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Lifestyle - Tous les chats sont gris

« Hechli Berbara » ?

Nous ignorons ses origines, mais la « Berbara » (Sainte-Barbe) demeure le premier cliché de la période des fêtes. Touchant, car il ramène chacun à sa propre enfance, quand le rêve était encore gratuit et intégral.

Photo G.K.

C'est l'histoire d'une jeune fille impétueuse, prise dans les filets d'un ogre de père d'origine phénicienne (ça ne s'invente pas !) voulant disposer d'elle – et de sa virginité au passage – comme bon lui semble. Un beau jour, ou peut-être une nuit, déguisée et la face masquée, elle fugue et se réfugie dans un champ de blé. Herbe folle défiant son geôlier consanguin avec sa foi chrétienne pour seul blason, son histoire finit mal : papa Dioscore découvre la cachette de sa fille Barbara, décide de la torturer puis de la décapiter.
Se rappelant à notre bon souvenir tous les 4 décembre, la tragédie de la Sainte-Barbe, qui remonte au IIIe siècle, est en fait d'une troublante modernité. Pourtant, avec ce faux cultisme habituel, on a omis de nous conter le récit de cette malheureuse « Berbara » qui n'annonce plus désormais, sinon l'attirail de masques et d'accoutrements, que la tripotée de cartons qui fleurent bon la toile de jute poussiéreuse et les guirlandes recyclées. Mais à y réfléchir, ce n'est pas si mal que ça : on soupirait à l'idée qu'il n'y aurait plus de saisons, que les traditions se perdraient, qu'on ne « sentirait » plus Noël. J'entends déjà les détesteurs de la fête du petit Jésus froncer les sourcils et vomir la Mariah Carey criarde, les Wham ! revanchards et les pères Noël neurasthéniques. Ils n'ont pas tort mais on peut difficilement, outre le formidable coup d'accélérateur économique qu'elles constituent, nier l'impact de ces nuits de fêtes. Ne serait-ce que sur les enfants qui reconquièrent un humus symbolique où faire pousser un peu de rêve et de magie. Des notions portées disparues le reste de l'année.

Ce petit je-ne-sais-quoi
Car les fêtes sont par essence le quart d'heure de gloire des enfants en mal d'étoiles dans les yeux. Et pour les plus grands d'entre eux, une façon de croquer à belles dents dans cette envie latente de régression qui gît en nous et qui ne demande qu'à resurgir. C'est inexplicable, mais déjà la Sainte-Barbe réveille chez (quasiment) tout le monde des évocations magiques, inaltérables, bien plus par excès que par défaut. À partir de ce soir de décembre en particulier, toutes les forces vives de notre pays que l'on dit épuisé, léthargique, déprimé, miné par la crise, se déchaînent dans l'intimité chaude des maisons ou dans les rues qui, bien qu'indigestes d'embouteillage, abandonnent leur dégaine cadavérique. Ce sont surtout des gamins sautant des fenêtres de l'autocar, dans ces après-midi qui font ration de lumière de plus en plus tôt. Sautillant à pieds joints les marches de l'escalier, avec un cartable trois fois leur volume qui fouette leurs mini-silhouettes. Bâclant leur ragoût, expédiant leurs dictées et autres fardeaux à chiffres, avec des mono informations clignotant dans leur cervelle : déguisement, confiseries. Courant dans tous les sens comme des puces Duracell, défrichant une vieille caisse à la recherche d'une robe de sirène, rapiéçant une baguette de Super Héros, se fardant les yeux au charbon de prince du désert. Alors que dans les cuisines, un voile de sucre et de fleur d'oranger caresse les murs : aux fourneaux, on mijote du blé en rappel de la cachette de sainte Barbe et sur les tables on dresse les plateaux de Katayef, de Aoueiméte, ces douceurs arabes qui baignent dans la déliquescence d'une mélasse parfumée.

Halloween version libanaise
Dans les rues qui commencent à se peupler de barbes blanches et de faux vieux vêtus de rouge flashy avec leurs bedaines en polochon et leurs perruques en coton, de néons qui grésillent, de guirlandes périmées et de chants litaniques que les commerces diffusent en boucle ad nauseam, les enfants errent comme des Halloweeneurs libanais. Alors qu'autrefois on aurait croisé dans l'entrée de l'immeuble la tendre naïveté d'un ninja, d'une princesse rose bonbon, d'un pirate, d'une danseuse orientale ou, au pire, d'un Télétubby jaune poussin, la Berbara des gamins d'aujourd'hui rime plutôt avec zombies édentées et héros démoniaques, poufs « emperlousées » et Justin Bieber de pacotille. Entonnant le même Hechli Berbara avec tout un attirail d'instruments rugissants, on risquera même de croiser Michel Aoun, Saad Hariri ou Walid Joumblatt derrière nos portes, quémandant puis arrachant tout le panier de confiseries. D'une terrible modernité, cette histoire de Berbara, vous disait-on...

 

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