Au-delà de la polémique interne et de la panique alimentée par les médias, provoquées par les manœuvres militaires russes au large des côtes libanaises, le message stratégique de cette opération écourtée (elle s'est terminée dimanche au lieu de lundi) est que désormais les Russes ont leur mot à dire en Méditerranée. C'est ainsi qu'hier, avec l'arrivée du porte-avions français Charles-de-Gaulle dans la région, le commandement militaire russe a donné l'ordre à ses forces de traiter les Français en « alliés ». Cela peut paraître anodin ou une information de pure forme. C'est pourtant un grand changement politique. Pendant de longues années, la Méditerranée a été le fief des Américains et de leurs alliés, en particulier des forces de l'Otan. Désormais, les Russes y sont bien implantés, et leurs manœuvres militaires écourtées sont une réponse indirecte à celles menées par les forces de l'Otan au début du mois de novembre.
Contrairement à tout ce que peuvent dire ou croire les stratèges occidentaux et leurs pendants libanais, les Russes sont venus en Méditerranée pour y rester, et leur influence est en train de s'étendre dans la région. Au Liban, il y a ceux qui ont été pris de court et ceux qui avaient compris les enjeux réels. Dans une interview télévisée accordée à la chaîne al-Mayadeen, le 3 août 2012, le général Michel Aoun avait prévu ce développement. En réponse à une question de Ghassan Ben Jeddo, il avait expliqué que les Russes et les Chinois vont venir en Méditerranée parce que leurs intérêts vitaux y sont désormais en jeu.
Michel Aoun avait expliqué que les intérêts vitaux d'un pays se résument en deux points : la sécurité et l'économie. Or, la guerre en Syrie (qui en était encore à ses débuts en 2012) constitue une menace pour la stabilité interne et pour l'économie russes. C'est pourquoi ce pays ne pourra pas éviter d'intervenir directement dans la région. Sur le plan de la sécurité, la Russie est d'une part entourée par les missiles balistiques de l'Otan installés en Pologne et en Turquie notamment, et, d'autre part, par une ceinture de républiques musulmanes sous l'influence de la Turquie toute proche. La triste expérience avec la Tchétchénie n'est pas encore oubliée, et les Russes voudraient à tout prix éviter une reprise des attentats terroristes à l'intérieur de leurs frontières.
Sur le plan économique, un des objectifs de la guerre en Syrie était d'en faire le passage obligé du gaz en provenance du Qatar vers l'Europe via la Turquie, aux dépens du gaz russe dont les ventes à l'Europe constituent une des principales ressources de l'économie russe. Pour ces deux raisons vitales, Moscou ne pouvait donc qu'intervenir directement en Syrie, et son opération, selon les diplomates russes eux-mêmes, n'a pas de plafond dans le temps. Elle s'est fixé pour objectif d'assurer les intérêts russes dans la région et elle se poursuivra donc tant qu'il le faudra. Même chose pour la Chine qui a un surplus de production et a urgemment besoin de nouveaux marchés pour écouler ses produits et étendre son influence. Pour ces deux pays, l'intervention en Syrie est donc un objectif stratégique.
Par contre, pour les États-Unis, l'enjeu est de bien moindre importance. Dans tout le Moyen-Orient, Washington a deux intérêts cruciaux : les ressources pétrolières et la sécurité d'Israël. Or ces deux intérêts ne sont pas menacés par la guerre qui se déroule en Syrie. C'est la raison pour laquelle les alliés des Américains dans la région (et au Liban) ont souvent eu le sentiment que les États-Unis avaient une stratégie confuse. On se souvient de la grande déception des alliés arabes des Américains en septembre 2014, lorsque Barack Obama avait renoncé à la dernière minute à bombarder les forces du régime syrien à Damas après l'affaire dite des armes chimiques. En réalité, il ne s'agirait pas tant d'une politique confuse que d'un manque d'intérêt direct. La Syrie n'est pas un enjeu vital pour Washington, qui, tout en ne souhaitant pas la victoire de Daech et de ses semblables, n'est pas dérangé par la prolongation d'une guerre qui affaiblit ses rivaux et leurs alliés sans être coûteuse en hommes pour les États-Unis et leur permet de vendre encore plus d'armes. C'est dans cette optique que des analystes libanais ne se sont pas étonnés de l'absence de réaction musclée de la part des États-Unis à l'intervention militaire russe en Syrie. Certains d'entre eux ont même été jusqu'à croire qu'il existe une sorte de coordination discrète entre les Américains et les Russes, mais pour l'instant, rien ne le prouve encore. C'est juste, comme l'avait déclaré Michel Aoun dans cet entretien stratégique précité, que les Russes sont très impliqués alors que les Américains, eux, ne le sont que du bout des lèvres.
Désormais, les Russes sont donc une composante dont il faut tenir compte en Méditerranée et ils sont déterminés à mettre le paquet pour atteindre leurs objectifs. Selon un analyste libanais, l'intervention russe en Syrie aura bientôt deux mois, et déjà les progrès se font sentir sur le terrain syrien où, malgré les rumeurs véhiculées par les milieux du 14 Mars, la coordination est totale entre les Russes et les Iraniens. De plus, l'Occident s'est rapproché du point de vue russe en reconnaissant que la priorité actuelle doit être à la lutte contre le terrorisme et contre Daech en particulier. Désormais, tout semble aller très vite. Il y a deux ou trois semaines, si on avait dit que Daech avait fait exploser un avion civil russe, tout le monde aurait certes pleuré les victimes, mais certains auraient dit qu'il ne fallait pas s'en prendre aux terroristes en Syrie. Depuis les odieux attentats de Paris, plus personne ne tient de tels propos. Et si Daech continue de bénéficier d'appuis occultes dans le monde arabe et dans la région, ceux-ci se font de plus en plus discrets...
commentaires (17)
oui à l'époque les chinois et russes ont perdu pied en Lybie...la moindre des choses c'était qu'ils réagissent,: les russes ont déjà une base à Tartous, étaient obligé de venir équilibrer les forces en Syrie et les chinois sont en train de construire un porte avions... Vous pouvez souffler au général aussi qu un jour Bachar partira...
CBG
17 h 17, le 25 novembre 2015