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Liban - Patrimoine

Après des siècles d’oubli, une Bible en images est rendue à la lumière

Des fresques des XIIe et XIIIe siècles livrées par six églises du Nord-Liban font l'objet d'une exposition de photographies grand format à la Bibliothèque orientale de l'Université Saint-Joseph, amphithéâtre Laila Turqui, à partir du 3 avril.

Deisis, Kfar Helda, Sayyidat el-Kharayeb, XIIIe siècle.

Sur plus d'une vingtaine d'églises grecques-orthodoxes et maronites, remontant à l'époque des croisés, six d'entre elles situées dans les régions de Jbeil, Batroun et Koura ont dévoilé un décor pictural d'une grande valeur historique et artistique : Sayyidat Naya (Kfar Chleiman, Batroun), Mar Charbel (Maad, Jbeil), Sayyidat el-Kharayeb (Kfar Helda, Batroun) et Mar Saba (Eddé, Batroun). Les fresques de Mar Jirjis (Rachkida, Batroun) et de Mar Phocas (Amioun) sont en cours de restauration.


Rongées par l'humidité, masquées par les couches de chaux et de badigeon, des fresques illustrant les légendes de la Bible étaient devenues quasiment invisibles et menaçaient de tomber dans l'oubli. C'était sans compter la mobilisation de l'Association pour la restauration et l'étude des fresques médiévales du Liban (AREFML) qui, dès 2006, s'est attelée à créer les conditions techniques et financières pour le dégagement, la restauration et la documentation de ces précieuses peintures. Regroupant les historiens Levon Nordiguian et Ray Jabre Mouawad, professeurs rattachés à l'USJ, Nada Hélou, spécialiste de l'art chrétien en Orient (UL) et Souad Slim (Balamand), auxquels se sont joints l'économiste Gérard Khatcharian, l'archéologue Maya Boustany, l'industriel Jean-Pierre Toutounji et Lina Yared qui a élaboré le site web, l'AREFML a réussi à éveiller un intérêt tous azimuts chez le clergé, la population, les défenseurs du patrimoine et les mécènes. Car, outre le soutien constant de l'Association Philippe Jabre, il y a également des donateurs qui ont « spontanément libellé un chèque, comme Sélim Eddé, Samir Hanna et Fadi Chamieh, ou encore la FFA Private Bank qui a financé la restauration des fresques de l'église Sayyidat el-Kharayeb à Kfar Helda ; ainsi que d'autres donateurs qui préfèrent garder l'anonymat », signale Ray Jabre Mouawad, cofondatrice de l'AREFML.

 

Russes et Polonais à la tâche
Deux équipes étrangères reproduisent méticuleusement ces témoignages iconographiques dus, pour une bonne part, aux donations des seigneurs croisés des XIIe et XIIIe siècles. L'une est menée par le spécialiste polonais Christofer Chmielewski de l'université de Varsovie, et l'autre par le ponte russe Vladimir Sarabianov. « Ils reviennent tous les ans avec leurs étudiants et connaissent très bien les problèmes techniques des fresques du Liban. » Ils ont pris sous leurs ailes trois stagiaires libanais « très prometteurs », Rafka Nasr, May el-Hajj et le peintre Paul Merhi, que Vladimir Sarabianov qualifie d'« épatant » et de « vrai restaurateur, à la sensibilité artistique remarquable », raconte Ray Jabre Mouawad, qui déplore l'absence d'un cursus de restauration de fresques dans les universités du Liban pour que ces jeunes puissent se perfectionner dans ce domaine.

 

Maîtrise de l'iconographie byzantine
Œuvre de maçons francs ou libanais aux XIIe et XIIIe siècles, les églises livrent un lot de découvertes « importantes tant sur le plan spirituel que culturel », puisqu'elles permettent une recherche poussée des matériaux et techniques utilisées à cette période et l'étude des inscriptions syriaques et grecques, témoins d'un Liban chrétien.
D'autre part, ces reliques d'un lointain passé ont révélé deux styles de peinture lisibles. Un style conforme aux canons de l'iconographie byzantine qui, au niveau des coloris, des dessins et des jeux d'ombres sur les visages, trahit la main d'artistes avertis, dont « nous n'avons pas encore pu cerner l'identité », signale la cofondatrice de l'AREFML. « Ont-ils été formés sur le territoire libanais, influencés par des peintres latins qui accompagnaient les croisés ? Ou alors sont-ils venus de Chypre ou serait-ce les infatigables moines de Byzance qui ont réalisés ces fresques ? »
« Autre fait étonnant, enchaîne l'historienne, ces magnifiques réalisations ont orné des édifices modestes et non pas de grandes basiliques. Les fresques de Sayyidat el-Kharayeb à Kfar Helda ont été exécutées par un maître. D'après le spécialiste polonais Christofer Chmielewski, « la technique, la qualité de la peinture et les couleurs sont remarquables ». Dans le cas de Mar Saba, où la Crucifixion et la Dormition témoignent d'une « maîtrise exceptionnelle de l'iconographie byzantine », Vladimir Sarabianov et Nada Hélou s'accordent à dire que « le peintre pourrait être un artiste de Constantinople venu au Liban après l'occupation de la capitale par les latins en 1204 ». Même la technique complexe et coûteuse de la chrysographie (petites lignes d'or pour rehausser l'habit d'un personnage saint) a été utilisée à Kaftoun...

 

Le syro-local
D'autres fresques affichent un lien étroit avec l'art syriaque-local, « beaucoup plus simple sur le plan technique, mais émouvant et très profond théologiquement. Les visages sont plats et ronds avec de grands yeux noirs qui vous fixent, mais où la rigidité des représentations est une caractéristique voulue et non un manque de savoir-faire », relève Ray Jabre Mouawad, signalant que l'on trouve cette tradition picturale dans Bilad al-Cham, et précisément aux monastère Mar Sarkis à Kara (près de Yabroud ) et Mar Moussa al-Habachi (Saint-Moïse-l'Éthiopien) où les fresques ont été restaurées par père Paolo Dall'Oglio, disparu à Rakka en juillet 2013.

 

Une Crucifixion dans un village chiite
Le village de Rachkida-Batroun, devenu chiite suite à un glissement de population au XIXe siècle, cache aussi ses secrets. En explorant l'église médiévale (XIIe-XIIIe siècles) dédiée à Saint-Georges l'été 2012, Vladimir Sarabianov et son équipe ont réussi à dégager une Crucifixion totalement invisible jusque-là.
Légèrement excentrée du village, l'église abandonnée était restée intacte, mais les champignons et les concrétions opaques recouvraient les dessins, rendant le travail long et compliqué. « Pour nettoyer la même fresque, sur le même mur à juste 20 cm de distance, le spécialiste russe se voyait obliger de passer d'une technique à une autre : soit de gratter avec une petite fraise de dentiste pendant des heures et parfois des journées une petite surface, soit utiliser un produit qui, tout doucement, enlève la concrétion. Le professeur Sarabianov était sincèrement consterné par ces détails jamais mis en évidence auparavant », rapporte Ray Jabre Moawad. Elle ajoute que les excellents contacts entre le cheikh du village et l'évêque maronite de Batroun, Mgr Mounir Khairallah, ont permis à l'équipe de débarquer au village sans problème.
Pour les rendre définitivement à la lumière, la restauration des fresques de Rachkidia et d'Amioun dirigée respectivement par Sarabianov et Chmielewski se poursuivra cet été.

 

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Sur plus d'une vingtaine d'églises grecques-orthodoxes et maronites, remontant à l'époque des croisés, six d'entre elles situées dans les régions de Jbeil, Batroun et Koura ont dévoilé un décor pictural d'une grande valeur historique et artistique : Sayyidat Naya (Kfar Chleiman, Batroun), Mar Charbel (Maad, Jbeil), Sayyidat el-Kharayeb (Kfar Helda, Batroun) et Mar Saba (Eddé, Batroun)....

commentaires (4)

Il fût un temps..

GEDEON Christian

16 h 02, le 01 avril 2014

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Commentaires (4)

  • Il fût un temps..

    GEDEON Christian

    16 h 02, le 01 avril 2014

  • témoins obstinés...

    GEDEON Christian

    14 h 34, le 01 avril 2014

  • IL FAUT METTRE À JOUR TOUS LES TRÉSORS DE TOUTES LES RELIGIONS REPRÉSENTÉES AU LIBAN ET EN FAIRE UN MUSÉE MIXTE ET NATIONAL !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 41, le 01 avril 2014

  • Excellent article de Mme. Makarem !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    06 h 34, le 01 avril 2014

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