C'est donc la guerre. Certes, elle était prévisible et annoncée, mais de nombreuses parties libanaises ont préféré vivre dans le déni, ne se souciant que de marquer de petits points dans le jeu interne, alors que le plan est immense et touche l'ensemble de la région. C'est pourquoi d'ailleurs, au début de sa confrontation avec les groupes takfiristes à Ersal, l'armée s'est retrouvée seule face aux déclarations ambiguës, voire carrément d'appui à ses assaillants, de la part de certains députés du Nord, en principe sous la bannière du courant du Futur.
La preuve que l'armée avait été agressée, c'est concrètement le fait que lors de l'assaut des takfiristes, elle a perdu d'importantes positions autour de Ersal, surplombant à la fois la bourgade et la vaste étendue du jurd qui sépare le Liban de la Syrie, dont la fameuse École technique qu'elle a reprise depuis. Comme le 31 décembre 1999 à Denniyeh, comme à Nahr el-Bared en 2007 ou encore à Abra en 2013, l'armée a été agressée. Et, dans tous les pays du monde qui respectent leurs institutions nationales, lorsqu'une armée est attaquée, son devoir, et pas seulement son droit, est de riposter sans la moindre concession et sans songer à conclure des trêves ou des accords avec ses assaillants, sauf si elle est en difficulté. Ce qui serait un indice catastrophique pour le pays en question.
Au Liban, l'armée est brave et composée d'éléments qui respectent le serment fait à la patrie. C'est pourquoi le commandant en chef de l'armée, le général Jean Kahwagi, a décidé dimanche de faire ce qu'aucun de ses prédécesseurs n'avait fait auparavant en s'adressant directement aux médias dans le cadre d'une conférence de presse. Il s'agissait d'une initiative à la mesure du danger qui guette le pays, danger d'autant plus menaçant que certaines parties politiques et gouvernementales cherchaient, directement ou non, consciemment ou non, à trouver des justifications aux agresseurs et œuvraient pour tenter de trouver des arrangements avec eux.
À travers les médias, c'est à eux et à tous les Libanais que le général Kahwagi s'est adressé, mettant chacun, et notamment la classe politique, face à ses responsabilités. Le commandant en chef de l'armée a aussi dit deux choses très importantes : la première est qu'il s'agit d'une attaque préméditée et soigneusement préparée, qui n'a donc rien à voir avec l'arrestation du Syrien takfiriste Imad Ahmad Jomaa, dont certains groupes aujourd'hui réclament la remise en liberté, croyant pouvoir rééditer la triste affaire de Chadi Mawlaoui, arrêté par la Sûreté générale pour appartenance à une cellule terroriste et relâché par la suite. La seconde est qu'il y a des possibilités pour que cette menace s'étende à d'autres régions du pays. On pense immédiatement à Tripoli, où d'ailleurs le plan de sécurité est en train de connaître des couacs, mais il y a aussi Saïda et le camp de Aïn el-Héloué, ainsi que Beyrouth, notamment autour de Bourj el-Brajneh et peut-être certaines autres régions, puisque le propre des cellules dormantes est justement qu'on ignore leur existence...
La situation est donc grave et il faut désormais clairement choisir son camp, avec ou contre l'armée. C'est un peu le message adressé par le commandant en chef de l'armée à la classe politique, mais aussi à certains ulémas. Ce qui place le courant du Futur à l'heure de vérité. Le chef de ce courant, Saad Hariri, a certes ouvertement déclaré son appui à l'armée, tout en condamnant Daech et les groupes takfiristes, mais en même temps, il n'a pas désavoué les propos de certains de ses députés, comme Khaled Daher, Mouïn Merhebi et Mohammad Kabbara. De même que l'ambassadeur d'Arabie saoudite, au cours des visites d'adieux (il est muté au Pakistan) qu'il a effectuées auprès du président de la Chambre Nabih Berry et du Premier ministre Tammam Salam, qui s'est contenté de déclarer son inquiétude et d'exprimer le souhait que ces événements n'aient pas d'incidence sur l'entente interne. Mais il n'a pas condamné les groupes takfiristes, il n'a pas déclaré son appui à l'armée et il n'a pas non plus évoqué le fameux don saoudien à l'armée libanaise qui attendrait pour se concrétiser l'élection d'un nouveau président, alors que l'armée aurait particulièrement besoin des armes promises en ces temps troublés.
C'est dire combien la situation est complexe et combien le Liban est plus que jamais entraîné dans les tumultes qui secouent la région. Mais ce qui ressort aussi de la déclaration solennelle du commandant en chef de l'armée, c'est que l'armée ne se laissera pas faire et ripostera contre tous ceux qui l'agressent.
Maintenant, ce que n'a pas dit le commandant en chef de l'armée, c'est que le timing choisi par les takfiristes pour l'agression qu'ils préparent depuis quelque temps déjà est lié, selon une source du 8 Mars, aux développements de l'autre côté de la frontière, c'est-à-dire dans la région du Qalamoun. En dépit de la violence des affrontements et de la détermination des groupes takfiristes, Daech et al-Nosra en tête, l'armée syrienne et le Hezbollah sont en train de progresser de façon sytématique. Ils auraient ainsi coupé la jonction entre Zabadani et le Qalamoun, ce qui ne laisserait plus libre aux combattants takfiristes que la voie de Ersal. Or, dans un tel contexte, les combattants ont un besoin désespéré de Ersal qui leur fournit 10 000 paquets de pain, sans parler de la disponibilité de ses hôpitaux où ils doivent faire soigner leurs blessés. Face à l'avancée de l'armée syrienne aidée par les combattants du Hezbollah, ces groupes n'avaient donc d'autre choix que de lancer une offensive contre l'armée, et l'arrestation d'Ahmad Jomaa n'était donc qu'un prétexte. Tout le monde savait d'ailleurs que cette bataille devait un jour avoir lieu. Ce jour est arrivé. Nahr el-Bared, Abra, Ersal, le terrorisme a plusieurs visages, mais le défenseur de la patrie reste le même...
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commentaires (6)
Mais bien sur madame Scarlett et comme vous dites si justement: "Cette guerre était prévisible et annoncée, mais de nombreuses parties libanaises ont préféré vivre dans le déni". Si Ersal était acquis au 8 mars, rien de cela ne serait arrivé. Je pense que le puissant hezb résisatnt par égard au refus de conflit tant attendu par les ennemis de "nos pays", sunnite-chiite, n'interviendra QUE si l'armée et le gouvernement réunis le lui demandent. je pense que notre armée est capable de défenfre ce grand village, malgrè sa trahison.. et espérons vivement et franchement qu'ils ne le lui demandent pas.
Ali Farhat
22 h 30, le 05 août 2014