L'attentat de dimanche dernier devant le siège de la Blom Bank à Verdun continue d'occuper les milieux politiques. Au-delà des accusations qui ne sont pas basées sur des indices concrets et constituent des messages politiques, cette explosion a remis le dossier de l'instabilité sécuritaire à l'ordre du jour. La question la plus posée est la suivante : s'agit-il d'un message limité ou du début d'une nouvelle série d'attentats ? En attendant les résultats de l'enquête officielle (si elle aboutit), on peut déjà avancer plusieurs hypothèses.
Le point de départ est la déclaration du ministre de l'Intérieur, Nouhad Machnouk, dimanche soir, dans laquelle il affirme que cet attentat ne ressemble pas aux actes terroristes qui ont secoué le Liban ces dernières années, dans la mesure où il s'agissait d'actes qui voulaient faire un maximum de victimes civiles. Il ne s'agit pas non plus d'un attentat contre une personnalité précise et les criminels ne voulaient visiblement pas faire de victimes. En d'autres termes, on ne peut pas attribuer cet acte aux organisations terroristes comme l'État islamique ou le Front al-Nosra qui ont visé à plusieurs reprises le Liban, ces dernières années, dans une tentative de le déstabiliser. Dans ce cas, il est clair que l'acte a d'autres objectifs et toutes les parties politiques ont considéré qu'il est lié au contentieux qui oppose actuellement le secteur bancaire libanais au Hezbollah suite aux sanctions américaines.
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À partir de là, deux hypothèses sont possibles, la première est que le Hezbollah est derrière l'attentat pour adresser un message musclé aux banques libanaises et en particulier à celle qui a été considérée comme la plus pressée d'appliquer les sanctions américaines. Selon la seconde hypothèse, une troisième partie, soucieuse de déstabiliser le Liban et de couper court à toute tentative d'accord entre le Hezbollah et le secteur bancaire, aurait choisi d'utiliser ce procédé pour attiser les tensions confessionnelles et politiques et isoler encore plus la formation de Hassan Nasrallah.
La première hypothèse pourrait être convaincante si on estime que le Hezbollah a agi de façon primaire, indifférent au fait que, dans le contexte actuel, il allait être le premier et le principal accusé. Acculé et poussé dans ses derniers retranchements, le Hezbollah aurait donc voulu défier l'opinion publique, soucieux uniquement d'effrayer les banques et le gouverneur de la BDL. Ceux qui ont choisi d'adopter cette thèse ajoutent que, jeudi dernier, le communiqué du bloc parlementaire du Hezbollah était menaçant, affirmant que l'encerclement financier et bancaire du Hezbollah est une atteinte à la paix civile. De là à en conclure qu'il a carrément décidé de concrétiser ces propos par l'attentat de Verdun, il n'y a qu'un pas que beaucoup ont franchi.
Mais cette hypothèse se heurte aux arguments suivants : le Hezbollah est un parti structuré et réfléchi qui n'a pas l'habitude de réagir à chaud. De plus, il n'est pas sans savoir que dans le contexte actuel, il sera le premier à être pointé du doigt, augmentant les campagnes menées contre lui et rendant plus difficile sa situation interne et celle de ses alliés. Il pourrait prendre ce risque si, d'une part, il était réellement acculé et, d'autre part, sa démarche pouvait servir à quelque chose. Ce qui n'est pas vraiment le cas, puisque le gros des sanctions vient essentiellement des États-Unis et ce n'est pas une petite explosion devant une banque qui pourrait faire changer d'avis le Congrès américain.
La seconde hypothèse devient ainsi plus crédible sachant qu'un accord discret aurait été conclu entre la commission formée par le Hezbollah pour gérer cette crise et le gouverneur de la Banque centrale Riad Salamé pour limiter autant que possible les dégâts pour le parti et ses proches. Des comptes appartenant à des membres du Hezbollah ont été ainsi rouverts après avoir été clôturés. Dans ce contexte, il est possible qu'une partie locale, ou autre, cherche à faire échouer cet accord pour augmenter la pression sur le Hezbollah. Cette partie aurait donc placé l'explosif devant le siège de la banque pour faire accuser le Hezbollah et exacerber les dissensions confessionnelles, poussant aussi le chef du courant du Futur, Saad Hariri, à une plus grande radicalisation dans ses positions.
Si la thèse d'une troisième partie est retenue, il reste à savoir s'il faut s'attendre à d'autres tentatives, au cas où celle-ci ne suffirait pas. Une source sécuritaire rappelle à ce sujet que la communauté internationale continue d'appuyer la stabilité du Liban pour de multiples raisons dont la moindre n'est pas la crainte qu'une déstabilisation entraîne un nouvel afflux de réfugiés vers les côtes européennes. De plus, la communauté internationale considère que si le Liban est déstabilisé, l'EI pourrait descendre des montagnes du Qalamoun syrien vers le littoral et avoir ainsi un accès à la mer. Ce qui constituerait une menace de plus pour les sociétés occidentales qui ont du mal à gérer celles déjà existantes.
Des responsables militaires et sécuritaires libanais qui se sont rendus récemment à Washington sont revenus avec la certitude que l'appui des États-Unis à la stabilité du Liban est clair. Plus même, ils auraient constaté chez les responsables américains qu'ils ont rencontrés une connaissance profonde de la réalité libanaise et l'importance de préserver le statu quo politique actuel. On pourrait alors se demander comment les États-Unis veulent la stabilité du Liban et adoptent en même temps une loi qui met en difficulté le Hezbollah et risque de compliquer la situation au Liban ? À cette question, la source sécuritaire précitée répond en affirmant que l'administration américaine fait une distinction entre la stabilité du Liban et les mesures prises contre le Hezbollah, classé organisation terroriste. Mais en même temps, cette administration a fixé un plafond pour toutes ces décisions concernant le Liban qui est celui de la stabilité. Pour cette raison, même s'il y a des tentatives de déstabilisation, celles-ci ne devraient pas se développer... À condition que les Libanais y mettent aussi du leur.
Pour mémoire
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commentaires (5)
Franchement ? Du : N'immmporte quoi !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
16 h 32, le 16 juin 2016