Avouons-le, on en a bavé (pas vous ?) de cette année faite de pentes escarpées, de tournants sinueux et de ravins béants. D'une désolation cinglante à renvoyer les rêveurs de la terre d'Utopie et du pays de Cocagne aux bacs à sable de la déprime. Mais au lieu de patauger dans la gadoue d'un mal-être ambiant, au lieu de se plaindre de l'annus horribilis écoulée, essayons d'opposer en premier talisman de 2016 une Saint-Sylvestre qui fera mentir les adages mauvais. Qui aidera les gorges nouées à se goberger de rires simplets et de breuvages bullés, de fantaisies laquées et de transgressions gratinées. Fêter le Nouvel An dans les bras de l'une des soirées de Beyrouth, légèrement burlesque, malséante et populaire, pourvu qu'elle réjouisse les entrailles et le cœur.
Libido d'antan
Pour ce faire, il faudra scanner les panneaux des rebords d'autoroutes qui brandissent en cette saison de fêtes, en coude-à-coude avec le prix d'un bloc de pâté ou d'un kilo de dinde, le programme du réveillon de la Saint-Sylvestre visiblement maquetté chez le même photoshoppeur. Puis il suffira de piocher dans le panier de la fine fleur qu'offre la pop libanaise, car ils sont nombreux nos pauvres chanteurs qui bûchent ce soir. Y aura qu'à choisir : entre la mise en plis gominée de Waël Kfoury ou celle à la gomme de son double qui officieront entre le Phoenicia et le Casino. Sinon la bouche lippue et les chansons boudeuses de Nawal el-Zoghby qui échauffera les jambes des fantômes du hall de l'hôtel Royal de Dbayeh. Prendre la tangente rien que pour le plaisir de voir Melhem Barakat, notre Vito Corleone national, reconquérir sa libido d'antan dans le creux du décolleté de Maya Diab sur une scène de Amman. Il faudra aussi jeter un coup d'œil sur les jeunes pousses de la scène pop locale qui se produiront dans des hôtels et restaurants aux noms inquiétants de Adib Palace, Amar Resort, Atlal Plaza ou Mon Général.
Le rond-point Achkout
Dans ces salles de bal, les hommes resteront amidonnés de supériorité et cravatés de rouge dans leurs costumes noir sur noir. Tandis que les dames dénudées du croupion joueront les Haïfa Wehbé de pacotille, moulées dans l'outrance de leurs fausses fourrures, enserrées dans leurs dentelles (et leur arsenic) et juchées sur des Himalaya de semelles. Vous allez dire que cela fait ringard et tout pailleté de kitsch et de vulgarité, mais l'acte de ces fêtards est plus politique et cathartique qu'on ne le pense. Se mettre sur son trente et un et chasser 2015 à coups d'escarpins « compensés » et de mocassins vernis, voilà comment les choses doivent se faire ce soir. Dans l'excès et l'humour, même s'il doit être opulent et cocasse. Et personne ne sera là pour juger, personne pour toiser. Il y aura un cousin d'Australie ému de commencer l'année dans le Aramoun de son enfance, les attendrissantes housewives réjouies d'avoir Melhem Zein dans leur Kesrouan et toute une flopée de noctambules qui passent le week-end près du rond-point de Achkout où se déhanchera cette danseuse du ventre.
Champomy et dabké
Autour de ces tables, nous aurons la mâchoire décrochée qui ressemble à la poupe ouverte d'une arche de Noé où viendront se réfugier tous les mets échoués sur des radeaux en stainless steel. Et nous nous ficherons comme de notre premier bavoir de savoir si tout cela est chimique ou organique, carnassier ou veggie. Nous bâfrerons, plutôt, le saumon et son lit de laitues radioactives, la viande et ses légumes en conserve, les bouchées de soirée et leurs toasts pleins de gluten, le mont-blanc comme sa crème au cholestérol. Jusqu'à nous faire le ventre content, et rond et rond, petit patapon. Évidemment, nous ne lésinerons pas sur le champagne, même s'il est rétrogradé au rang de vin mousseux. Sans parler des tonnelets de vin et autres alcools nécessaires à faire passer le tout. Nous plaiderons pour les messieurs à la chemise déboutonnée jusqu'au nombril et les madames aux bas couleurs chair qui filent au moment de la dabké. Nous lorgnerons les cotillons dans leurs sacs en plastique et nous irons même jusqu'à revendiquer le Happy New Year d'Abba usé jusqu'à la corde, éventé comme un vieux Champomy.
Et avec un masque vissé aux yeux, nous rentrerons passer la nuit dans un chalet de Hrajel qui fleure bon le mazout et la vieille moquette, prêts à démarrer l'année.
2015, allez ouste, du balai !
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commentaires (3)
Pourquoi seulement "les messieurs à la chemise déboutonnée jusqu'au nombril" ?
Halim Abou Chacra
17 h 31, le 31 décembre 2015