Rechercher
Rechercher

Économie - Liban - Enquête

Où en est l’agriculture bio au Liban ?

Au début des années 2000, le marché libanais commençait à s'ouvrir à l'agriculture biologique. Depuis, la filière a connu une croissance plutôt constante malgré les différentes crises sécuritaires qui ont secoué la région. Aujourd'hui, le secteur semble à la recherche d'un second souffle.

Le « bio » libanais, un marché qui peine à se développer. Photo Bigstockphoto.com

Le Codex Alimentarius – un programme commun de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (Food and Agriculture Organization, FAO) définit l'agriculture biologique comme un « mode de gestion de production holistique, qui favorise et met en valeur la santé de l'agro-écosystème, ainsi que la biodiversité, les cycles biologiques et l'activité biologique du sol ».
Il s'agit concrètement d'un mode de production agricole qui se distingue des méthodes traditionnelles et qui est soumis à une réglementation très stricte. Celle-ci exclut notamment toute utilisation de produits issus de la chimie de synthèse, mais tolère l'usage de substances chimiques dites « naturelles ». Les agriculteurs sont donc obligés de se conformer à un cahier des charges précis afin pour obtenir le certificat qui leur permettra d'écouler leurs produits en utilisant le « label bio ».


En l'absence de législation nationale spécifique, les professionnels du secteur au Liban doivent, par conséquent, se soumettre à une labellisation issue de l'Union européenne et attribuée par un organisme certificateur agréé chargé du contrôle de la production des produits biologiques dans le pays. Cette procédure, se divise en deux phases : la « phase de départ » (startup phase) au cours de laquelle l'exploitation entérine sa conversion au terme d'une période de deux ans d'observation environ ; et la « phase de surveillance » (surveillance phase) qui décidera de l'avenir du renouvellement de la licence de l'agriculteur biologique.


Ingénieur agronome de formation, Youssef Khoury est le directeur de l'IMC (Instituto Mediterraneo de Certificazione), situé à Jdeidé. Pour lui, le marché libanais du bio est en « phase de stagnation ». Contacté par L'Orient-Le Jour, il affirme que le nombre d'entreprises investies aujourd'hui dans l'agriculture biologique au Liban « a peu évolué » et gravite autours de 350 structures, en comptant les unités de production (les fermes, environ 250 unités) et celles spécialisées dans la transformation (les usines et ateliers, environ 100 unités). Il ajoute enfin que la fermeture de Libancert (un autre institut spécialisé dans la délivrance du label bio) n'a pas eu d'impact significatif sur son volume d'activité personnel, signe de la « stabilité d'un marché qui souffre de l'absence de politique publique ad hoc pour le soutenir ».


Ce dernier constat est partagé par les différents acteurs du secteur, du producteur au revendeur au détail, en passant par les circuits de distribution. « L'agriculture biologique doit être davantage encouragée par les pouvoirs publics », soutient Mario Massoud, directeur général de Biomass, une entreprise pionnière dans la production et la distribution des produits « bio » au Liban depuis 2007. Ce dernier explique que l'investissement nécessaire pour atteindre le seuil de rentabilité d'une exploitation agricole spécialisée dans les produits issus de l'agriculture biologique est « assez élevé » et que le résultat n'est pas forcément garanti. « Les productions sous label bio de certains produits locaux, comme l'huile d'olive, sont plus faciles à aborder que d'autres, du fait de leur intégration dans l'agriculture traditionnelle de la région. Mais globalement, l'agriculture biologique est une industrie aussi lourde que complexe et qui ne peut s'envisager que sur long terme, peu importe la spécialisation ou la taille de l'exploitation convertie. »


M. Anwar Ghanem dirige la SARL Dora Farm, en activité depuis 2003 et spécialisée dans la culture de plusieurs variétés de pommes, dans le Chouf. Pour lui, « l'agriculture biologique ne peut avoir d'avenir au Liban dans les conditions actuelles » et avance que « près de la moitié des agriculteurs qui s'étaient laissé tenter par l'aventure sont récemment revenus dans le giron de l'agriculture conventionnelle ».

 

Vendre à perte
La faute d'abord à des coûts de productions élevés : M. Ghanem affirme ainsi devoir s'acquitter d'environ 1 900 dollars par an afin de conserver les licences de sa ferme et de son usine de transformation (le prix des licences oscille entre 400 et 1 000 dollars par structure selon le directeur de l'IMC). Il doit également composer avec des engrais « naturels » qui peuvent coûter jusqu'à 5 fois le prix de leurs équivalents traditionnels. Tous ces frais l'obligent à fixer le prix du kilo de pommes issues de sa ferme à environ 2 500 livres.
Mais les difficultés ne s'arrêtent pas là. Toujours selon M. Ghanem, l'état actuel du marché oblige les producteurs à vendre à perte. « Il faut rappeler que les produits issus de l'agriculture biologique ne peuvent pas être stockés aussi longtemps que les produits issus de l'agriculture conventionnelle. Certains distributeurs jouent sur cette particularité pour nous racheter le meilleur de nos produits en dessous du prix coûtant », déplore-t-il (entre 800 et 1 500 livres le kilo en moyenne en ce qui concerne les produits de Dora Farm). Il reproche également aux pays du Golfe, vers lesquels plusieurs agriculteurs libanais ont tenté de se tourner, de pratiquer « une forme de dumping en faveur des produits occidentaux », pour expliquer l'absence actuelle de débouchés dans cette direction.


La question du marché à l'exportation ne se poserait par ailleurs pas si la demande intérieure suffisait à écouler la production locale. Malheureusement, les produits issus de l'agriculture biologique souffrent de leurs prix d'achats, qui peuvent être « 50 à 400 % plus élevés que leurs équivalents issus de l'agriculture conventionnelle, en fonction des denrées », souligne M. Massoud. La majorité des acheteurs se réfèrent davantage au prix comme référent et le secteur se maitient principalement grâce à ses niches de consommateurs initiés qui ont le pouvoir d'achat nécessaire pour optimiser la qualité de leur alimentation. Il faut enfin noter, comme le rappelle Kamal Mouzawak, fondateur de la plate-forme Souk el-Tayyeb engagée dans la promotion d'une agriculture de qualité sur le marché libanais, que le « manque de compréhension du public par rapport à la distinction entre agriculture biologique et traditionnelle est une difficulté de plus à gérer ». Ironie du sort, les consommateurs semblent plus enclins à dépenser plus si le produit est importé que s'il est d'origine locale. Sabine Kassouf, associée gérante de A New Earth, un point de vente alimentaire situé à Beyrouth et spécialisé dans le « bio », confie que « 80 % de ses produits sont importés ». Un constat qui laisse dubitatif.


Pourtant le potentiel est là, semble croire le directeur Mario Massoud, qui mise sur l'ouverture prochaine de nouveaux marchés pour exporter le « bio » libanais vers les pays arabes ou l'Afrique. Pour lui, c'est d'abord une « question d'orientation politique ». En conclusion, plus de dix ans après ses premiers pas, l'agriculture biologique reste un marché prometteur, mais attend toujours le bon coup de pouce institutionnel pour pouvoir pleinement exploiter son potentiel.

 

Lire aussi

À Maghdouché, une histoire d'osmose bio entre poissons, fruits et légumes

Foodblessed : combattre la faim en luttant contre le gaspillage

Malnutrition : le Liban s'en tire... si l'on exclut les réfugiés syriens

La conversion au bio, un long et lent processus

Le Codex Alimentarius – un programme commun de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (Food and Agriculture Organization, FAO) définit l'agriculture biologique comme un « mode de gestion de production holistique, qui favorise et met en valeur la santé de l'agro-écosystème, ainsi que la biodiversité, les cycles biologiques et l'activité biologique du...

commentaires (1)

DANS LES EAUX "CRISTALLINES" (?) DE NOS RIVIÈRES TRANSFORMÉES EN DÉPOTOIRS !

LA LIBRE EXPRESSION

05 h 56, le 28 août 2014

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • DANS LES EAUX "CRISTALLINES" (?) DE NOS RIVIÈRES TRANSFORMÉES EN DÉPOTOIRS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    05 h 56, le 28 août 2014

Retour en haut