Rechercher
Rechercher

Liban - Décryptage

Entre les déclarations incendiaires et les réalités historiques

Affrontements sanglants, attentats terroristes, violations régulières des frontières, le paysage régional est actuellement des plus confus. Même si le Liban est plus ou moins épargné, pour l'instant, de plus en plus de rumeurs circulent sur un changement des frontières et des entités au Moyen-Orient. Les vieilles cartes qui étaient monnaie courante pendant la guerre libanaise ressortent et les plus courageux parlent déjà d'un retour à la théorie de la partition du Liban en entités confessionnelles et religieuses, parallèlement à la partition de la Syrie et de l'Irak, et à la création d'un État kurde. Les partisans de cette théorie estiment aussi que les derniers propos du général Michel Aoun au sujet de la possible adoption du système de la fédération au Liban, après l'établissement d'une décentralisation poussée, s'inscrivent dans ce cadre. Il faut préciser à cet égard que Michel Aoun n'a pas proposé une fédération, se contentant de dire qu'en fermant toutes les portes devant les chrétiens, on les pousse à réclamer ce genre de formule, sachant qu'elle ne peut se faire que sur la base de l'accord de toutes les parties.
Or, les exemples de l'histoire ne vont pas dans ce sens. En général, lorsqu'on crée une fédération, il s'agit d'un processus positif pour rassembler des entités séparées. C'est ainsi l'exemple de l'Allemagne, de la Suisse, de la Belgique, etc. Par contre, jusqu'à présent, séparer ce qui était uni se fait généralement après des guerres. C'est le cas notamment de l'ex-Yougoslavie et du Soudan, où les affrontements sanglants ont abouti au partage d'un pays en plusieurs États. Autrement dit, dans un pays où il y a un régime centralisé, la fédération ne peut pas se faire sans passer par une étape de radicalisation et d'affrontements en prélude au détachement et au morcellement.
Certaines voix s'élèvent déjà au Liban pour protester contre cette réalité historique et assurent que l'on peut diviser ce qui est uni dans une formule civilisée de fédération dans le calme et le dialogue. Toutefois, dans le contexte régional et arabe actuel, cette vision paraît utopique. Car pour diviser un pays uni autour d'un pouvoir central, il faut préparer la base et la radicaliser pour qu'elle accepte l'idée de la séparation. C'est en tout cas ce que disent les historiens.
De plus, la situation au Liban est particulière. Ce pays est né de la fédération de deux tendances, celle qui voulait se rapprocher de l'Occident et celle qui voulait se rapprocher du monde arabe. Même pendant sa période dite d'or, le Liban n'a pas réussi à surmonter ce clivage qui a finalement connu son apogée pendant la guerre de 1975, avec pour catalyseur la présence palestinienne. Tout au long des 15 années qu'a duré cette guerre, chaque groupe a tenté de créer son propre canton, avant de se résoudre finalement à réintégrer le Liban dans sa composante multiple, selon un nouveau partage des pouvoirs consacré par l'accord de Taëf.
Aujourd'hui, les principales forces dans chaque camp sont convaincues de l'importance de rester dans le cadre libanais, en dépit des déclarations incendiaires, des protestations, des accusations réciproques destinées à mobiliser les bases de chaque force. La réalité politique est totalement différente des déclarations médiatiques et les composantes du pays savent que pour défaire le Liban, il faut d'abord une guerre entre les groupes, qui aboutirait à une partition de facto, avant de revenir, lorsque les remous se seront calmés, à une fédération. Dans le contexte régional et arabe actuel, où les tensions confessionnelles sont à leur apogée, une partition du Liban sur une base confessionnelle ne peut donc se faire que dans la violence et susciter des guerres régulières sans fin entre les différentes entités, qui se seraient entre-temps radicalisées. Par exemple, le courant du Futur se présente aujourd'hui comme la force modérée au sein de la communauté sunnite. Mais si des conflits éclatent entre les sunnites et les chiites, ou entre les sunnites et les chrétiens, ce ne sont pas les modérés qui seront sur le devant de la scène. Au contraire, les modérés devront céder la place aux extrémistes sur le modèle de Daech et d'al-Nosra. Même chose pour les chrétiens, qui devraient commencer par s'unir (ce qui est déjà assez compliqué) autour des plus belliqueux d'entre eux et aussi pour les chiites qui sont déjà unis autour d'un projet qui reste modéré pour le Liban. Mais s'ils sont ciblés en tant que communauté, les propos apaisants et ouverts aux autres communautés en dépit des critiques politiques parfois violentes du secrétaire général du Hezbollah pourraient être dépassés par une réalité intolérante et violente sur le terrain.
Le projet de la partition du Liban, qui, dans le contexte actuel, est une étape obligée avant la fédération, devrait donc passer par une lutte entre les groupes les plus extrémistes au sein de chaque communauté. Mais le plus grave, c'est que, chez les sunnites, les courants extrémistes existent, et si les circonstances le permettaient, ils pourraient rapidement prendre le dessus sur le courant du Futur. De même, chez les chiites, de tels courants pourraient émerger à cause de la frustration et de la colère et faire éclater le Hezbollah ou le radicaliser. Par contre, les chrétiens, eux, seront les premières victimes des affrontements confessionnels entre les sunnites et les chiites, ainsi que les druzes. Ce serait d'ailleurs une des raisons pour lesquelles certaines parties druzes encourageraient actuellement l'exode vers le Liban des druzes d'Idlib, après le massacre dont ils ont été victimes, et ces deux communautés ne pourront plus trouver un allié extérieur pour les défendre puisque, autour du Liban, il n'y a que la Syrie enfoncée dans sa propre guerre et Israël... Parler de fédération, c'est donc en quelque sorte jouer avec le feu ou aller au bord du précipice. Un sport que les Libanais ne se lassent pas de pratiquer.

Affrontements sanglants, attentats terroristes, violations régulières des frontières, le paysage régional est actuellement des plus confus. Même si le Liban est plus ou moins épargné, pour l'instant, de plus en plus de rumeurs circulent sur un changement des frontières et des entités au Moyen-Orient. Les vieilles cartes qui étaient monnaie courante pendant la guerre libanaise ressortent...

commentaires (8)

Michel Aoun, le néo-Charles Martel, dès sa fuite du Palais de Baabda, était descendu aux abysses des combinaisons politiciennes et des vociférations incendiaires, pour n'en sortir jamais plus.

Un Libanais

16 h 54, le 29 juin 2015

Tous les commentaires

Commentaires (8)

  • Michel Aoun, le néo-Charles Martel, dès sa fuite du Palais de Baabda, était descendu aux abysses des combinaisons politiciennes et des vociférations incendiaires, pour n'en sortir jamais plus.

    Un Libanais

    16 h 54, le 29 juin 2015

  • Malgre la petite superficie du pays . Le diviser en fédérations est fort souhaitable et réconfortante Finiront alors les querelles mesquines et les revendications de chaque communauté pour les postes clé ...finira la répartition du petit fromage aux faméliques de la république bananière .. Et puisque de toute façon chacune des 4principales communautés est vautrée dans son coin-fief .

    Hitti arlette

    13 h 03, le 29 juin 2015

  • Scarlett , La Mere de toutes les analyses !!! on notera que les communautes chretiennes tiendront le plus mal la route , parce que depouillees de toute volonte de resister , comme c'est le cas en irak et en syrie . Les sunnites moderes se verront balayes comme fetu de paille par les salafowahabites comme c'est le cas en irak et en syrie , les druzes trop minoritaires chez nous pour pouvoir s'imposer militairement . Les chiites de la resistance du hezb n'ont pas encore montre ce qu'ils sont capables de faire en cas de conflit ouvert et violent , malgre que ce sont a l'heure actuelle les seuls a etre unis et fort dans le tissu social libanais . S'ils ont ete capable de foutre la raclee a Israel , le reste sera encore plus facile meme si les bacteries sont nourries par ce pays usurpateur . On le voit dans le qalamoun. Les appels de partition du Liban ont change de ton , c'etait dans le temps un leitmotif chretien , aujourd'hui ca l'est moins . Et juste une question , quelque soit le futur du pays , nous autres resistants on garde Scarlett , les autres se demerderont tout seuls .

    FRIK-A-FRAK

    12 h 55, le 29 juin 2015

  • En effet il y a malheureusement des fanatiques partout et tous sont dangereux de quelque bord qu'ils viennent. Mais vous avez essaye d’édulcorer le fanatisme Chiite au Liban. Cela me pousse a me demander qu'elles sont les politiques que vous, et ceux qui pensent comme vous, qualifierez de radicale chez les chiites. Vous dites: "... aussi pour les chiites qui sont déjà unis autour d'un projet qui reste modéré pour le Liban". Je note que leur idéologie d'instaurer un état islamique, a l'image de l'Iran, qui ferait parti de l'empire islamique sous les ordres du Fakih est en soit un projet loin d'etre modéré puisqu'il exclut tous les autres de facto. Je vais plus loin dans votre écrit: "De même, chez les chiites, de tels courants pourraient émerger à cause de la frustration et de la colère et faire éclater le Hezbollah ou le radicaliser". Je note, une fois de plus, la théorie idéologique du Hezbollah qui prétend que le Liban est terre musulmane et que les Chrétiens qui s'y trouvent y on été importé par les Byzantins pour limiter l'influence des musulmans dans cette partie de la région. Et bref, il leur faut récupérer ces terres soit disant usurpées. Il a commencé par se servir des jeunes Chiites comme chair a canon pour atteindre son objectif, faut il que le Hezbollah, parti nazi et théocratique par excellence, commence par nous transformer en savonnette pour que vous sortiez de votre carcan de dhimmis? Non pas bravo car une fois de plus vous avez fausser l'information.

    Pierre Hadjigeorgiou

    12 h 43, le 29 juin 2015

  • 1 - LES RADICAUX... TRÈS CHÈRE MADAME SCARLETT HADDAD... SURTOUT SALAFISTES ET FAKIHISTES... EXISTENT BEL ET BIEN DANS LE PAYS ! LE NIER C'EST NIER LA VÉRITÉ... 2 - LES CHACUN CHEZ SOI ET TOUS ENSEMBLE... OU FÉDÉRATIONS... NE SE FONT PAS UNIQUEMENT APRÈS DES GUERRES... MAIS AUSSI AVEC LA LOGIQUE ET LA NÉGOCIATION... ET LES INTÉRÊTS COMMUNS... LES EXEMPLES NE MANQUENT PAS DANS CE MONDE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 44, le 29 juin 2015

  • Bravo pour cette cette bonne analyse de science politique, techniquement objective, politiquement nuancée et surtout réunificatrice de toutes les composantes du tissu socio politique libanais, (même si la démarche en question s'opère à leur corps défendant)...!

    Salim Dahdah

    08 h 50, le 29 juin 2015

  • celle qui voulait se rapprocher de l'Occident et celle qui voulait se rapprocher du monde arabe. il n'y a jamais eu parmi les libanistes les vrais qui ont voulu se rapprocher de l'occident, prendre le modele democratique des pays occidentaux ne veut absolument pas dire prendre partie pour l'occident comme l'article le sous entend en d'autre terme vous dites qu'il faudrait un chaos au liban, pour qu'apres il s'entendent pour monter une federation? comme en suisse, en Belgique, etc ?!?

    Bery tus

    06 h 55, le 29 juin 2015

  • Il me semble qu'il faut d'abord que s'arrête cette hérésie populiste clef "fermer la porte à Michel Aoun c'est fermer la porte aux chrétiens". On verra alors les choses plus clairement.

    Halim Abou Chacra

    06 h 30, le 29 juin 2015

Retour en haut