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Moyen Orient et Monde - Le billet

Le Duke et Beyrouth

En 1963, le département d'État américain envoyait Duke Ellington et son orchestre pour une tournée au Proche-Orient et en Asie.

En choisissant pour ambassadeur l'élégant Duke Ellington, l'Amérique, théâtre d'un regain de tensions raciales, voulait envoyer à ces régions du monde un message de démocratie et de fraternité... Le choix des escales se fit selon le bon sens diplomatique : les pays représentant un intérêt stratégique pour les États-Unis, d'un point de vue énergétique ou (anti)-soviétique.

De cette tournée naîtra, en 1967, un album qui décrochera un Grammy Award : Far East Suite.

Le Duke et les « mecs » comme il aime à appeler ses musiciens, décollent de New York le 6 septembre. Le 7, ils sont à Damas. Le 9, ils y donnent leur premier concert. Le 10, à 19h, ils entrent, tirés à quatre épingles, dans les jardins de la résidence de l'ambassadeur Ridgway B. Knight et de son épouse, qui ont organisé une petite sauterie en l'honneur des swingueurs. Le lendemain, ils joueront à nouveau.

Duke et ses petits gars sont en transe. « L'odeur des épices et de l'ail, les parfums exotiques... Il y a de merveilleux tissus, tapis orientaux, verreries et plateaux de cuivre, incrustés et gravés... Les mecs deviennent fous en découvrant toutes ces choses. »

Après Damas, Duke Ellington s'envole pour Amman, où il joue avec son band devant 6 000 personnes. Il y découvre la musique du cru, « obsédante, formidable, magnifique et fascinante », et plus spécifiquement la dabké, marquée par « cette petite ruade sur le sixième temps ». Il lance ses « mecs » dans la danse. De cette expérience naîtra Depk.

Il tombe un peu malade aussi. L'orchestre se déplace en avion militaire, côté confort, on a fait mieux.

Mais arrivé à Beyrouth, le Duke se remet rapidement sur pied. Assez pour se rendre à Harissa, qui inspirera le célèbre opus Mount Harissa. Un morceau que Stanley Dance, historien du jazz, présente en ces termes : « Serein et swinguant » sur lequel « son piano et le saxophone ténor de Paul Gonsalves sont si élégamment mis en avant ».

Le 19 septembre, le Duke et ses petits gars débarquent à Kaboul. Une scène improvisée a été montée dans le stade Ghazi, ils s'y produisent devant 5 000 personnes. Après le concert, le Duke se promène dans la ville, toute la nuit, écoutant la musique afghane dans les cafés. « Ils ont leur propre truc ici, et c'est bien. »

D'Afghanistan, il saute en Inde et y tombe bien malade, puis enchaîne avec le Sri Lanka et le Pakistan, avant d'atterrir à Téhéran où il profite d'un concert, le 5 novembre, pour dénoncer la ségrégation raciale qui sévit aux États-Unis.

Le choc, le vrai, c'est à Ispahan qu'il le subit. Subjugué par cette ville et sa beauté, il donnera son nom à un morceau qu'il a déjà composé. Ispahan, « une ville où tout est poésie. Ils vous accueillent avec de la poésie, et vous partez avec de la poésie ».

Après un crochet à Abadan, ville pétrolière, il passe chez le voisin irakien. Il débarque à Bagdad juste à temps pour assister au coup d'État sponsorisé par les Américains. Son analyse de l'affaire : « Ces gars swinguaient vraiment ! »

Après un nouveau passage à Beyrouth, le Duke atterrit à Istanbul et y apprend l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy. Le reste de la tournée, Nicosie, Le Caire, Alexandrie, Athènes... est annulé.

« Cette tournée a été une grande aventure pour nous dans ce qui est vraiment l'autre côté du monde. Parfois j'avais l'impression d'être dans l'envers du monde. L'aspect des paysages est si différent des nôtres, et le contour même de la terre semble si différent. »

***

Extrait des avertissements aux voyageurs émis par le département d'État US ces derniers mois, soit cinquante ans après le voyage du Duke à Beyrouth :

– Le département d'État déconseille aux ressortissants américains tout voyage en Afghanistan. (23/08/2013)

– Le département d'État conseille aux ressortissants américains de bien évaluer les risques d'un voyage en Iran. (21/11/2013)

– Le département d'État continue de déconseiller aux ressortissants américains tout voyage en Syrie et recommande vivement aux citoyens américains présents en Syrie de partir immédiatement. (07/10/2013)

– La menace terroriste reste forte en Jordanie.

– Le département d'État déconseille aux ressortissants américains tout voyage qui ne soit pas indispensable en Irak. (05/09/2013)

– Le département d'État déconseille aux ressortissants américains tout voyage au Liban en raison de la situation sécuritaire. L'ambassade appelle, via Twitter, ses ressortissants à éviter « les hôtels, les malls de type occidental, les événements publics et sociaux où se rassemblent normalement des citoyens américains ». (05/01/2014)

En 1963, le département d'État américain envoyait Duke Ellington et son orchestre pour une tournée au Proche-Orient et en Asie.
En choisissant pour ambassadeur l'élégant Duke Ellington, l'Amérique, théâtre d'un regain de tensions raciales, voulait envoyer à ces régions du monde un message de démocratie et de fraternité... Le choix des escales se fit selon le bon sens diplomatique :...

commentaires (2)

De Kaboul à Bagdad à Beyrouth les temps ont vraiment changé et tout un monde qui a sombré dans un monde effarant .

Sabbagha Antoine

14 h 09, le 10 janvier 2014

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Commentaires (2)

  • De Kaboul à Bagdad à Beyrouth les temps ont vraiment changé et tout un monde qui a sombré dans un monde effarant .

    Sabbagha Antoine

    14 h 09, le 10 janvier 2014

  • Excellente nouvelle dans la mesure où ils vont également à Damas, preuve de courage et d'intelligence outre qu'à leur grandissime talent.

    Ali Farhat

    12 h 17, le 10 janvier 2014

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