« La meilleure des religions est celle qui rend l'homme meilleur. »
Dalaï-lama
Les religions sont venues, d'après René Girard, pour « nous aider à cultiver notre humanité et à nous détacher de notre animalité ». Mais est-ce vraiment le cas dans nos observations quotidiennes où les religions ne sont pas toujours portées à favoriser la paix mais plutôt la guerre ? Malheureusement, ce cycle de violence et de paix relatif aux appartenances religieuses constitue une constante peu reluisante de l'histoire de l'humanité et de la nôtre, qui se poursuit de nos jours.
En même temps, l'espoir d'une « disparition de la religion » inhérent au mouvement de sécularisation moderne s'est retrouvé plutôt face à des phénomènes de « restructuration de la religion » sous des formes multiples et plus ouvertes aux progrès scientifiques et à la liberté personnelle, sans toutefois annihiler le besoin de sens et de spiritualité. Comme l'exprime si bien Mircea Eliade : « Toute existence réelle reproduit l'Odyssée, le chemin vers Ithaque... autant d'épreuves initiatiques qui le ramènent vers le Centre. »
Il est évident que, par leur force d'incitation morale, les religions ont le potentiel de promouvoir la paix comme elles peuvent être utilisées pour justifier la guerre. Quelles seraient alors les pistes de canalisation positive de ces enjeux dans un pays comme le nôtre, multiconfessionnel et ayant connu des violences sanglantes au nom d'une soi-disant religion donnée, au sein d'un État national pluricommunautaire qui privilégie ce religieux au détriment du national, vacillant ? Fausse est cette pseudo-sécurité au sein des prisons communautaires qui favorisent la division au lieu de la nation. D'où puiser alors cette base rationnelle qui conduirait à une issue réaliste, plutôt qu'émotionnelle et paradoxale ?
En fait, nous sommes très souvent témoins d'alliances entre les religions et les groupes politiques, parfois violents, souvent utilisées comme moyen insidieux pour emprunter un masque religieux afin de justifier les luttes profanes intestines. La revendication d'une appartenance religieuse sert alors à prêter une auréole sacrée aux objectifs de ralliement des croyants pour mieux servir des causes particulières, impliquant le pouvoir et l'argent.
Or, il est certain que toute religion qui veut devenir un pont entre l'homme et la société devra nécessairement renoncer à quelque avantage égotique pour permettre de donner une place à l'autre. À ce moment, les religions pourront se retrouver autour d'un dialogue constructif, en faveur des droits de l'homme et de son mieux-être. Mais nécessairement un travail de purification des mémoires et consciences devra se faire en amont, surtout après nos guerres fratricides qui se sont ancrées dans notre mémoire collective. S'en souvenir et les mettre en mots, pour se débarrasser de la charge émotionnelle négative qui les accompagne, redonnerait ainsi un nouveau sens aux événements.
Comment agir ensemble dans le respect des spécificités de chacun ?
Pour le philosophe Emmanuel Levinas, l'acte fondateur de la possibilité de penser c'est le « tu ne tueras pas » de la Bible. C'est en laissant exister le « prochain » que sera possible l'ouverture d'un espace à la parole, tout le reste étant secondaire par rapport au don de la vie qui est un trésor égal chez tous ; tel est le fondement d'une possibilité de créer un espace public plus humain.
Le refus de l'altérité de l'autre attise certainement la violence. Toutefois, les différences à respecter doivent en même temps s'accorder avec le « vivre ensemble », par la contre-violence personnelle, l'ouverture à la pensée d'autrui, la reconnaissance de la valeur de l'autre, la recherche des zones communes...
Ce qui serait donc à faire serait un retour vers le point originel, l'amour de l'humanité, caractéristique du fondement de toute religion, si elle n'a pas été réduite à ses quelques manifestations marginales, mais comprise dans sa complexité. Ainsi, par exemple, même si la radicalisation de la religion qui s'introduit dans le monde de la haine meurtrière perçoit « un terroir de récolte » dans le religieux politique, elle reste pour la majorité une trahison profonde de la religion qu'elle exploite.
D'où les enjeux actuels en termes de responsabilité du sujet pour empêcher que les religions soient des systèmes clos, mobilisés en vue de rendre légitime la violence. De même pour les grandes justifications laïques de la violence dans les sociétés qui ont voulu éliminer toutes les religions, et qui ont produit des résultats similaires de violence extrême. D'où la nécessité de s'interroger sur la cohérence entre l'acte et la foi en Dieu et entre l'acte et la foi en l'homme. Le dénominateur commun se situant en même temps dans la conscience et la volonté de l'homme, dans son ouverture profonde à une transcendance au nom de la dignité constitutive de l'homme (« le sceau du divin » en l'homme) et dans une fraternité active. La réconciliation moderne avec la transcendance agirait en termes de foi vivante plutôt que de loi morte, et en termes d'éthique plutôt que de morale, pour pousser la personne à aller vers les autres et vers Dieu afin de les rencontrer dans un dialogue d'amour où chacun aurait sa place.
Communication non violente dans le cadre du dialogue interreligieux
Mme Rita Ayoub, coordinatrice de la formation au dialogue islamo-chrétien à l'Institut d'études islamo-chrétiennes de l'USJ, nous parle de son nouvel axe de travail : « La communication non violente (CNV) se base sur un travail en profondeur pour effectuer une transformation vers plus d'empathie avec soi et les autres, à travers un parcours de connaissance de soi et de l'autre. » Mme Ayoub nous rappelle l'historique de l'institut qui a été fondé en 1977, en pleine guerre, défiant les clivages religieux et misant sur la paix de laquelle toutes les religions sont porteuses. Et d'ajouter : « Le dialogue interreligieux entre les participants aide ces derniers à prendre conscience de l'existence de l'autre en tant qu'être égal malgré ses différences... et la connaissance mutuelle de la culture religieuse de cet "autre" est nécessaire dans la formation au dialogue. » Il s'agirait donc de se familiariser avec la religion de l'autre au lieu de la diaboliser, de la rejeter ou de l'éviter. Ainsi, la découverte des valeurs universelles inhérentes aux deux religions peut ouvrir un espace commun à partir duquel l'empathie devient possible. En même temps, un discernement serait à réaliser dans l'exploration du sens que l'on accorde aux « mots » selon chaque culture déterminée. Ainsi, le sens de la notion de respect de l'autre selon ses propres termes serait à préciser, plutôt que de parler de respect dans l'absolu, afin d'aboutir à la compréhension de ce qui est réellement à respecter et pour quelles raisons.
Sachant que l'amour et le bien se trouvent à la base de toute religion, il serait alors compréhensible que chacune ait ses modes d'expression spécifiques. Quand le désir profond est de « vouloir vivre ensemble », le chemin de la connaissance des composantes de ce que l'autre manifeste ou vit nous prémunirait contre le refus ou la peur de cet autre, par sa méconnaissance. « Il est essentiel de prendre conscience de ses émotions et sentiments pour pouvoir les exprimer, puis de les relier à des besoins et des demandes claires, facilitant le processus non violent », conclut Rita Ayoub, en notant que la CNV, qui est un chemin innovateur au Liban, pourrait former une des issues possibles dans la préparation d'une paix durable.
Pour mémoire, dans la rubrique "Artisans de la paix de demain"
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Les religions sont venues, d'après René Girard, pour « nous aider à cultiver notre humanité et à nous détacher de notre animalité ». Mais est-ce vraiment le cas dans nos observations quotidiennes où les religions ne sont pas toujours portées à favoriser la paix mais plutôt la guerre ?...
commentaires (4)
IL EST TRÈS SENSIBLE DE LE DIRE... MAIS C'EST ÉVIDENT !
LA LIBRE EXPRESSION
11 h 39, le 18 décembre 2013