« Lénine, réveille-toi, ils sont devenus fous ». Ce cri du cœur inscrit sur les murs de la capitale tchèque à la suite de l'intervention des blindés soviétiques pour réprimer le (succinct) printemps de Prague d'août 1968 pourrait schématiser par extrapolation certaines situations qui caractérisent les développements en cours dans la région.
Le groupe de députés de la droite française qui a effectué il y a quelques jours une visite très médiatisée à Bachar el-Assad ne semble pas totalement conscient des retombées de sa démarche. Accorder un blanc-seing au régime de Damas en le présentant comme un protecteur des chrétiens et un rempart contre le fondamentalisme islamique relève de la naïveté ou de la cécité politique, et a surtout pour résultat de... renforcer ce même fondamentalisme obscurantiste.
Est-il concevable que ces parlementaires français ignorent à ce point que le régime Assad est passé maître, depuis fort longtemps, dans la cristallisation, le renforcement et la manipulation des courants intégristes, au Liban comme en Syrie, dans le but précisément d'amener des responsables occidentaux à le percevoir comme une parade, prétendument incontournable, aux mouvements extrémistes, conformément à sa traditionnelle politique du pyromane-pompier ? Ces députés de la droite française ignorent-ils que les mêmes cadres jihadistes qui ont semé, et qui continuent de semer, la terreur ont été libérés par Bachar el-Assad des geôles syriennes et lâchés dans la nature au printemps 2011, afin qu'ils se substituent à une opposition libérale et pacifique, dans le but de pousser certains naïfs occidentaux à poser l'équation « c'est soit le régime, soit les jihadistes ? ».
Tout responsable un tantinet informé et intellectuellement honnête ne saurait sous-estimer cette diabolique manipulation. À titre de rappel, c'est ce même régime Assad qui a soutenu les courants gravitant dans le giron d'el-Qaëda pour orchestrer des attentats contre les forces américaines en Irak ; c'est encore lui qui a mis sur pied et envoyé au Liban-Nord, en 2007, le mouvement fondamentaliste Fateh el-Islam pour combattre l'armée libanaise et saper le processus de réédification d'un Liban libéré du joug de Damas... et des intégristes.
Pour ceux qui affirment, en outre, que ce régime Assad représente une protection pour les chrétiens, il serait bon de rappeler aussi quelques réalités : tout au long des dernières décennies, le pouvoir syrien (déjà du temps du père) n'a épargné aucun moyen pour miner et affaiblir la représentation chrétienne libre au Liban ; il s'est employé à créer et à manipuler régulièrement des courants radicaux musulmans pour torpiller l'action de ce qui était alors l'opposition chrétienne à l'Anschluss pratiqué par la Syrie au Liban.
Occulter de tels faits pour renflouer Bachar el-Assad revient à renforcer ceux que l'on prétend vouloir combattre. Car les développements de ces dernières années ont apporté la preuve que le soutien apporté au maître de Damas a pour conséquence, non pas l'affaiblissement, mais la radicalisation des courants sunnites en Syrie et, par ricochet, l'extension du jihadisme au cœur même de l'Europe.
C'est là un paradoxe qui constitue l'une des caractéristiques de la conjoncture actuelle dans la région. Ce paradoxe s'accompagne en effet d'un autre tout aussi déconcertant et qui a pour résultat de renforcer un autre intégrisme, chiite cette fois-ci : celui du Hezbollah. De fait, certains hauts dirigeants saoudiens affichent leur détermination à combattre l'influence iranienne alors que les mesures qu'ils ont prises à l'encontre du Liban ont pour résultat de... renforcer le principal instrument de cette influence iranienne. Priver l'armée libanaise de l'aide promise par feu le roi Abdallah revient à offrir un précieux cadeau au Hezbollah. Affaiblir l'État central ainsi que les alliés de Riyad au Liban tout en se retirant de la scène libanaise a pour conséquence immédiate de laisser le champ libre au Hezbollah, lequel n'en demandait certainement pas tant.
Entre ces deux paradoxes et ces deux intégrismes, la région est entraînée sur la voie d'une montée aux extrêmes, avec les conséquences que l'on sait dans les capitales européennes. Comment ne pas se rappeler dans un tel contexte le graffiti inscrit par les jeunes Tchèques sur les murs de Prague lors du printemps avorté d'août 1968 ?
Entre deux intégrismes
OLJ / Par Michel TOUMA, le 04 avril 2016 à 00h00
commentaires (8)
La légende selon laquelle le régime de Bachar el-Assad est protecteur des chrétiens, relève de la naïveté et de la cécité politique. Ô que c'est vrai. Qui a tiré des milliers d'obus sur Zahlé et sur Achrafieh ? Qui a tiré des dizaines d'obus de Dhour-Choueir sur Sarba (Jounieh) dont l'un avait détruit notre maison natale et endommagé la cloche ancestrale de notre cathédrale Mar-Geryès à Sarba ?
Un Libanais
17 h 38, le 04 avril 2016