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Culture - Liban

La bibliothèque est-elle uniquement une collection de livres ?

Initié par 98weeks et Vision Forum, « Volume Project » étudie le potentiel des bibliothèques en tant que lieux de création artistique et de dialogue. Neuf jours durant, des artistes locaux et internationaux, des théoriciens, des curateurs et des libraires penseront les bibliothèques comme un espace et un concept, à travers une série de performances, des interventions ad hoc, des talks, des écrits littéraires et des installations. Sara Giannini, commissaire de l'événement, revient sur les origines et les objectifs de « Volume ».

Sara Giannini, commissaire indépendante d’origine italienne basée à Amsterdam.

Commissaire indépendante d'origine italienne, basée à Amsterdam, Sara Giannini prépare sa thèse de doctorat à l'Université de Leiden. Son intérêt pour les bibliothèques a germé après sa première visite à Beyrouth en 2012. « La scène artistique locale avait examiné, durant les dernières années, les questions de l'archivage et de l'écriture historiographique sans référence à la bibliothèque publique, remarque-t-elle. Au cours de mes recherches, presque par hasard, je suis tombée sur une page Wikipedia intitulée : "Liste des bibliothèques détruites". La liste comprend des centaines de bibliothèques détruites au cours des siècles pour des raisons politiques, suite à des conflits armés ou à des catastrophes naturelles. » Cela l'a incitée à s'interroger sur le rôle politique et social des bibliothèques, dans un contexte culturel spécifique. Et surtout « sur la façon dont ce rôle est en train de changer au présent, lorsque le web et des outils comme Wikipedia sont en train de remodeler progressivement notre accès à la connaissance et à l'information » dit-elle.
« Les bibliothèques ont, depuis des siècles, tracé les frontières de la connaissance et de la mémoire historique, en établissant une démarche d'inclusion et d'exclusion. Cependant, elles représentent aussi une utopie sans espace ni temps, un labyrinthe sans fin contenant tout le connu et le connaissable, comme La Bibliothèque de Babel de Jorge Luis Borges », indique la curatrice.
« La bibliothèque, comme nous la connaissons aujourd'hui, est une construction politique, culturelle et sociale. Comme les livres qu'elle accueille, elle est le produit d'une longue série de mutations de la relation entre connaissance et le système politique-économique. La bibliothèque inscrit dans l'histoire et dans ses contingences un désir de savoir qui commence et se développe au-delà de la "forme-livre", qui semble aujourd'hui passer par une crise. D'où la question posée par le "Volume Project" : peut-on imaginer la bibliothèque comme autre chose qu'une collection de livres ? »

 

Q - Comment le projet « Volume » a-t-il été conçu ?
R - Dans un après-midi froid et sombre à Amsterdam, j'ai eu l'occasion de partager ces observations initiales avec l'artiste libanaise Mounira al-Solh et Per Hüttner, artiste et directeur de Vision Forum (l'un des partenaires du projet). Devant une tasse de thé, nous avons entamé une conversation sur le système des bibliothèques publiques de Beyrouth, dans une ville où la Bibliothèque nationale a été détruite durant la guerre civile et dont les collections sauvées sont encore en « réhabilitation » dans la zone duty-free du port, une aire qui est, sur le plan légal, en dehors du territoire national. Aux côtés des bibliothèques universitaires ou des instituts de recherche, les bibliothèques municipales d'Assabil jouent un rôle presque solitaire comme espaces d'agrégation civique autour de l'idée de lecture.
Avec Assabil et 98weeks Research Project (fondé par Marwa et Mirène Arsanios), nous avons exploré la possibilité d'inviter un groupe d'artistes à créer des projets qui prennent comme point de départ la bibliothèque dans ses différentes facettes. Avec 98weeks, nous avons procédé à la sélection des artistes et à l'organisation d'un premier workshop d'une semaine à Beyrouth en novembre 2013.
Au cours du workshop, nous avons ouvert plusieurs fenêtres et soulevé un certain nombre de questions liées à la bibliothèque comme un sujet théorique, politique et contextuel. Entre discussions privées et conférences publiques, visites des trois bibliothèques Assabil, des laboratoires de réhabilitation de la Bibliothèque nationale, de l'espace culturel Dawawine et du Horch de Beyrouth.

 

Quels sont les objectifs de Volume ? À qui s'adresse-t-il ?
À travers des formes de recherche et de production artistique, « Volume » a l'intention de stimuler une réflexion sur la bibliothèque : ce qu'elle est, ce qu'elle peut être dans une ville comme Beyrouth, où l'écriture de l'histoire et la notion de « public » sont des champs politiques et sémantiques en négociation. Bien sûr, Beyrouth est aussi un prisme à travers lequel on observe la bibliothèque tout court, prise dans un système de relations politiques, sociales, culturelles et imaginatives. Nous espérons qu'à travers les deux canaux de 98weeks et Assabil, le projet pourra se tourner vers un public large et varié : les visiteurs des bibliothèques Assabil, la communauté intellectuelle et artistique locale, et tous ceux intéressés par le sujet.

 

Sur quelles bases les participants ont-ils été choisis ?
Les artistes viennent de différents backgrounds et nationalités, et ont été choisis en raison de la diversité des approches et des intérêts.

 

En français, il existe deux mots, bibliothèque et librairie, pour différencier le caractère commercial, public ou académique du lieu. Vous intéressez-vous aux deux ?
Le projet se réfère principalement aux bibliothèques, même si bien sûr il y a des points communs entre les deux. Les librairies et leurs propriétaires (comme d'autres collections privées) sont des points-clés pour la formation de générations de lecteurs et aussi pour la sauvegarde de formes de savoir périphérique. Parfois ils recueillent ce qui n'est pas accepté ou légitimé par les bibliothèques. Par exemple pour le projet Reanimation Library/Mar Mikhael, l'artiste et bibliothécaire américain Andrew Beccone a fait une sélection de livres presque oubliés de petites librairies, qu'il a depuis placés à 98weeks.

 

Pensez-vous que les bibliothèques sont des lieux en voie d'extinction ?
Elles sont certainement des lieux en transformation qu'il faut repenser. Dans l'histoire, les rouleaux de papyrus anciens sont devenus des manuscrits précieux et limités pour ensuite devenir une marchandise de production et de distribution industrielles. Cette marchandise – le livre – se déplace à présent vers la plateforme digitale. Il y a quelques semaines, au Texas, a été inaugurée la première bibliothèque sans livres. Conçue par Santiago Calatrava, la bibliothèque apparaît comme un temple blanc et futuriste, offrant accès à des centaines de milliers de ressources digitales. Si les livres, dans leur forme commerciale de papier, sont en voie d'extinction, la production d'idées ainsi que l'écriture, la lecture, la curiosité et la communication persistent. Bien sûr, l'histoire nous enseigne que la « forme » n'est jamais neutre, mais transmet des comportements et des significations inscrits. Pour cela, nous devons rester vigilants sur l'impact que ces changements technologiques, industriels et commerciaux peuvent avoir sur notre droit à la connaissance. Le collectif RYBN.ORG, comme Marcell Mars, partisan du projet online memoryoftheworld.org, nous proposent des réflexions sur ce sujet.

 

De Volume naîtra le Vologue. C'est quoi au juste ?
Le Vologue est un jeu de mots qui fait référence au « travelouge ». Il s'agit d'une plateforme de publication « live » qu'on a confiée aux écrivains Roger Outa et Lina Mounzer. Tous deux ont été invités à répondre aux événements de « Volume » avec des textes fictionnels ou théoriques qui, sur une base quotidienne, seront imprimés, distribués et également publiés sur le site du projet www.thevolumeproject.com

 

Quel est le destin de Volume après le 20 septembre ?
Après le 20 septembre, en collaboration avec tous les participants, nous allons plancher sur un « Volume » final qui contiendrait non seulement la documentation et un remaniement des projets, mais présentera de nouveaux textes et interventions artistiques.

 

Le programme

Aujourd'hui mercredi 17 septembre, de 16h à 19h, à la bibliothèque de Geitawi. Performance de Aldis Ellertsdottir Hoff intitulée « Smaller Apparition of Continuous Future » .


Demain jeudi 18 septembre, de 16h à 19h, à la bibliothèque de Bachoura. Performance trans-narrative « The Teeth of the Rack, the Eyes of the Librarian » de Pauline Curnier Jardin.


Vendredi 19 septembre, à 98weeeks, à 19h, « Ghadan fi bahat el-maktaba » de Walid Sadek.


Samedi 20 septembre, de 16h à 19h, à 98weeks, table ronde « Inventions et inventaires des bibliothèques publiques libanaises » avec Stephanie Baumann, Antoine Boulad, Jessica Khazrik, Monica Basbous et Maud Stephan-Hachem.

Commissaire indépendante d'origine italienne, basée à Amsterdam, Sara Giannini prépare sa thèse de doctorat à l'Université de Leiden. Son intérêt pour les bibliothèques a germé après sa première visite à Beyrouth en 2012. « La scène artistique locale avait examiné, durant les dernières années, les questions de l'archivage et de l'écriture historiographique sans référence à...

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