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Liban - Débat

Entre les médias et la magistrature, des tiraillements coûteux pour le citoyen

Rencontre entre journalistes, juristes et représentant du CSM.

Le divorce est-il consommé entre journalistes et magistrats ? Bien que tendue, opaque et entachée d'appréhensions et d'incompréhensions de part et d'autre, cette relation est condamnée à s'améliorer, tant il est vrai qu'elle sert l'intérêt des deux parties, et, en premier lieu, celui du citoyen. Dernier rempart d'un État quasi failli, la justice reste sans aucun doute le seul refuge d'une citoyenneté aujourd'hui désemparée, et l'unique institution susceptible de rectifier le tir et de redonner un peu de prestance à l'édifice institutionnel, ou ce qu'il en reste.
C'est ce souffle qui a été transmis hier lors d'une rencontre inédite entre un groupe de journalistes, un représentant du Conseil supérieur de la magistrature, le juge Jean Tannous, et les représentants de Legal Agenda qui ont initié le débat.

Un constat tout d'abord : la relation entre les médias et l'appareil judiciaire n'est pas au beau fixe, c'est le moins qu'on puisse dire. Les journalistes rechignent de plus en plus à s'aventurer dans la couverture des dossiers judiciaires à cause principalement de la difficulté de l'accès à l'information, du caractère présumé secret de certains dossiers, mais aussi de leur méconnaissance des rouages d'un système complexe et difficile à expliquer.
Les juges, de leur côté, se méfient des gens de presse et les fuient comme la peste. À cause des « erreurs » parfois commises lors de la couverture d'un dossier particulier, de la course effrénée vers le sensationnel, mais aussi du fait de « l'arbitraire » dans le choix des sujets à mettre en avant, et des « généralisations et extrapolations » que les médias ont parfois tendance à pratiquer. De leur côté, les médias, en pointant du doigt « une justice dysfonctionnelle et corrompue », mettent dans un même sac « bons et mauvais juges ».
Tel est le constat établi hier par les participants à cette rencontre qui, lors d'un échange qui s'est voulu constructif et tourné vers l'avenir, ont respectivement reconnu les lacunes et les divers facteurs, humains et structurels, qui ont terni la relation entre les deux parties.

Or, « qui d'autre mieux que les journalistes et la société civile peuvent protéger la justice des politiques ? » s'est interrogé Nizar Saghiyé, cofondateur et directeur exécutif de Legal Agenda. Longtemps synonyme de mutisme et confinant la magistrature dans une tour d'ivoire déclarée intouchable, le concept paralysant de « prestige de la justice » est aujourd'hui appelé à évoluer. Désormais, souligne M. Saghiyé, on se dirige de plus en plus vers une plus grande ouverture en direction des journalistes et par conséquent vers plus de transparence. Une ouverture conditionnée toutefois par le « respect des règles sacro-saintes régissant les dossiers judiciaires, sur lesquels les magistrats ne peuvent se prononcer qu'une fois le verdict émis », a tenu à rappeler le juge Jean Tannous.

La quête du sensationnel
Mais c'est précisément là ou le bât blesse, à savoir que l'information judiciaire en cause peut parfois fuiter, souvent dans des objectifs politiques, elle peut dans certains cas être « amplifiée de manière disproportionnée ou encore mal digérée par ceux qui la transmettent », devaient relever en substance certains participants. Le représentant du CSM a noté pour sa part le manque d'intérêt chez les journalistes pour certains jugements « moins sensationnels » mais qui n'ont pas moins d'intérêt pour le citoyen lambda, qui a grand besoin de reprendre confiance dans le système judiciaire dans son ensemble et dans ces réalisations au quotidien, a-t-il fait remarquer.

M. Saghiyé a tenu à noter que les « bons jugements » ou les « verdicts révolutionnaires » suscitent sans trop de peine l'intérêt des journalistes. Il en est ainsi des décisions prises notamment dans les cas de violence domestique, ou celles portant sur les catégories dites vulnérables, telle que le récent jugement concernant les transsexuels.
Il reste que les journalistes ne sont pas là pour faire l'éloge des magistrats, mais pour également critiquer certaines de leurs prestations ou dénoncer les erreurs, devait-on rappeler lors des discussions. À condition, bien entendu, d'en avoir les preuves tangibles et les arguments valables, ce qui n'est toujours pas le cas. Nizar Saghiyé a reproché à ce propos le caractère « secret de certains jugements » et la difficulté de pouvoir apporter les preuves nécessaires en cas d'erreurs judiciaires commises. L'avocat a toutefois mis en garde contre la propension de certains journalistes à vouloir faire des « scandales » dans le cas de juges « généralement connus pour leur compétence et leur intégrité, mais qui auraient commis en cours de route des erreurs minimes relativement à leurs réalisations ».

Critères de transparence
Il s'agit tout simplement de faire preuve d'objectivité et d'honnêteté intellectuelle, a préconisé le juriste rappelant que Legal Agenda planche actuellement sur un lexique pour définir les critères de l'indépendance et de la transparence judiciaire, qui à son avis sont souvent galvaudés. « Ceux qui parlent du matin au soir du principe de l'indépendance de la justice sont généralement ceux qui s'ingèrent le plus dans ce secteur », a-t-il dit, avant de préciser que « ce ne sont pas seulement les politiques, mais également certains magistrats influents qui imposent leurs desiderata à d'autres juges, plus vulnérables ».

Il est tout aussi important de rappeler que c'est aux instances disciplinaires au sein de l'appareil judiciaire qu'il revient en définitive de « sanctionner » les juges fautifs et non aux médias, encore moins aux politiques, même si ces derniers ne lésinent pas à user et abuser du pouvoir qu'ils détiennent sur l'appareil judiciaire, devaient rappeler certains participants.
Et le juge Tannous d'annoncer une première à ce propos : le Conseil supérieur de la magistrature va prochainement publier les jugements concernant les magistrats démis de leurs fonctions pour faute professionnelle grave, corruption ou malversation. Une bonne nouvelle en direction d'une culture de la transparence. Encore faut-il avoir les moyens de cette culture, a conclu le magistrat, dénonçant au passage les « maigres ressources » dont dispose l'appareil judiciaire dans son ensemble, notamment pour pouvoir mettre en place des bureaux de communication permettant de construire des ponts avec les médias.

 

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