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Liban - Sismologie

Au Liban, une montagne poursuit son imperceptible élévation sous l’effet de l’activité sismique

Un programme franco-libanais qui vient de se clôturer par un congrès à l'USJ aura apporté de nouvelles connaissances sur le sous-sol libanais et sa vulnérabilité aux tremblements de terre. Une occasion de faire le bilan de ce qu'on sait dans ce domaine.

L’un des tremblements de terre avait occasionné des dégâts impressionnants dans certaines habitations au Liban-Sud.

Mieux comprendre les sous-sols libanais, les failles et leur activité, la vulnérabilité des différentes régions aux séismes, le niveau de préparation de la population à l'éventualité d'un séisme majeur... Tels étaient certains des objectifs majeurs du programme franco-libanais Libris – un nom qui combine « Liban » et « risques » –, une recherche qui s'est étalée sur plusieurs années combinant les efforts de centres de recherche, de laboratoires, d'universités et de doctorants.
Avec des résultats surprenants à la clé. Christophe Voisin, du Conseil national de la recherche scientifique (CNRS) en France et de l'Institut des sciences de la terre, coordinateur de Libris, affirme à L'Orient-Le Jour que « des avancées ont été effectuées à tous les niveaux ». L'un de ses grands motifs de fierté est le déploiement d'un réseau temporaire de vingt stations qui a enregistré pendant dix-huit mois les mouvements de sol : tremblements de terre, tempêtes, bruits... Ces résultats permettront d'affiner la localisation des séismes au Liban. « L'intérêt, pour le CNRS libanais, c'est d'utiliser la localisation de ces stations temporaires pour établir celle d'un futur réseau permanent », dit-il.


L'un des grands apports de Libris a été l'introduction de technologies nouvelles, avec leur lot de découvertes intéressantes. « Nous avons beaucoup compté sur des technologies de l'espace, explique M. Voisin. Nous disposons d'images satellite étalées sur sept ans. Leur superposition nous permet de reconstruire le mouvement et la déformation du territoire. Nous avons pu mettre en évidence le fait que la montagne libanaise se soulève de quelques millimètres par an. »
Autre découverte cruciale : certaines failles dites secondaires sont très actives et peuvent causer des tremblements de terre assez puissants (de 5 à 6 degrés) capables d'entraîner des destructions dans des agglomérations urbaines, notamment Beyrouth. Elles sont surveillées de près par le CNRS libanais et les données recueillies seront analysées par Christophe Voisin.


Quant aux failles principales, comme Yammouné par exemple, elles semblent bloquées pour l'instant. « Ce que révèlent ces images est très cohérent avec le fait que nous ne constations pas de sismicité au niveau de la faille de Yammouné », poursuit le sismologue. Est-ce une bonne nouvelle ? « Pas nécessairement, parce que le pays continue de se déformer autour des plaques tectoniques, répond-il. Viendra un jour où cette faille ne supportera plus la tension, et elle se mettra à glisser. »
Un autre objectif du projet Libris était d'installer un réseau GPS permanent, ce qui permettra d'analyser la déformation du Liban au cours du temps. « Nous n'avions pas encore pu le faire en raison des retards dans les autorisations administratives, explique-t-il. C'est dorénavant chose faite. Les récepteurs arrivent bientôt et seront installés dans les mois qui viennent. Ce sera l'une des retombées les plus importantes pour le pays. Ce réseau nous permettra de mieux calibrer la déformation du pays, donc de mieux prévoir la force des tremblements de terre à venir. »

 

« Les séismes ? Pas pour nous... »
Parlant de prévention, les Libanais sont-ils conscients du risque sismique ? Il semble que pas, selon des études menées à l'Université Saint-Joseph (USJ) dans le cadre de Libris. « Ce qui est intéressant c'est d'identifier le changement de comportement en fonction des situations, souligne M. Voisin. Nous avons mené des exercices dans cet objectif et avons identifié un besoin de formation très important. Ce que ces études ont révélé, c'est que les jeunes sont plus sensibles au risque sismique, ce qui est encourageant parce que c'est à travers eux que se feront à l'avenir les formations aux comportements en cas de séismes. »
Reste l'aspect crucial de la vulnérabilité physique des villes à d'éventuels tremblements de terre. Quelle serait la résistance des bâtiments existants, anciens ou neufs, à une secousse plus ou moins forte ? Christophe Voisin parle de nouvelles techniques introduites au Liban en vue d'estimer l'ampleur de cette vulnérabilité, comme celle du « bruit ambiant ». « Cette technique vise à détecter le bruit (les ondes) du sol généré par l'activité de la ville – voitures, vent, etc., explique-t-il. Le sous-sol de Beyrouth a une fréquence qui lui est propre, ainsi que les bâtiments. Ce que nous avons pu démontrer, c'est qu'il y a une interaction très forte entre les sols et les bâtiments. »


Ce sujet fait l'objet d'une thèse en cours de la doctorante Christelle Salamé, entre Grenoble et Beyrouth, poursuit M. Voisin, qui considère que les thèses réalisées sont l'une des principales retombées d'un tel projet au Liban. Une autre thèse a été réalisée par Marlène Brax, du CNRS libanais. « Cette thèse, qui a duré sept ans, a montré les risques sismiques à Beyrouth avec des résultats remarquables, nous explique Alexandre Sursock, directeur du Centre de géophysique du CNRS. Pour les deux thèses, il y a beaucoup de résultats à affiner et d'autres qui le sont déjà. À titre d'exemple, la thèse de Marlène Brax fera l'objet d'une note d'application pour les ingénieurs parce qu'elle arrive à caractériser les sols de Beyrouth avec beaucoup de finesse par rapport aux risques sismiques : tel sol amplifie les secousses, tel autre convient à tel type de construction... »
Que faire de ces résultats dans une ville comme Beyrouth, qui est presque entièrement construite ? « Il est vrai que la capitale est largement bâtie, mais de telles études nous permettent de nous situer par rapport aux assurances, aux futurs développements », souligne-t-il.

 

Pour la protection, un investissement optimal
Sur ce même sujet, Pierre-Yves Bard, ingénieur des Ponts-et-Chaussées de l'Institut des sciences de la terre, également rencontré au cours du colloque, confirme l'amélioration dans la connaissance de la susceptibilité du sol à Beyrouth, notamment sa capacité d'amplifier plus ou moins le mouvement sismique selon les zones (en d'autres termes les secousses sont plus ou moins ressenties). « On en comprend mieux les raisons également : cela a à voir avec les caractéristiques mécaniques du sous-sol, dit-il. Une étude sur les niveaux d'aléas contre lesquels il faudrait se protéger, suivant des standards internationaux, nous montre qu'il faut une tendance de révision à la hausse des normes de protection dans les bâtiments de la ville. »
Il reconnaît que dans le cas d'une ville largement construite comme Beyrouth, le problème est de savoir comment se servir de telles informations. « Il est déjà possible de mieux évaluer le comportement des constructions existantes, souligne-t-il. Un long processus est déjà en place, celui de mieux connaître les immeubles et leur comportement sous faible sollicitation. Mais pour cela, on manque d'instrumentation au Liban. Cette lacune doit être comblée dans les années à venir, avec des capteurs dont les prix diminuent actuellement. Un des soucis pour renforcer le bâti existant est d'arriver à un niveau de protection où l'on gagne un maximum avec un investissement employé de façon optimale. Il va falloir des études supplémentaires pour y arriver. »
Pierre-Yves Bard ajoute que plusieurs techniques d'adaptation des bâtiments existants aux normes parasismiques sont employées de par le monde.

 

« L'ensemble de la société est concerné »
Est-ce que Beyrouth est, selon lui, bien préparé à l'éventualité d'un tremblement de terre ? « Je dirais que la situation s'améliore, mais il y a encore à faire, répond-il. Au niveau ingénierie, des codes sont appliqués pour les constructions nouvelles, prenant en considération le risque sismique. Mais c'est l'ensemble de la société et des services qui doivent s'y préparer, car ils peuvent être fortement affectés. »
Lors de séismes, le Liban compte sur le Centre de géophysique pour préciser l'épicentre du séisme et sa magnitude, ainsi qu'une estimation des risques à venir (pas toujours aisée étant donné les limites de cette science). Or le directeur de ce centre a récemment dénoncé le manque de moyens fournis par les autorités à cette institution. Que dit Alexandre Sursock des bénéfices tirés d'un tel programme sur le centre ? « Le manque de matériel, de personnel et de moyens pour maintenir notre niveau de travail sont en passe d'être réglés, après le tollé dans les médias, dit-il. Dans le cadre du programme Libris, nous avons pu, pour une période donnée, déployer des stations supplémentaires. Ce réseau temporaire a apporté beaucoup d'informations qui sont en train d'être exploitées par le programme. Cela nous permettra de modéliser le sous-sol de la montagne libanaise jusqu'à 20 kilomètres de profondeur. »
Notons qu'outre les CNRS français et libanais, le programme Libris a pu profiter des services de quatre laboratoires français : l'Institut des sciences de la terre de Grenoble, l'Institut de physique du globe de Paris (IPG), le Centre d'équipement technique de Nice et le laboratoire Environnements, dynamiques et territoires de la montagne (Edytem), qui a fait une étude sur les grottes avec l'Association libanaise d'études spéléologiques (Ales). La tutelle du programme revenait au CNRS français et à l'Institut de recherche pour le développement (IRD). Le financement est assuré par la France, avec un budget de fonctionnement de 750 000 euros, sans compter les missions financées par l'IRD. Des universités libanaises ont joué un rôle phare, comme l'USJ qui a travaillé sur la cartographie, les bâtiments à enjeux et la perception du risque, l'AUB sur la paléo-sismicité (étude des marques de séismes anciens sur les failles), l'Université libanaise et la « Notre Dame University » sur la vulnérabilité du bâtiment.

 

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