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Moyen Orient et Monde - Marche républicaine

La marée humaine balaie l’onde de choc

Plus de 3,7 millions de personnes ont manifesté hier dans toute la France : du jamais-vu.

Ici, à Paris. Charles Platiau/Reuters

« Je suis Charlie, juif, policier » ; « Liberté, égalité, dessinez, écrivez » ; « Je suis musulman mais pas terroriste »... Ceux qui ont participé hier à la « marche républicaine », dont l'ampleur était « sans précédent » à Paris et dans toute la France, ont conjuré la peur du terrorisme en défilant pour la liberté en hommage aux 17 personnes tuées dans des attentats jihadistes.

En effet, policiers applaudis au pays du célèbre « CRS, SS », chefs d'État qui se mêlent brièvement aux citoyens anonymes, scènes de convivialité dans les métros bondés... la manifestation, qui n'était toujours pas terminée à 20h00, cinq heures après son départ, n'a ressemblé à aucune autre. Au moins 3,7 millions de personnes ont manifesté hier dans la France entière : en province, plus de 2,5 millions de personnes ont été décomptées par les autorités, et à Paris, ils étaient entre 1,2 et 1,6 million, mais le comptage précis a été rendu impossible par l'afflux massif, selon les autorités.

(Reportage : "Je suis...": marée humaine pour noyer la peur du terrorisme)


En début de soirée, la place de la Nation, point d'arrivée des manifestants, était toujours remplie de manifestants, et nombre d'entre eux étaient juchés sur la statue qui trône en son centre. Des lettres lumineuses, qui mercredi soir affichaient « not afraid » (en français « pas peur »), formaient hier le mot « solidarité », repris en chœur par la foule. « Oh la vache », s'exclame une jeune femme qui, soulevée par deux hommes, découvre la foule à perte de vue arrivant des quatre coins de Paris. Car le gouvernement voulait que le rassemblement soit le plus large possible pour exorciser trois jours de terreur entre mercredi et vendredi.

Qui étaient-ils ? Des familles d'abord. Emmanuelle, 44 ans, est venue avec sa mère Suzanne, 76 ans, et ses enfants pour « leur montrer l'importance de la démocratie, qu'ils n'aient pas peur ». « Moi, je suis venue par fraternité : il y a des gens dans notre pays qui ne se sentent pas français, on a une responsabilité collective. Et je ne veux pas laisser n'importe quel pays à mes enfants et mes petits-enfants », ajoute Suzanne.

(Lire aussi : Marche républicaine : choses vues et entendues à Paris)

 

« Je suis musulman, mais pas terroriste »

« Que des Blancs ? » Cette question quasi taboue traverse bien vite le cortège dans un pays qui refuse officiellement le communautarisme religieux et le « comptage ethnique » : les quatre à cinq millions de musulmans qui vivent en France, invités par certaines voix à condamner les crimes commis au nom de l'islam, sont-ils venus en masse ? Mais, faute de réponse précise, le message de tolérance passe sans peine sur les panneaux de la ville de Paris qui affichent : « Je suis juif, je suis musulman, je suis chrétien, je suis athée, je suis français. » Des drapeaux français, mais aussi algériens, tunisiens, américains, israéliens sont déployés ça et là. À l'angle de la place de la République, des jeunes ont brandi une toile : « Je suis musulman, mais pas terroriste. »

Vue aérienne de la Place de la République à Paris. Kenzo Tribouillard/AFP


Du coup, chacun transforme sa propre identité en manifeste pour la tolérance alors qu'un Français sur quatre affiche des origines étrangères : « Je suis marocaine, musulmane, née en France, chez les bonnes sœurs en plus, syndicaliste CGT. J'ai habité en France toute ma vie. C'est le cas de beaucoup de personnes, il faut le montrer. Je suis la France. Vive la liberté ! » proclame ainsi Myriam, la quarantaine, en route avec son compagnon français.

(Lire aussi : Grand gagnant aujourd’hui, Hollande pourrait tout (re)perdre demain)

« Allons enfants de la patrie... », « Nous sommes tous des policiers », « Nous sommes tous Hyper cacher »... : la foule s'est massée à l'épicentre de la douleur, de l'émotion, de la peur, de la colère et de l'espoir depuis les événements. « Je suis là par solidarité avec les familles des victimes, pour la liberté d'expression et la liberté de la presse, a expliqué Zakaria Moumni, 34 ans, un sportif professionnel franco-marocain qui portait un drapeau français. Je suis là pour montrer aux terroristes qu'ils n'ont pas gagné, au contraire, ça a rassemblé les gens de toutes les religions. »

De même, Abdel Labz, un musulman marocain de 61 ans vivant depuis 35 ans en France, s'est déclaré « horrifié par les attentats (...) et de voir la mauvaise image que ça donne au monde entier. Ils sont loin, loin, loin d'être musulmans », a-t-il dit. « Ça ne suffit pas de dire Allah Akbar ».

(Lire aussi : Beyrouth a vibré hier avec Paris, pour la liberté et « Charlie Hebdo »)

De son côté, Fanny Appelbaum, une retraitée juive de 75 ans qui a perdu ses deux sœurs et son frère à Auschwitz, a dit ressentir « beaucoup de peine, pas de haine ». Celle-ci ajoute que « le message aujourd'hui est : plus jamais ça », et que « ce n'est pas une bande de petits voyous qui va faire la loi. Et des voyous, il y en a de toutes les religions ».

« Je n'ai jamais manifesté, mais là... »

Les pleurs et la peur, la colère et l'humour, les tensions derrière l'unanimisme... Des sentiments partagés traversent la plus grosse manifestation de l'histoire de France, avec celle de la Libération de Paris en 1944 ou la liesse populaire après la victoire de l'équipe de France au Mondial en 1998.


Vives émotions lors du rassemblement historique à Paris, le dimanche 11 janvier 2015. Yves Herman/Reuters


« Je suis Charlie, mais derrière Viktor Orban, Ali Bongo, Benjamin Netanyahu, je suis un Charlot. Des nouvelles de Poutine ? » proclame sur une pancarte Vincent, cadre territorial venu de Mantes-la-Jolie en banlieue parisienne, dans une allusion au carré des chefs d'État. « Je n'ai jamais manifesté, mais là... » : un nombre considérable de citoyens ordinaires commencent par cette phrase leur témoignage aux journalistes de l'AFP. Parmi eux, beaucoup de familles avec des enfants. Mais certains n'ont pas manifesté « pour ne pas donner d'importance aux jihadistes », pour « dénoncer la récupération politique », « par peur », ou parce qu'ils n'étaient pas d'accord avec la ligne irrévérencieuse de Charlie Hebdo, qui avait publié à plusieurs reprises ces dernières années des caricatures du prophète.

(Lire aussi : La révolution du crayon est née ; et maintenant ?)

Enfin, l'émotion s'engouffre même ce jour pas comme les autres dans les couloirs du métro parisien, théâtre habituel du repli sur soi et de l'indifférence : « Je suis vraiment heureux de travailler aujourd'hui et de vous emmener à la manifestation républicaine », lance le machiniste d'un train sur la ligne 8 qui suit en partie le tracé du cortège. Dans la rame bondée, les passagers applaudissent.


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« Je suis Charlie, juif, policier » ; « Liberté, égalité, dessinez, écrivez » ; « Je suis musulman mais pas terroriste »... Ceux qui ont participé hier à la « marche républicaine », dont l'ampleur était « sans précédent » à Paris et dans toute la France, ont conjuré la peur du terrorisme en défilant pour la liberté en hommage aux 17 personnes tuées dans des...

commentaires (3)

Bravo à ces Français vrais, et malheur à tous ces autres imbéciles heureux et niais qui n'avaient pas voulu manifester.

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

11 h 17, le 13 janvier 2015

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Commentaires (3)

  • Bravo à ces Français vrais, et malheur à tous ces autres imbéciles heureux et niais qui n'avaient pas voulu manifester.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    11 h 17, le 13 janvier 2015

  • MANIFESTATION GRANDIOSE ! SOLIDARITÉ SUPERBE ! MAIS LE MESSAGE ENVOYÉ À QUI ? AUX TERRORISTES ? ILS S'EN FOUTENT AU CARRÉ DE LA DISTANC ENTRE LE FANATIDSME ET L'HÉBÉTUDE ! FALLAIT NOMMER LES FINANCIERS ET LES POURVOYEURS... ET LEURS ADRESSER DES ULTAMATUMS... ILS SONT LES PÈRES DE CES HYBRIDES !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 29, le 12 janvier 2015

  • Hier dimanche, en France, une foule immense s’est rassemblée au centre de Paris et dans de multiples villes de province pour manifester, en arborant d’innombrables affichettes portant inscrit « Je suis Charlie », ce qui peut s’interpréter comme une réprobation des attentats qui viennent d’être commis, mais aussi comme un soutien à la liberté de la presse. Or certains journaux ou hebdomadaires, comme Le Point notamment, plus circonspects, par crainte sans doute de subir le même sort que Charlie Hebdo, bien qu’en principe les premiers à devoir souhaiter la liberté de la presse, ont décidé tout simplement, pour ne pas courir ce risque, de ne plus faire paraître pour un temps les commentaires de leurs lecteurs, lesquels risqueraient de leur attirer le courroux des islamistes. Ils admirent le courage et la hardiesse de Charlie Hebdo mais, pour eux, avant tout, la prudence est mère de la sûreté.

    Jacques MARAIS

    11 h 57, le 12 janvier 2015

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