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Liban - Vie de l’Église

Un évêque syro-catholique, victime du génocide de 1915, béatifié samedi à Deir al-Cherfé

D'un massacre à l'autre, l'hallucinant sentiment d'assister à une répétition/continuité de l'histoire.

La statue du bienheureux Flavien Michel Melki au cours de la cérémonie de béatification présidée par le patriarche Ignace Youssef III Younan des syro-catholiques. Ezzat Attar/AFP

C'est dans un hallucinant sentiment d'assister à une répétition, et même à une continuité de l'histoire, que l'évêque syro-catholique Flavien Michel Melki a été déclaré bienheureux samedi, au cours d'une cérémonie religieuse au couvent d'al-Cherfé (Harissa). La proclamation a été faite un siècle et un jour après l'assassinat de l'évêque en raison de sa foi, dans la foulée du génocide de 1915 perpétré par les Ottomans.
La cérémonie de béatification, qualifiée d'« historique » par le patriarche Ignace Youssef III Younan des syro-catholiques, qui a présidé la cérémonie, intervient quelque quatre mois après l'évocation pour la première fois par le pape du terme « génocide » pour qualifier le massacre des Arméniens il y a 100 ans.

Né en 1858 à Kalaat Mara (proche de Mardine, dans l'actuelle Turquie), Mgr Melki avait vu, enfant, son église saccagée et brûlée durant les massacres de 1895, et sa mère assassinée. Ordonné en 1913 évêque de Mardine et de Gazarta (l'actuelle Cizre dans le sud-est de la Turquie), Mgr Melki vivait dans une extrême pauvreté : il avait même vendu ses parements liturgiques pour secourir les pauvres. Au cours de l'été 1915, alors qu'il se trouvait loin de son diocèse, il avait décidé d'y retourner rapidement après avoir appris que des violences s'abattraient bientôt sur sa ville, afin de soutenir ses fidèles. Aux supplications que lui adressaient ses amis à cette période afin de le faire sortir de Turquie et de le conduire dans un endroit sûr, Mgr Melki répétait : « Jamais! Mon sang, je le verserai pour mes brebis. »
Il est arrêté le 28 août aux côtés de l'évêque chaldéen Jacques Abraham, et les deux religieux sont exhortés à se convertir à l'islam. Ils refusent : Mgr Abraham est tué d'un coup de fusil tandis que Mgr Melki, alors âgé de 57 ans, est frappé jusqu'à ce qu'il perde connaissance, avant d'être décapité. Son corps sera jeté dans le Tigre.

Le nouveau bienheureux est le second évêque oriental à être reconnu officiellement par le Vatican comme martyr « in odium fidei » (« en haine de la foi »). En 2001, Jean-Paul II avait béatifié dans les mêmes conditions Mgr Ignace Maloyan, archevêque arménien-catholique de Mardine (Turquie), dans un effort pour valoriser son sacrifice et encourager les fidèles de son Église à rester attachés à leurs terres.

Le martyre de saint Jean-Baptiste
La cérémonie s'est tenue en présence des trois patriarches maronite, grec-melkite catholique et arménien-orthodoxe, Béchara Raï, Grégoire III et Aram Ier, de représentants de tous les patriarches orientaux ainsi que des nonces apostoliques au Liban et en Syrie, Gabriele Caccia et Mario Zenari. C'est le préfet de la Congrégation pour les causes des saints, le cardinal Angelo Amato, qui a lu la bulle papale conférant à l'évêque martyr le titre de bienheureux.

Dans l'esprit de tous ceux qui assistaient samedi à la cérémonie, le lien entre le génocide de 1915 et les communautés chrétiennes de Syrie et d'Irak, actuellement persécutées, décimées ou contraintes à l'exil, est éclatant. Dans son homélie, le patriarche Younan a relevé que, par une coïncidence extraordinaire, la béatification de Mgr Michel Melki intervient le 29 août, date à laquelle l'Église catholique commémore la décapitation de Jean-Baptiste. Faisant le lien entre le génocide de 1915 et ce qui se passe aujourd'hui, en particulier en Syrie et en Irak, le patriarche a affirmé qu'au « pourquoi ? » lancé au ciel par tant de fidèles, il n'y a pas d'autre réponse que celle que l'on peut recevoir dans la foi. « Le secret de la souffrance, a-t-il dit, ne se comprend pas. Il s'accepte dans l'esprit du Christ. »
Le génocide de 1915 a pratiquement effacé la présence des syro-catholiques en Turquie, a-t-il fait valoir. Sur les 80 millions de Turcs, il n'y a aujourd'hui, au mieux, que 50 000 fidèles de l'Église syriaque-catholique, désormais considérée comme l'une des plus petites Églises orientales.

L'attentat de 2010 contre la cathédrale de Bagdad
Au passage, et dans un continuel va-et-vient entre hier et aujourd'hui, le prélat a annoncé qu'une nouvelle cause de béatification sera introduite par son Église en 2016, celle des 48 victimes de l'attentat à la bombe perpétré il y a cinq ans (2010) contre la cathédrale d'as-Saydé (Notre-Dame), à Bagdad, en pleine messe dominicale. Et d'évoquer aussi le déracinement des chrétiens de Mossoul et de la plaine de Ninive, ainsi que l'enlèvement récent de 200 familles à Quaryatayn (Homs), sans parler de celui du prêtre Jacques Mourad, dont on est sans nouvelles depuis trois mois, ni de la destruction du monastère Mar Élian, remontant au Ve siècle.

Cela ne veut pas dire, aux yeux de la forte personnalité qu'est le patriarche Younan, que l'on doive se résigner au fait accompli. Comme il ne manque pas de le faire, chaque fois qu'il parle en public ou s'adresse aux médias, le chef de l'Église syro-catholique a eu des mots sévères pour dénoncer la passivité de grandes puissances « qui se vantent de défendre les libertés » et qui abandonnent à leur sort des populations « qui avaient pris le risque de rester ». Il n'a pas manqué de souligner que ce sont tous les chrétiens d'Orient, chaldéens, assyriens, maronites, melkites, arméniens qui sont menacés, et non seulement les syro-catholiques, et que « lorsque la persécution n'est pas physique, elle est morale ».
Le patriarche Younan reprochera en outre aux grandes puissances de se dérober à leur devoir d'hospitalité, alors qu'elles laissent généreusement envahir un aussi petit pays que le Liban, et s'interroge : « Où donc est partie la conscience du monde ? »

Au sujet du Liban, le prélat s'en prend à « la légèreté avec laquelle certains dirigeants libanais bradent leurs devoirs et leur pays », quand ils auraient pu « rassurer les chrétiens du Liban et de tout l'Orient, en élisant un président de la République ».

La cérémonie religieuse a été marquée, par ailleurs, par le chant d'un hymne composé en l'honneur du nouveau bienheureux et la présentation d'une icône et d'un buste qui le représenteront officiellement aux fidèles. Sa fête liturgique a été fixée au 28 août, jour de son martyre.

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L'hommage du pape

Le pape François a exalté hier l'exemple de l'évêque martyr Michel Melki, en affirmant qu'il apporte « consolation, courage et espérance » aux chrétiens persécutés du Moyen-Orient. « Dans le contexte d'une terrible persécution contre les chrétiens, il aura été un défenseur infatigable des droits de son peuple, exhortant tous à demeurer fermes dans leur foi. Aujourd'hui, au Moyen-Orient et dans d'autres régions du monde, les chrétiens sont aussi persécutés », a observé le pape lors de l'Angélus dominical sur la place Saint-Pierre. Il a demandé « aux législateurs et gouvernants » de la région d'assurer la liberté religieuse et à « la communauté internationale de faire quelque chose » pour mettre fin aux violences.

 

 

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