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Liban - 10e anniversaire du retrait syrien

Un retrait syrien jubilatoire assommé par l’amertume du schisme politique interne

Les services de renseignements en civil tabassant les manifestants devant le Palais de justice le 7 août 2001. Photo L’Orient-Le Jour


Fin avril 2005. Pour la première fois depuis 30 ans, il n'y aura plus aucun soldat ou agent des services de renseignements syriens au Liban. L'annonce historique du retrait syrien total a été faite par l'envoyé spécial des Nations unies chargé de l'application de la résolution 1559, Terjé Roed-Larsen, à l'issue d'un entretien à Damas avec le président syrien Bachar el-Assad et son ministre des Affaires étrangères, Farouk el-Chareh.
Le chef de la diplomatie syrienne a quant à lui déclaré qu'« en se retirant totalement du Liban, la Syrie aura appliqué la partie la concernant de la 1559 », une résolution du Conseil de sécurité votée le 2 septembre 2004 à l'initiative de la France et des États-Unis pour tenter d'empêcher la prorogation du mandat d'Émile Lahoud, voulue et obtenue par la Syrie. Mais il a ajouté que le retrait ne signifie pas nécessairement la fin des relations entre les deux pays. « Les rapports entre la Syrie et le Liban sont bâties sur des bases nationales solides qui ne peuvent pas être annulées par le retrait des forces militaires », a-t-il dit, précisant que « la sécurité des deux pays est liée ». Il a rappelé à cet égard que l'accord de Taëf qui a mis fin à la guerre civile au pays du Cèdre, en 1990, stipule que le Liban ne sera pas utilisé pour déstabiliser la Syrie, et vice versa.


En effet, il fut un temps où les forces de l'ordre libanaises, généralement d'obédience syrienne, procédaient à l'arrestation arbitraire de dizaines de partisans aounistes, des Forces libanaises et du Parti national libéral, principaux courants de l'opposition entre 1990 et 2005. Ces arrestations arbitraires étaient nombreuses, notamment durant les manifestations publiques, rencontres universitaires et politiques, ou encore dans certaines ruelles obscures de la capitale pour une affiche accrochée ou un portrait déchiré. La plupart des personnes arrêtées étaient relâchées après leur interrogatoire, mais beaucoup d'autres étaient déférées devant le tribunal militaire où elles étaient jugées et condamnées arbitrairement. Plusieurs personnes ont perdu la vie en prison. Certains étaient également forcés de signer au bas d'un document dans lequel ils s'engageaient à ne plus entreprendre d'activités politiques. Les accusations retenues contre ces personnes étaient généralement les suivantes : « Diffamation envers la personne du chef de l'État », « diffamation envers un pays ami » (la Syrie), « constitution d'un groupe illégal », « atteinte à la sécurité de l'État », « diffusion des principes d'un parti non autorisé »...


Le retrait syrien a constitué le dénouement de plusieurs dizaines d'années de militantisme et de résistance entrecoupées d'interventions musclées des forces de l'ordre, ou d'invitations sournoises des services de renseignements syriens ou de leurs poulains libanais.


Charbel, fils d'un agriculteur de Bécharré et ancien combattant FL, est l'un de ceux s'étant vu cordialement invités à venir prendre le café par les SR à Hadeth el-Jebbé, au Liban-Nord, pour se retrouver plusieurs jours plus tard dans un cachot au ministère de la Défense à Yarzé, suspendu au plafond par des chaînes et écartelé afin de « passer aux aveux ». Insultes humiliantes, menaces de transfert en Syrie avec un catalogue détaillé des « services » offerts dans les prisons syriennes et railleries au sujet des disparus en Syrie avaient suffit à lui faire signer un document qu'il n'a même pas pu lire, tellement ses yeux avaient enflé sous les coups.


Ce retrait, il l'a trouvé jubilatoire, Charbel, lui qui y a œuvré dans sa localité, assiégée par les barrages montés par les Syriens qui se montraient implacables et méfiants à l'égard des chrétiens de cette région. Il avait même participé en compagnie de jeunes étudiants aounistes membres du Courant patriotique libre (CPL), de militants du courant du Futur et de membres du Parti communiste, en présence de prestigieux journalistes et militants des droits de l'homme, à des rencontres politiques, parfois dans la clandestinité, à Beyrouth. Ces rencontres avaient pour objectif la mise en commun d'une feuille de route permettant d'augmenter la pression sur les Syriens au Liban et de médiatiser les manifestations appuyant le refus des jeunes de l'hégémonie syrienne.


« Hélas, nous n'avons pas eu le temps de nous réjouir de ce retrait, qui a laissé derrière lui un schisme fracturant plus que jamais la scène politique en deux forces qui s'opposent pour le plus grand plaisir de l'ancien occupant. Quelle relation établir avec la Syrie, celle d'une allégeance aveugle et inconditionnelle à un pays qui a violé notre terre et hante maintenant nos esprits par ses débordements, ou une simple relation officielle d'État à État ? » se demande-t-il. « L'ivresse du retrait a fait place au désenchantement provoqué par la réapparition d'hommes politiques qui semblent immortels face à des héros encore jeunes et dont la vie a été brutalement raccourcie », reprend-il.


Face aux exactions commises et l'impunité de plusieurs seigneurs de la guerre libanaise revenus sur le devant de la scène politique en se présentant comme seule alternative pour un nouveau départ du Liban, le goût de la victoire est devenu amer. Une amertume que les Libanais ressentent d'autant plus face aux conflits internes lors du partage « du gâteau du pouvoir » par les responsables atteints de folie des grandeurs. Un partage devenu source de conflit après le départ du dernier soldat syrien, sur fond d'assassinats politiques. Le reflux de ce phénomène pourrait être le seul événement capable de redonner une saveur et un sens au départ définitif de l'occupant en 2005.

 

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