Parlons-en, de cette liberté d'expression dont on nous rabâche les oreilles et on nous crève les yeux. Cette liberté d'expression pour laquelle on se tue et par laquelle on tue par des offenses, des moqueries, des humiliations, des incitations... Cette liberté à double standard, que l'on érige en nouveau culte, déesse de la laïcité vs les dieux des religions, mais pas toutes, certaines étant épargnées par ladite liberté. Parlons-en de cette liberté qui ne permet d'exprimer que ce qui est politiquement, moralement, légalement correct. Cette liberté débridée ici, mais dont on serre férocement la bride et la vis, là. Qui scande « Je suis Charlie », mais qui muselle ou persécute « Je ne suis pas Charlie », qui fait de « la minute de silence » une expression silencieuse obligatoire, et gare à ceux qui ne la respectent pas, cette minute de silence. Même les écoliers réfractaires ont été interrogés ou psychanalysés. Et si, par défi, boutade ou égarement, on ose écrire « Je suis Coulibaly », taper ces trois mots sur son clavier, on est voué aux gémonies, accusé d'apologie du terrorisme, traduit en justice, incarcéré, mais avec des circonstances atténuantes aux célébrités.
Parlons-en, de cette liberté d'expression à double face, aux deux poids et deux mesures : un poids pour les chrétiens et les musulmans, un autre pour les juifs. Cette liberté d'expression qui n'y va pas de main morte pour taillader la dignité des musulmans et des chrétiens, offenser leur sacré par ses caricatures moqueuses et indécentes, mais dont la main « meurt » devant le sacré des juifs. On peut librement caricaturer et se moquer de Mohammad et de Jésus, mais attention de toucher à Moïse. Si on s'applique, pour noyer le poisson, à railler le juif et l'Arabe, c'est aux dépens de ce dernier.
Parlons-en, de cette liberté d'expression qui pénalise ceux qui se permettraient de nier ou de minimiser l'Holocauste. Eh oui, il existe une loi contre cette expression libre. On peut être un « philosophe égoïste », adepte du solipsisme ou du scepticisme, rien n'y fait. On est condamnable. Il faut reconnaître ce fait historique, dans la magnitude voulue. Défense d'adhérer à cette philosophie. Défense de nier ici, mais permission de nier là : nier le sacré, les valeurs, les susceptibilités d'autrui, au nom de la sacro-sainte liberté d'expression, dût-elle se muer en liberté de provocation et conduire à une liberté d'expiration.
«Liberté, égalité, fraternité», nous dit-on. Liberté, d'accord, vous y mettez plein la palette; mais où sont-elles, l'égalité et la fraternité ? Si vous pouviez les sacraliser aussi, au même titre que la première... Pour pouvoir les équilibrer et les concilier, vous devriez mettre de l'eau dans le vin frelaté, enivrant, de la première. Ou bien non? Ce frère de « fraternité », c'est en insultant ce qu'il a de plus cher, de plus précieux, de plus sacré, qu'il deviendra votre frère ? Ririez-vous d'une caricature qui mettrait votre propre frère, votre propre sœur, femme, enfant, mère, père, ou vous-même, dans une posture dégradante et humiliante ? Rire des autres est une chose, mais rire de soi ou de ses proches est moins évident, n'est-ce pas ?
Parlons-en, de cette liberté d'expression qui interdit les crèches dans les espaces publics, les mairies, qui ordonne qu'elles soient démontées conformément à un principe, dit de laïcité. Dans l'attente que l'on interdise de souhaiter « Joyeux Noël », lorsqu'on prendra conscience de son étymologie. Et je me demande comment «Christ» qui est dans « Christmas » est toujours toléré. Profitons du calendrier chrétien, encore en vigueur, car tout porte à croire qu'il sera bientôt remplacé par le calendrier « neutre » de la laïcité. Un calendrier où les jours se suivent, uniformément, dans un train-train fait de wagons de même teint, rasant un paysage vidé de ses symboles, de son histoire, de ses racines ; un train-train où les passagers se côtoient sans se remarquer, imperturbables, impénétrables, incommunicables, chacun pour soi et la laïcité pour tous, immobiles et rivés sur leur téléphone mobile, en route vers leur boulot ou au retour au dodo, vers une destination finale, connue et acceptée de bon gré par la plupart : le néant.
Parlons-en, de cette liberté d'expression qui oblige de chanter La Marseillaise, qui met Taubira sur le gril pour n'avoir pas remué ses lèvres et qui la contraint à se justifier. Quelles que soient ses raisons, j'admire son courage, en passant. Ah si je pouvais faire de même ! Que de fois ai-je été tenté de rester cloué sur ma chaise plutôt que de me lever et me mêler à ce garde-à-vous collectif, entonnant un «Koullouna» mensonger, infesté de voix hypocrites, qui ont érigé leur «moi» égoïste sur les décombres de ce « nous » patriotique; qui croisent leurs drapeaux partisans, aussitôt sortis, sur le tapis rougi du drapeau national. Je devrais faire preuve de courage et oser le faire, un jour : rester assis au moment de l'hymne national, jusqu'à l'extinction de voix des maîtres chanteurs. Et voir quelle sera la réaction à ma liberté d'expression posturale. Advienne que pourra.
Nos Lecteurs ont la Parole - Ronald BARAKAT
Parlons-en, de cette liberté d’expression
OLJ / le 30 janvier 2015 à 00h00
commentaires (5)
Bravo, tres bien dit
okais nabil
08 h 32, le 02 février 2015