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Culture - Photomed

Dans le regard de Boubat, la lumière des vivants

Lors de sa tournée des pays de la Grande Bleue, Édouard Boubat était passé par le Liban, en 1958. Il y avait pris des instantanés anticlichés. Des images humanistes, tout simplement. À découvrir dans la lumineuse exposition « Mediterraneo » de la Byblos Bank* consacrée à ce grand photographe français.

Algérie, 1954, un sens fulgurant de la composition.

De cette gracieuse silhouette féminine en chapeau se détachant sur l'horizon – qui illustre l'affiche de l'actuelle édition de Photomed – et qui est, en fait, le portrait en instantané de son épouse « Sophie » au balcon de leur chambre d'hôtel à Collioure en 1954, à cette fabuleuse photo de groupe en Algérie en 1969, où il avait saisi, avec un sens fulgurant de la composition et du cadrage, la diversité des générations et des expressions (joie, curiosité, agressivité, surprise, attendrissement ou ennui...), Édouard Boubat a toujours su cueillir l'instant magique.
Voyager et s'ouvrir à la poésie du quotidien. Voilà comment procédait ce chasseur d'images qui avait les délicatesses d'un chasseur de papillon.

« Correspondant de paix »
Né en 1923 et décédé en 1999 à Paris, Édouard Boubat, contemporain et ami de Brassaï, Robert Frank ou encore Henri Cartier-Bresson, était l'un des trois principaux photographes de la revue Réalités. Durant plus de vingt ans, de 1957 à 1970, il contribua à ce grand magazine en tant que « correspondant de paix », comme l'avait surnommé son ami le poète Jacques Prévert.
Ce grand voyageur, qui a fait plusieurs fois le tour du monde, avait effectivement pris le contrepied du reporter de guerre. Des pays où il se rendait, il ne rapportait que des images positives, lumineuses, centrées sur l'être humain, le plus souvent dans l'exercice de son activité quotidienne.
«Des images infiniment vivantes, peuplées de figures et de scènes qui nous paraissent aujourd'hui bien lointaines », dit la commissaire d'exposition Chantal Soler.

Et c'est vrai qu'en parcourant l'accrochage, à la Byblos Bank*, des 47 photos en noir et blanc et format moyen tirées de sa série « Mediterraneo », le spectateur a l'impression d'entamer une croisière dans le temps et le pourtour méditerranéen. De (re)plonger plus de cinquante ans en arrière, dans la simplicité, parfois pittoresque, des populations côtières. Et d'aller, ainsi, à la rencontre de ce petit berger joueur de flûte à Bethléem en 1954 ou de ces Italiennes du Sud en fichu au lavoir en 1957 ; de croiser ces porteuses de cruches d'eau à Louxor en 1956 et ces paysannes de Baalbeck transportant des fagots à dos d'âne en 1958. De participer à ce charmant déjeuner à la ferme sur l'île grecque de Lesbos en 1960 ou encore à cette procession de femmes voilées le vendredi saint en Sardaigne (1955) ; mais aussi d'assister à cette ineffable scène (digne de Don Camillio) d'un curé en soutane et chapeau noirs circulant fièrement à dos d'âne dans les rues de Barcelone en Espagne en 1954...
«Il y a très peu d'horizons et très peu de paysages dans ces œuvres. Tout est focalisé sur les personnages, leurs portraits, signale Guillaume de Sardes, le directeur artistique de Photomed. Boubat enlevait le superflu pour que l'image soit simple et percutante. Et, en véritable photographe humaniste, il cherchait à faire ressortir la lumière intérieure des gens. »


(Lire aussi : Toutes les lumières de la Méditerranée, dans un parcours en cinq étapes)

 

Beyrouth, en noir et blanc
« Montrer le vivant était sa préoccupation principale », assure Bernard Boubat, son fils et légataire de son fonds d'œuvres, présent à Beyrouth pour le vernissage. « Il voulait particulièrement le montrer dans le bonheur simple du quotidien. Il avait une vision de l'homme qui n'était pas du tout politique, mais universelle et qui est sans doute née de son expérience de la guerre. Il avait été enrôlé entre 18 et 20 ans dans un camp de travail obligatoire en Allemagne. Et ces deux années ont marqué sa vie. »
C'est ainsi qu'en 1958, par exemple, il se trouve au Liban lorsqu'a lieu l'insurrection contre Camille Chamoun. Édouard Boubat ne jouera pas au reporter, préférant immortaliser ce moment de tendresse entre une petite fille et un pauvre vieillard dans son abri en carton et papier journal.
Est-ce de ce traumatisme de jeunesse qu'est née sa prédilection pour une représentation du monde en noir et blanc ?
« En dehors des photos de commandes, il préférait effectivement l'utilisation du noir et blanc. Il affirmait qu'il arrivait à mieux exprimer son art, ses émotions, ses sentiments en noir et blanc. C'était son instrument de musique, son moyen de nous transmettre sa vision avec plus de vérité, d'acuité et de force. De poésie aussi. Pour lui la couleur n'était pas importante », confie son fils.

Surtout ne pas agresser...
« Respecter l'être humain, le mettre au centre de son travail, le montrer tel qu'il est dans la vie de tous les jours et, surtout, ne pas l'agresser, le prendre en photo presque avec sa permission », voilà ce qui était important pour ce roi de l'instantané, dont aucune photo n'était composée.
« Ce n'est pas la technique qui crée l'art, mais le regard », disait Édouard Boubat. Son regard à lui, empreint de poésie, a le don d'entraîner ceux qui le suivent dans une lumineuse et apaisante invitation au voyage. Sur les rivages du temps et d'une nostalgie souriante.
À découvrir absolument. Jusqu'au 10 février.

* Siège central, avenue Élias Sarkis, Achrafieh. Horaires d'ouverture : du lundi au vendredi de 16h à 20h, les week-ends de 10h à 15h.

 

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