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Moyen Orient et Monde - Analyse

Iran vs Arabie : où s’arrête la religion

Le conflit sunnito-chiite résulte davantage d'une évolution des rapports de force dans la région que d'une guerre transhistorique entre les deux communautés.

Des musulmans chiites vivant en Grèce manifestant devant l’ambassade saoudienne à Athènes contre l’exécution du dingitaire chiite, cheikh Nimr Baqer el-Nimr, en Arabie saoudite. Alkis Konstantinidis/Reuters

Qu'est-ce qui peut pousser des Irakiens, des Libanais, des Iraniens, des Yéménites, des Pakistanais, des Indiens et même des Grecs à descendre dans la rue pour manifester, de façon virulente, suite à l'exécution d'un Saoudien, le cheikh Nimr Baqer el-Nimr ? Quels liens existent-ils entre ces hommes et cette figure de l'opposition saoudienne dont ils embrassent le portrait et déplorent la mort comme s'il s'agissait de celle d'un proche ou d'une idole ? La réponse à ces deux interrogations est la même : pas grand-chose – pas la question des droits de l'homme en tous cas – si ce n'est leur appartenance à la même communauté religieuse. Pour les manifestants, Nimr Baqer el-Nimr est perçu comme un chiite exécuté par une autorité sunnite parce qu'il réclamait un meilleur statut pour sa communauté.

En l'exécutant, Riyad a fait du cheikh saoudien un symbole. Le prêcheur de Qatif est devenu un martyr de la cause chiite, dont le destin renvoie aux épisodes les plus tragiques de l'histoire de cette communauté. Et qu'importe si Nimr Baqer el-Nimr adoptait parfois des positions politiques contraires au sectarisme ambiant, comme lorsqu'il critiquait farouchement le régime syrien et le qualifiait d'oppresseur.

 

(Lire aussi : Pas de guerre frontale entre l'Iran et l'Arabie saoudite, mais une déstabilisation accrue)

 

Polarisation
Les réactions régionales à l'exécution du cheikh saoudien sont peut-être l'exemple plus significatif des conséquences de la guerre froide qui oppose l'Arabie saoudite et l'Iran. Les deux théocraties du Golfe se disputent l'hégémonie régionale en menant des guerres par procuration en Syrie et au Yémen et en essayant de faire pencher la balance de leur côté sur les scènes politiques libanaise, irakienne et bahreïnie. Leur confrontation se situe clairement sur le terrain du politique mais elle contribue à polariser sunnites et chiites dans toute la région.
Même si les guerres yéménite, irakienne et syrienne n'ont pas des enjeux métaphysiques, il est désormais difficile de nier leur dimension religieuse. Le cas syrien est le plus marquant puisque la révolte populaire transconfessionelle qui avait débuté en 2011 a évolué – en grande partie du fait de la politique menée par le régime – en guerre confessionnelle. Les opposants au clan des Assad, issus de la minorité alaouite, sont très majoritairement sunnites. Le nom de leurs groupes, leurs slogans, leurs discours, sont la plupart du temps empruntés au lexique du religieux. Les groupes jihadistes comme l'organisation État islamique (EI) ou le Front al-Nosra – branche d'el-Qaëda en Syrie – recrutent des combattants dans le monde entier, à la seule condition qu'ils soient... sunnites. Le régime et ses alliés ne sont pas en reste. Les Iraniens ont fait appel à des milliers de « volontaires » chiites en provenance d'Irak, d'Afghanistan ou encore du Pakistan pour venir en aide à leurs alliés syriens. Sans compter le Hezbollah qui, pour justifier son intervention en Syrie, a d'abord utilisé l'argument de la défense du mausolée de Zeinab, fille du calife Ali.


Le conflit syrien n'est pas pour autant, à proprement parler, une guerre sunnito-chiite. Plusieurs grandes villes tenues par le régime, comme Hama, sont majoritairement peuplées de sunnites dont les classes les plus aisées soutiennent le régime. De même, l'intervention du Hezbollah et des Iraniens est beaucoup plus motivée par des raisons d'ordre stratégique que par une volonté de venir en aide à un président alaouite, branche non reconnue par l'orthodoxie chiite. Les enjeux du conflit syrien sont multiples – géopolitiques, économiques, ethniques – mais le rôle prépondérant des acteurs extérieurs du conflit, comme l'Iran, la Turquie, l'Arabie saoudite ou même la Russie exacerbe les tensions communautaires, favorise une lecture religieuse et donne du crédit au discours des acteurs les plus radicaux.

 

(Lire aussi : La politique du bord du gouffre, l'éclairage de Christian MERVILLE)

 

Prosélytisme
L'opposition entre Riyad et Téhéran est celle de deux visions de l'islam politique, par essence prosélytes : celle d'un royaume qui a fait du wahhabisme sa doctrine d'État, et celle d'une République qui se qualifie elle-même d'islamique et dont le système gouvernemental repose sur la théorie du wilayet-el-faqih développée par l'ayatollah Khomeyni. En Arabie saoudite, le pouvoir politique, accaparé par les al-Saoud, est obligé de se montrer conciliant avec le clergé wahhabite, pour ne pas perdre sa légitimité religieuse. En Iran, c'est au contraire les mollahs qui possèdent la réalité du pouvoir mais sa gestion est partagée avec la classe politique. Dans les deux cas, le religieux est un instrument au service du politique qui permet de mobiliser, ou au contraire de calmer, les foules.
L'affrontement entre les deux puissances régionales a favorisé l'expansion de groupes islamistes, voire jihadistes, qui se caractérisent par leur sectarisme, dans des pays qui avaient une longue expérience du vivre-ensemble sunnito-chiite comme le Liban ou l'Irak.


Le conflit sunnito-chiite résulte davantage d'une évolution des rapports de force dans la région que d'une guerre transhistorique entre les deux communautés. Il ne permet en aucun cas de comprendre la situation dans les pays du Maghreb, ni les crises en Égypte et en Libye, sans même parler du conflit israélo-palestinien. Les exemples historiques démontrant les limites de cette clé de lecture sont d'ailleurs légion. L'université d'al-Azhar, la plus haute institution de l'islam sunnite, a été fondée par la dynastie chiite ismaélienne des Fatimides tandis que l'Iran, considéré actuellement comme le Vatican du chiisme, s'est converti au chiisme au moment de la prise du pouvoir par la dynastie des Safavides au XVIe siècle.
Le conflit irano-saoudien ressemble plutôt à un mélange entre la guerre froide et la Guerre de Trente ans. Il se joue, à l'instar de la première, sur des théâtres de procuration et connaît des périodes de crises suivies de détentes. Il s'appuie, comme la seconde, qui redessina la carte européenne au XVIIe siècle, sur des rivalités religieuses instrumentalisées par les pouvoir politiques. Dans les deux cas, la fin du conflit donne lieu à un nouveau partage du pouvoir au niveau régional ou international.

 

 

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Qu'est-ce qui peut pousser des Irakiens, des Libanais, des Iraniens, des Yéménites, des Pakistanais, des Indiens et même des Grecs à descendre dans la rue pour manifester, de façon virulente, suite à l'exécution d'un Saoudien, le cheikh Nimr Baqer el-Nimr ? Quels liens existent-ils entre ces hommes et cette figure de l'opposition saoudienne dont ils embrassent le portrait et déplorent la...

commentaires (12)

comme lorsqu'il critiquait farouchement le régime syrien et le qualifiait d'oppresseur LES SAIUDIENS AURAIENT PREFEREE QU'IL SE CONTENTE DE CRITIQUER VERBALEMENT LE REGIME SAOUDIEN ET D'OUVRER CONCRETEMENET SUR LE TERRAIN EN SYRIE POUR RENVERSER LE "REGIME OPPRESSEUR" BAASSYRIEN.

Henrik Yowakim

19 h 26, le 08 janvier 2016

Tous les commentaires

Commentaires (12)

  • comme lorsqu'il critiquait farouchement le régime syrien et le qualifiait d'oppresseur LES SAIUDIENS AURAIENT PREFEREE QU'IL SE CONTENTE DE CRITIQUER VERBALEMENT LE REGIME SAOUDIEN ET D'OUVRER CONCRETEMENET SUR LE TERRAIN EN SYRIE POUR RENVERSER LE "REGIME OPPRESSEUR" BAASSYRIEN.

    Henrik Yowakim

    19 h 26, le 08 janvier 2016

  • Mr Samrani , vous avez commencé par poser la bonne question , mais pourquoi avoir bifurqué juste après ? "Et qu'importe si Nimr Baqer el-Nimr adoptait parfois des positions politiques contraires au sectarisme ambiant, comme lorsqu'il critiquait farouchement le régime syrien et le qualifiait d'oppresseur." Pour me faire comprendre , je vous pose une question : qu'auriez vous écrit si le Cheikh Nimr s'était fait assassiner par les partisans chiites de Bashar ?? Ne me dites pas que cela était impossible à faire , pourquoi pas ? on aurait pu dire de lui que c'était un collabo du régime saoudi anti Bashar ou Iran son grand allié! . Vous comprenez pourquoi tout ce que vous avez écrit est fait "pour chanter avec les merles" ou bien si vous préférez "hurler avec les loups" .

    FRIK-A-FRAK

    13 h 21, le 08 janvier 2016

  • TROIS PAYS DIABOLIQUES QUI PRODUISENT ET EXPORTENT LA HAINE À FOND. ILS FINIRONT PAR FAIRE SAUTER LA PLANÈTE ENTIÈRE.

    Gebran Eid

    13 h 17, le 08 janvier 2016

  • Enfin une analyse lucide et objective. Les dictateurs useront et abuseront de tous les moyens pour maintenir leur chasse gardée et ce, ou qu'ils soient. Dans notre cas de par le positionnement du Moyen Orient, cela devient plus compliqué pour 3 raisons: 1-La région était le passage obligé de tous les peuples, envahisseurs ou commerçants entre l'Asie, l'Afrique et l'Europe. 2-C'est le berceau de la Chrétienté et autres sectes ou idéologies religieuses qui ont chamboulé les mœurs et l'histoire des peuples. 3-Elle a regorgé de gaz et de pétrole, matières qui ont été a la base de l’évolution industriel et économique mondiale. Il est donc naturel que les conflits y apparaissent. A présent d'autre région commencent a monter en importance pour la richesse de leur sol. Ceux qui vont en pâtir se battent pour survivre une fois la manne partie vers d'autres cieux. Cette Manne c'est la Méditerranéenne orientale et la mer Égée. Jamais les puissances d’aujourd’hui n'autoriseront a quiconque de mettre en danger l’économie mondiale et cela de la Chine a la Russie aux USA et l'Europe. Alors au lieu de se battre pour des chimères de manières donquichottesques, le Liban a la chance de s'en sortir a moindre frais une fois le Hezbollah mis au pas. C'est pour bientôt et ils le savent tous d'ou l'intransigeance du Hezb pour s'assurer certains acquis et changer le visage du pays, et des autres pour le laisser en l’état vu que le résultat sera plutôt en leur faveur. Patience et encore de la patience.

    Pierre Hadjigeorgiou

    10 h 16, le 08 janvier 2016

  • LA HAINE RELIGIEUSE EST L,ELEMENT ESSENTIEL QUI DECIDE DES POLITIQUES DES DEUX FACES DE LA MEME MONNAIE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 43, le 08 janvier 2016

  • effectivement tres lucides mais bien sur QUE C'EST AUSSI UNE GUERRE D'INLFUANCE pour le MONOPOLE DU MO, mais n'oublions pas que le MO est tres ideologique et tant a se referer a la religion quel que soit les circonstances .. seul point de repere etant donner que les cours aussi élémentaires qu'elles soient tels que les instructions civiques et morales ne font pas partie du programme scolaires et ne feront pas l'objet d'une education de masse afin que le peuple puisse avoir un autre point de repere cella devrat etre citoyenne (et cela ne se fera pas du jour au lendemain) dommage nous avions commencer bien, mais vue notre efficacité l'on nous a couper les ailes en plein vol et non seulement du sud mais du nord aussi !!!

    Bery tus

    07 h 04, le 08 janvier 2016

  • La religion ,essaye de ne s'arrêter jamais pour mieux exister ...car a force d'avoir inventé des dieux depuis la nuit des temps ...elle rencontre parfois une surproduction ..., dans la création de mites et d'idoles de passage...

    M.V.

    06 h 59, le 08 janvier 2016

  • enfin un bel article!

    Kaldany Antoine

    06 h 28, le 08 janvier 2016

  • "Le conflit irano-saoudien ressemble plutôt à un mélange entre la guerre froide et la Guerre de Trente ans. Il se joue, à l'instar de la première, sur des théâtres de procuration et connaît des périodes de crises suivies de détentes. Il s'appuie, comme la seconde, qui redessina la carte européenne au XVIIe siècle, sur des rivalités religieuses instrumentalisées par les pouvoir politiques. Dans les deux cas, la fin du conflit donne lieu à un nouveau partage du pouvoir au niveau régional ou international.". Tout est dit. Merci, M. Anthony Samrani.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    04 h 20, le 08 janvier 2016

  • "Sans compter le Hezbollah qui, pour justifier son intervention en Syrie, a d'abord utilisé l'argument de la défense du mausolée de Zeinab, fille du calife Ali." ! Oui, au fond, où en est-on avec ce "mausoléeeeee" ?

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    04 h 05, le 08 janvier 2016

  • Des "chïïtes" en Grèce ? ! Des Libanais ? Des Iraniens ? Ils fichent quoi, là ?

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    04 h 01, le 08 janvier 2016

  • "Où s’arrête la religion" ? Là où l'intelligence démarre....

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    03 h 59, le 08 janvier 2016

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