La poussière ocre qui s'envole au passage des convois militaires se mêle à l'épaisse fumée noire des feux qui rongent le bord de la route. Le sourire aux lèvres, des combattants peshmergas lèvent les bras vers le ciel, les doigts tendus en signe du « V » de la victoire.
Assis à l'arrière d'un véhicule blindé en mouvement, Harem Zhyan protège son visage du vent sec à l'aide d'un foulard écarlate. De petites gouttes de sueur perlent sur son visage alors qu'il raconte avec excitation sa première journée sur le front : « Nous avons lancé l'attaque depuis le village de Hasan Sham puis nous avons été vers Zahrat Khatun, Muftia et Tall Aswad. Grâce à Dieu, l'opération fut un succès », s'exclame-t-il.
Tôt dimanche matin, les forces peshmergas, avec le soutien de la coalition internationale menée par les États-Unis, ont entamé leur offensive visant à prendre des territoires à l'est de Mossoul des mains des jihadistes du groupe État islamique (EI). « Nous n'avons eu que quelques blessés. Des kamikazes se sont fait exploser près de nous. Il y a à peine une demi-heure, un autre kamikaze s'est fait exploser », explique un officier qui se repose à présent à l'ombre d'une voiture couverte d'une épaisse couche de poussière.
L'opération de grande ampleur, lancée avec plus de 5 000 soldats, a permis de reprendre le contrôle, après deux jours de combats, de plusieurs villages peuplés de kakeis et de shabaks. Ces minorités ethniques et religieuses avaient dû fuir du jour au lendemain lorsque les jihadistes se sont emparés d'un tiers de l'Irak il y a deux ans. Hier, les Kurdes ont poursuivi leur avancée, s'emparant notamment des villages de Wardak et Tulaband, et consolidant un peu plus leur emprise sur des territoires que le gouvernement central et la région autonome kurde se disputent.
Désormais, les combattants s'enfoncent dans les terres chrétiennes de la plaine de Ninive, avec la deuxième plus grande ville d'Irak en ligne de mire. « Pour reprendre Mossoul, il nous faudra attendre la coalition internationale et l'armée irakienne, mais les peshmergas participeront à la bataille », assure le général Bahjat Taymes, positionné à Hassan Sham, une base arrière où des militaires de la coalition sont visibles mais refusent de se laisser identifier.
L'intervention des peshmergas à l'est de Mossoul intervient alors que l'armée irakienne, soutenue par des milices chiites, a annoncé son entrée dans Fallouja tôt hier matin. Une semaine auparavant, c'étaient les Forces démocratiques syriennes (FDS), dominées par les YPG (Les Unités de protection du peuple), qui lançaient une opération contre Raqqa, la capitale de l'EI en Syrie.
(Pour mémoire : Autour de Mossoul, entre l'enclume du barrage et le marteau de l'EI...)
« Avec ou sans l'armée irakienne »
« Ça, c'est Muftia. Les peshmergas ont attaqué à 4 heures du matin », explique Dana Salah en stationnant sa voiture à proximité du village, juste à côté de la tête d'un militant de l'EI décapité par une explosion. En sortant de la voiture, un autre soldat kurde n'hésite pas à saisir la tête par les cheveux pour l'observer de plus près.
« En tant que kurdes, nous devons nous défendre à tout prix », explique le combattant peshmerga en regardant son ennemi dans les yeux. « Nous ne sommes pas injustes. Nous aimons l'humanité », ajoute-t-il avant de jeter la tête derrière un muret en pierre.
Dans le village, les combattants se promènent en suivant le réseau de tunnels creusés par les jihadistes pendant l'occupation. À l'intérieur d'un bâtiment en ruines, une douzaine de peshmergas se pressent autour de l'entrée de l'un des tunnels, visiblement impressionnés par l'ingéniosité de l'ouvrage. « Il fait combien de mètres de profondeur ? » demande un combattant. « Cinq mètres », répond un autre en se penchant au-dessus du trou. « Ils se cachaient là quand les avions de la coalition les bombardaient », raconte le combattant kurde Shorsh Mohammad.
Un jour avant le début de l'opération lancée par les peshmergas, le général Sirwan Barzani, neveu du président Massoud Barzani, expliquait à L'Orient-Le Jour qu'il avait pour objectif de « prendre Qaraqosh et les villes chrétiennes » dans la plaine de Ninive. Située à 30 kilomètres au sud-est de la « capitale » irakienne de l'EI, la prise de Qaraqosh (appelée aussi Bakhdida) annoncerait la première étape de la bataille pour Mossoul en tant que telle, selon le général. « Se rendre là-bas signifie aller à Mossoul », lâche Sirwan Barzani. « Avec ou sans l'armée irakienne, nous devons libérer ces territoires », assure-t-il, avant d'ajouter qu'il leur faudra « deux ou trois étapes » pour prendre ce bastion chrétien où 75 000 personnes vivaient avant le « califat ».
Ils sont des milliers à avoir quitté Qaraqosh pour trouver refuge à Ainkawa, la banlieue chrétienne de la capitale kurde Erbil, où les déplacés internes suivent avec attention la progression de l'offensive. La petite croix en or posée sur son chemisier aubergine est l'un des biens les plus précieux que Bahiya Sulekha a emporté avec elle au moment de fuir l'assaut des jihadistes sur Qaraqosh. La septuagénaire vit désormais avec son fils et ses petits-enfants dans un appartement qu'elle loue 600 dollars par mois. « Même si la ville est détruite, nous y retournerons », assure Bahiya Sulekha, avant d'ajouter, un sourire dessiné sur ses joues ridées : « J'espère que nous serons de retour à Qaraqosh pour Noël. »
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commentaires (6)
N'est-ce pas ces "kurdes", qui avaient pris la place des Arméniens et leurs villages après leur Génocide en 1915 ?
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
21 h 06, le 31 mai 2016