La vacance à la tête de la République aura bientôt deux ans et régulièrement des informations circulent sur un déblocage imminent de ce dossier. Tantôt c'est le chef du courant du Futur Saad Hariri qui se rend à Moscou pour faire bouger les choses et, tantôt, c'est la diplomatie française qui dialogue avec Riyad et Téhéran pour aboutir à l'élection d'un président, quand ce n'est pas le président de la Chambre Nabih Berry qui annonce de « bonnes nouvelles » au sujet de ce dossier... Mais, à chaque fois, la réalité s'avère différente et aucun progrès concret n'est enregistré, malgré l'annonce par le chef du Futur de l'adoption de la candidature de Sleiman Frangié ou le rapprochement entre les Forces libanaises et le CPL qui a abouti à l'appui de Samir Geagea à la candidature de Michel Aoun.
En dépit du tapage médiatique fait autour de la visite de Saad Hariri à Moscou pour débloquer la présidentielle libanaise, il est désormais clair que ce dossier a été rapidement évoqué dans les discussions de Hariri en Russie et tout aussi rapidement refermé, les dirigeants russes ayant clairement déclaré, dans un communiqué officiel, qu'ils « souhaitent que les Libanais puissent parvenir à régler leurs problèmes internes sans intervention extérieure ». Selon des informations en provenance de Moscou, face à l'attitude de ses interlocuteurs russes, M. Hariri a préféré les sonder sur leur position réelle à l'égard du sort réservé au président syrien Bachar el-Assad et évoquer des projets d'investissements en Russie plutôt que de s'étendre sur le dossier présidentiel.
(Pour mémoire : Hariri prêt à coopérer avec Moscou pour que le Liban ne fasse pas les frais d'une solution en Syrie)
Quant à la diplomatie française, si elle a le mérite incontestable d'évoquer régulièrement ce dossier dans les réunions multilatérales ou bilatérales, dans une tentative d'obtenir un déblocage, nul ne se fait beaucoup d'illusions au sujet du succès de ces démarches. Même la prochaine visite du président français François Hollande à Beyrouth samedi n'est pas en mesure d'accélérer le processus d'élection présidentielle. Pourtant, selon des sources parlementaires libanaises, un dîner devrait être donné à la Résidence des Pins en l'honneur du président français auquel seraient conviés les 127 députés libanais, dans le but de montrer que s'ils peuvent se réunir et assurer le quorum des deux tiers requis pour la séance d'élection pour un dîner, ils peuvent aussi le faire pour élire un président.
Le message sera-t-il reçu par ses destinataires et changera-t-il quelque chose à la paralysie actuelle des institutions ? Les milieux politiques en doutent. Tout comme ils ne croient pas aux annonces régulières du président de la Chambre Nabih Berry au sujet d'un déblocage rapide. Selon ces milieux, Berry est obligé de lancer de telles rumeurs pour faire bouger les choses mais il sait mieux que personne que le blocage est ailleurs. Il réside essentiellement dans les positions antagonistes du courant du Futur et du Hezbollah qui ne peuvent changer que dans deux scénarios : soit les deux camps décident de faire des concessions, soit l'Iran et l'Arabie décident d'ouvrir un dialogue constructif entre eux. Rien n'indique pour l'instant que le second scénario est envisagé. Il ne reste donc plus qu'une possibilité, celle de miser sur une volonté conjointe du Futur et du Hezbollah d'aboutir à un accord.
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Du point de vue du courant du Futur, c'est le Hezbollah qui bloque l'élection en se cachant derrière l'insistance du général Michel Aoun à être le candidat privilégié à la présidence, alors qu'en réalité, ce parti voudrait laisser pourrir la situation pour aboutir à un accord global dont l'élection présidentielle serait l'un des points.
Le point de vue du Hezbollah est tout à fait différent. Son appui au général Aoun a pour point de départ deux considérations : d'abord l'alliance qui existe entre lui et le CPL et qui commande aux deux formations de s'appuyer mutuellement dans les grandes questions qui concernent le pays. Ensuite, le Hezbollah considère qu'étant le leader chrétien le plus populaire au sein de sa communauté, Aoun a parfaitement le droit de briguer la présidence. Le Hezbollah revient sur les événements qui se sont déroulés en 2011, lorsqu'avec l'aide de Walid Joumblatt, il a fait chuter le gouvernement présidé par Saad Hariri pour placer Nagib Mikati à la présidence du Conseil. Aussitôt, le courant du Futur a cherché par tous les moyens (y compris les manifestations populaires à Tripoli et à Beyrouth et le recours à la fibre confessionnelle) à faire tomber le gouvernement Mikati, sous prétexte que ce dernier ne représente pas la communauté sunnite qui se sent ainsi ignorée et humiliée. Au final, le gouvernement Mikati, considéré comme parrainé par le Hezbollah, n'a en pratique pas pu prendre la moindre décision, le Premier ministre étant soumis à la pression de la rue sunnite.
Le Hezbollah estime donc que cette expérience a été concluante et, par conséquent, il ne faut pas la rééditer avec une autre composante du tissu social libanais. Surtout dans une période aussi sensible où les exacerbations confessionnelles sont à leur apogée et surtout si on sait désormais que le Premier ministre doit avoir l'aval de la principale formation représentant la communauté sunnite. C'est d'ailleurs en tenant compte de ce fait que le tandem Aoun-Hezbollah refuse l'élection d'un président sans l'accord du courant du Futur pour ne pas envenimer encore plus les clivages confessionnels au Liban. À leurs yeux, c'est donc là que réside le blocage et la solution serait donc dans l'acceptation par le courant du Futur du candidat qui représente le mieux la communauté chrétienne quitte à choisir à son tour le futur Premier ministre...
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commentaires (9)
Ou bien, faute de grives, se contentent de merles....
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
12 h 11, le 12 avril 2016