'il s'est adressé en premier à cette Église apostolique et à son patriarche Théodose d'Antioche en disant : « Notre siège apostolique et œcuménique, sur la base des relations historiques qui l'unissent au siège d'Antioche, attache la plus grande importance à leur commun effort pour résoudre les problèmes qui intéressent l'Église orthodoxe et le monde chrétien en général. » Aussi, il ne faut pas oublier que ce même Athénagoras disait et répétait que « agir sans l'Église russe, c'était le schisme » et il ne cessait de répéter cette phrase « les Grecs, je vous l'ai dit, critiquent souvent mon amour du peuple russe. J'aime la Sainte Russie, cette Sainte Russie aujourd'hui secrète, mais qui reprendra un jour sa mission spirituelle sur la scène de l'histoire. Je l'aime pour ses saints, pour son approfondissement théologique de l'orthodoxie, mais surtout pour ses martyrs... C'est pourquoi nous devons avoir l'Église russe avec nous ». Alors faut-il revisiter Athénagoras pour sortir de l'impasse de Crète 2016 ? À défaut, un rapport de force sera engagé et tout le monde va perdre y compris le camp qui pense avoir triomphé !

Carol SABA – Avocat à la cour au barreau de Paris

La rencontre interorthodoxe de Crète 2016 vient de s'achever. Au-delà du tapage médiatique intense qui a été déployé en Crète, et qui s'est déroulé très souvent non sans « désinformation » et non sans « défiguration » des arguments des Églises qui ont été contraintes à ne pas y être, il n'en demeure pas moins que, d'évidence, la photo de famille restera...

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