Rechercher
Rechercher

Liban - Disparus en Syrie

Dix ans après, la même et insupportable attente

Les familles des Libanais victimes de disparition forcée en Syrie entameront demain leur onzième année de sit-in permanent au jardin Gebran Khalil Gebran, face à l'Escwa.

La tente, symbole du combat des familles des Libanais victimes de disparition forcée en Syrie. Photo archives

11 avril 2005. Plusieurs dizaines de familles de Libanais détenus dans les prisons syriennes prennent d'assaut le jardin Gebran Khalil Gebran, place Riad el-Solh, face à l'Escwa. Elles y dressent une tente qu'elles ornent des photos de leurs proches, dont certains sont victimes de disparition forcée depuis près de trois décennies. Elles annoncent le coup d'envoi d'un sit-in permanent, accompagné les premiers jours d'une grève de la faim.
Avec l'intifada de l'indépendance, déclarée quelques jours après l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri, le 14 février 2005, les familles croient que leur calvaire touche à sa fin. Ce n'est qu'une illusion. La programmation du retrait total des forces et des services de renseignements syriens du Liban, conformément à la résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations unies, et la rapidité avec laquelle le calendrier du retrait est établi ne jouent pas en leur faveur. Leur attente risque de s'éterniser. Elles doivent agir.
C'est ainsi que, soutenues par Solide (Soutien aux Libanais en détention et en exil) et par Solida (aujourd'hui le CLDH – Centre libanais des droits de l'homme), elles entament leur sit-in. Leurs objectifs ? Une reconnaissance de la part des Nations unies que l'application par la Syrie de la résolution 1559 demeure incomplète tant que le dossier des disparus et des détenus libanais dans les geôles syriennes n'a pas été réglé. Elles réclament aussi la formation d'une commission d'enquête internationale sur les disparitions forcées et les arrestations arbitraires de Libanais par les services de renseignements syriens.

11 avril 2015. Les parents des Libanais victimes de disparition forcée en Syrie entament leur onzième année de sit-in permanent, toujours dans le jardin Gebran Khalil Gebran, place Riad el-Solh. Des centaines de personnes qui occupaient jadis les lieux, il ne reste plus qu'une poignée de vieilles femmes, à la santé fragile, qui assurent une permanence dans la « tente » pour ne pas abandonner la cause. Les photos des centaines de Libanais victimes de disparition forcée en Syrie, jaunies par une attente qui s'éternise, continuent à orner les pans de la tente, aux couleurs flétries par le temps. Les familles sont toujours dans l'incertitude, et de nombreux parents ont quitté ce monde, sans pour autant s'être fixés sur le sort des leurs.

 

(Pour mémoire : Les familles des victimes de disparition forcée appellent à une « reconnaissance officielle » de leur cause)

 

Des avancées, mais...
« Cette décennie a quand même été marquée par plusieurs avancées au niveau du dossier », confie à L'Orient-Le Jour Ghazi Aad, porte-parole de Solide, dressant un bilan de ces dix dernières années. « Il y a eu une unanimité politique et nationale sur la nécessité de trouver une solution au dossier des victimes de disparition forcée. En effet, les gouvernements qui se sont succédé depuis 2005, mis à part le gouvernement de Tammam Salam, ont souligné dans leur déclaration ministérielle la nécessité de résoudre le dossier. L'ancien président de la République Michel Sleiman avait lui aussi, dans son discours d'investiture, accordé une attention particulière à notre cause. À la fin de son mandat, il a appelé à la formation de la commission nationale pour les victimes de disparition forcée en Syrie et les disparus au Liban. Donc, contrairement à ce que l'on prétend, le dossier ne fait pas l'objet d'un clivage politique », explique-t-il.
Sur le terrain, deux fosses communes ont été déterrées en décembre 2005, respectivement au ministère de la Défense et à Majdel Anjar. Les corps de près de vingt-quatre soldats avaient été trouvés dans la première et identifiés.

Sur le plan juridique, « une proposition de loi pour la formation de la commission nationale pour les victimes de disparition forcée en Syrie et les disparus au Liban est en train d'être étudiée au Parlement », rappelle Ghazi Aad. « Ce texte est une compilation de deux projets de loi, l'un présenté par Hikmat Dib, député du bloc parlementaire du Changement et de la Réforme, et l'autre par Ziad el-Kadri, député du bloc parlementaire du Futur, et Ghassan Mokheiber, député du bloc parlementaire du Changement et de la Réforme », souligne Ghazi Aad.
De son côté, Chakib Cortbaoui, ancien ministre de la Justice, avait présenté au Conseil des ministres, en 2012, un projet de décret visant à former une commission nationale indépendante pour les victimes de disparition forcée. Ce projet avait alors suscité l'indignation de certaines parties, notamment le comité des familles des disparus au Liban, l'association des anciens détenus en Syrie, et la Fondation des droits de l'homme et du droit humanitaire, qui réclamaient une « loi » et non un « décret ».
Ghazi Aad met en outre l'accent sur la décision prise par la juge des référés à Beyrouth, Zalfa el-Hassan, de protéger les fosses communes de Mar Mitr et de Makassed. Celles-ci figurent dans le rapport de la commission officielle d'investigation sur le sort des enlevés et disparus au Liban, désignée en 2000 par le Premier ministre d'alors, Sélim Hoss, et présidée par le général Sélim Abou Ismaïl. Il insiste aussi sur la décision prise par le Conseil d'État en mars 2014, accordant aux familles des disparus et des victimes de disparition forcée le droit de prendre connaissance des informations officielles concernant leur dossier.

 

(Pour mémoire : Détenus en Syrie et disparus : un premier pas « concret » vers la vérité ?)

 

« Le scandale »
La cause de ces Libanais victimes de disparition forcée en Syrie a également suscité un intérêt à l'échelle mondiale. Cela s'est traduit notamment par les visites effectuées sur les lieux du sit-in par Ibrahim Gambari, conseiller des affaires politiques de l'ancien secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan. La sous-secrétaire du département d'État américain, Elizabeth Dibble, et le vice-président du Parlement allemand, Wolfgang Thierse, étaient également au nombre des visiteurs de « la tente », ainsi que plusieurs diplomates en mission au Liban. De leur côté, les médias étrangers ont accordé un intérêt spécial pour la cause.
À l'échelle internationale également, l'envoyé du secrétaire général des Nations unies, Terjé Roed-Larsen, avait mentionné dans son quatrième rapport sur l'application de la résolution 1559 (présenté en octobre 2006) la nécessité de trouver une solution à ce problème.

Tous ces rebondissements n'ont toutefois pas servi la cause. « Malheureusement, aucune mesure concrète n'a été prise pour résoudre ce dossier, déplore Ghazi Aad. À ce jour, le gouvernement refuse la formation de la commission d'enquête nationale pour les victimes de disparition forcée. Il refuse également la création d'une banque d'ADN. Or celle-ci est d'autant plus importante que les parents s'éteignent l'un après l'autre. Sans cette banque, nous perdons toute évidence génétique qui nous permettra d'identifier à l'avenir les victimes de disparition forcée. »
Ghazi Aad ne peut se retenir de rappeler le « scandale » qui a accompagné la découverte dans la plaine de la Békaa, en 2009, du corps du journaliste britannique Alec Collett, enlevé et tué pendant la guerre. « Un autre corps a été découvert avec celui du journaliste, rappelle Ghazi Aad. Le gouvernement l'avait enterré de nouveau, sans entreprendre aucune mesure pour l'identifier ! C'est l'un des nombreux exemples concernant l'attitude du gouvernement vis-à-vis du dossier. »

« Jusqu'à quand ? »
Après dix ans de sit-in et près de quatre décennies d'attente, les familles et Solide affirment que seul le sort des victimes de disparition forcée leur importe. « Le régime actuel en Syrie ou l'autorité qui dirigera le pays à l'avenir doit nous fournir des réponses à ce sujet, martèle Ghazi Aad. De son côté, le gouvernement libanais doit assumer ses responsabilités et commencer par former la commission d'enquête nationale et créer la banque d'ADN. »
Pragmatique, Ghazi Aad reprend : « Je pense que l'atermoiement et la négligence à l'égard du dossier sont dus à l'implication de nombreuses parties, aujourd'hui dans le pouvoir, dans l'enlèvement de ces personnes. Elles prétendent que l'ouverture de ce dossier menacerait la paix civile. Ce ne sont que des prétextes fallacieux, parce que les familles et les ONG qui s'occupent du dossier ne réclament que la vérité. Nous avons renoncé à notre droit à réclamer la justice, bien que nous soyons convaincus que seule cette démarche rend justice aux victimes et aux familles. Malheureusement, dans ce dossier, c'est la politique de l'impunité qui l'emporte. »
Épuisées, les familles le sont certes. Elles ne sont pas pour autant prêtes à abandonner leur cause. Elles affirment qu'elles poursuivront leur action jusqu'à ce que la lumière soit faite sur le sort de leurs proches. Une question toutefois les taraude : « Jusqu'à quand ? »

 

Pour mémoire
Détenus en Syrie : la faillite des responsables de tous bords...

Quand l'ambassadeur syrien se moque des parents des prisonniers...

Damascus Leaks publie des documents « officiels » sur les détenus libanais en Syrie

« Badna Naaref », un documentaire sur la mémoire orale de la guerre du Liban

11 avril 2005. Plusieurs dizaines de familles de Libanais détenus dans les prisons syriennes prennent d'assaut le jardin Gebran Khalil Gebran, place Riad el-Solh, face à l'Escwa. Elles y dressent une tente qu'elles ornent des photos de leurs proches, dont certains sont victimes de disparition forcée depuis près de trois décennies. Elles annoncent le coup d'envoi d'un sit-in permanent,...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut