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Culture - Musiques actuelles

Bachar Mar-Khalifé, génie authentique

Le musicien présente son troisième album solo, « Ya Balad ». Désormais trentenaire et jeune père, l'artiste est plus que jamais à fleur de peau. Rencontre.

Le musicien ne détourne pas le regard et fait face à la nostalgie de son pays natal. Crédit: Lee Jeffries

Attendre jusqu'à la dernière minute est le péché mignon de Bachar Mar-Khalifé. Sauf que cette fois-ci, une épée de Damoclès pendait au-dessus de sa tête. Le studio était réservé pour une semaine, pas plus. Contrairement à son premier album solo, un aboutissement de 10 ans de travail, il a bouclé dans l'urgence Ya Balad (Oh mon pays). L'artiste est entré en studio avec seulement trois mélodies en tête, écrites auparavant pour des bandes originales. Lui qui a plutôt l'habitude de ne pas se presser – «un peu paresseux», selon ses propres termes – a dû se faire violence. Mais cela fait longtemps qu'il a appris à se retrouver au pied du mur et à se surpasser. «Comme lorsque je dois entrer en scène; je contemple toujours la possibilité que le concert soit annulé. Mais finalement j'y vais et j'aime cette sensation», raconte le musicien de 32 ans. «Être acharné dans l'écriture, négliger la nourriture et le sommeil, c'est ma manière de fonctionner pour travailler», plaide-t-il en souriant.


Pour ce troisième opus, l'artiste souhaitait s'entourer de musiciens, mais sa procrastination maladive lui a joué un tour. À deux semaines de l'enregistrement, il n'avait encore contacté personne. Le pianiste et percussionniste a finalement enregistré tous les instruments seul, tant il lui est difficile de partager son travail, qu'il décrit comme très personnel.
Depuis le début de sa carrière, Bachar Mar-Khalifé a collaboré avec le taulier de la musique électro-jazz Carl Craig, l'Orchestre national de France ou encore le rappeur Kery James. Ses grands écarts entre classique, jazz, électronique et hip-hop constituent son identité musicale. Le musicien prend la vie comme elle va et ne souhaite intellectualiser les événements qu'après coup. « Je n'aurai aucun scrupule à contredire tout ce que j'ai dit aujourd'hui, dès demain. Avant, je me mettais trop de pression. Désormais, je sais que je peux revendiquer mon droit à la contradiction », explique-t-il en éclatant de rire. Réservé, il n'a pas (encore) la prétention de toucher un public large et s'avoue encore choqué par des témoignages positifs à propos de son travail. Avec ce nouvel album, l'artiste anxieux souhaite construire des leurres afin de se protéger d'un succès qu'il ne contrôlerait plus.
Bachar Mar-Khalifé est né au Liban en 1983, y a vécu ses six premières années avant de suivre ses parents en France en 1989.

 

Sensations enfantines
Sa mémoire lui fait parfois défaut, mais l'artiste s'accroche à certaines sensations de son enfance. Une jeunesse préservée de la violence de la guerre civile par son entourage, d'un amour et d'une solidarité débordante. « Paradoxalement, ce sont de belles images. L'enfance est un monde parallèle impénétrable pour les adultes. Ce n'est qu'en France, à l'école, que je me suis rendu compte que nous avions vécu la guerre. »
Assailli de questions dès sa rentrée en classe, le Franco-Libanais se met à réfléchir sur son identité, qu'il définit aujourd'hui « d'une richesse absolue ». « L'inconfort d'être déraciné m'a appris l'adversité, et surtout ma spécificité », souligne-t-il. Avec Ya Balad, sa volonté de parler du Liban s'est imposée à lui sans qu'il n'y prenne garde. « Si je m'étais mis cette idée en tête dès le début, je serais encore en train de m'arracher les cheveux. En studio, il faut essayer de faire le vide pour prendre la première chose qui vient. Cette fois-ci, c'était mon enfance, donc mon pays lointain et imaginaire. »
Même si revenir au pays du Cèdre lui est douloureux, il y tient, pour sa famille et ses amis. Les problèmes politiques et la manière dont les réfugiés sont traités, que ce soit en France, au Liban ou ailleurs, le mettent hors de lui. Le musicien garde une soif inaltérable de justice. Aussi, devenir père a exacerbé son rapport à la vie, tout en le fragilisant. « Ce sont mes jeunes enfants qui me font aimer le Liban. Je vois que c'est leur pays, qu'ils veulent parler, jouer sur sa terre. Mais je me sens de plus en plus étranger ici », concède celui qui n'a jamais fini de se questionner à propos de son identité.
Justement, il n'a jamais supporté d'être simplement regardé comme le « fils de » Marcel Khalifé. Qu'il soit lui aussi chanteur n'a évidemment pas aidé à brouiller cette image. «Aujourd'hui, pour être ce que tu veux, il faut te retirer du monde et laisser dire. Il faut prendre des coups, encaisser», conseille le musicien. Son entourage lui a parfois reproché d'avoir rajouté «Mar» (le saint) à son nom de scène. Il l'a fait par provocation, par ironie, par volonté de couper le cordon, d'être autre chose qu'un «fils de», une véritable entité à part.

 

 

Douter, en toute authenticité
L'artiste garde néanmoins un rapport ténu à la famille. Tout en souhaitant s'émanciper de l'héritage artistique, il collabore avec sa mère sur le morceau Lemon et avec son père sur la chanson Madonna. Cet été, il a accompagné son paternel, à la batterie, sur la scène du Festival de Beiteddine. «J'ai beaucoup d'amour à donner et à rendre. Lorsque je suis sur scène avec mon père, j'ai juste envie de mouiller le maillot pour lui, sans aucune autre préoccupation », confesse-t-il en rappelant à quel point ses parents lui ont apporté musicalement et humainement.
L'enfance et la religion sont les fils rouges de Ya Balad. Son enfance, celles de ses parents ou de ses enfants le hantent. « C'est un monde de poésie dans lequel tout s'entremêle: la vie, la mort, les rires, les larmes, le jeu, la désillusion », confie l'artiste. Aussi, le sacré – dans lequel il place la musique – le fascine. « Je ne demande qu'à avoir un accès à l'immatériel, même si je suis en conflit permanent avec l'image de Dieu. J'aimerais pouvoir boire un verre avec Lui, plaisanter, Le provoquer », ajoute Bachar Mar-Khalifé. Il lui adresse d'ailleurs une prière pour implorer une paix interconfessionnelle avec le morceau Kyrie Eleison (Seigneur, prends pitié). Sans foi, ni croyances, l'artiste se dit aujourd'hui qu'il lui reste seulement le doute. Et douter, tout en gardant son authenticité, lui convient très bien. Même si cela le ronge quelquefois.

Sortie le 16 octobre /label InFiné

 

La nostalgie palpable de « Ya Balad »

Enregistré en l'espace d'une semaine en novembre 2014, dans un studio près de Limoges, en France, Ya Balad est un concentré de vie(s) et de poésies chantées en libanais. Bachar Mar-Khalifé puise dans son amour de l'électro, de la musique classique et de la musique traditionnelle arabe. L'artiste livre des morceaux extrêmement riches tout en voulant rester dans la simplicité. « Plus on enlève de choses, plus on accède à l'immensité. De la même manière lorsqu'on est face à une montagne, sans rien, on a l'impression d'être devant l'absolu, alors que finalement, ce n'est pas grand-chose », relate l'artiste avec humilité. « Danser, pleurer, rire, embrasser tour à tour », chante le Franco-Libanais dans l'intenable Wolf Pack. Ce troisième album est à cette image, un kaléidoscope d'émotions fortes qui transportent du rire aux larmes en un claquement de doigts. La festive Lemon fait danser, avant que la poignante voix de Bachar Mar-Khalifé ne vienne semer le trouble avec Layla et Ya Balad. La beauté de Yalla Tnam Nada, chantée avec l'actrice iranienne Golshifteh Farahani, donne le vertige tant elle rend la nostalgie palpable.

 

 

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