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Moyen Orient et Monde - Turquie

Avis de divorce entre Erdogan et la puissante confrérie Gülen

Cinq chefs de la police limogés après les raids anticorruption visant plusieurs personnalités.

Des manifestants anti-AKP se sont rassemblés hier pour demander la démission du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan.Umit Bektas/Reuters

Le spectaculaire coup de filet anticorruption qui a visé mardi l'entourage du Premier ministre islamo-conservateur turc Recep Tayyip Erdogan illustre l'ampleur du conflit qui l'oppose désormais ouvertement à la puissante confrérie musulmane de Fethullah Gülen.


L'opération a créé une onde de choc dans le pays, où l'opposition a exigé la démission du gouvernement islamo-conservateur. Plus de cinquante personnes, selon les médias turcs, se trouvaient toujours en garde à vue hier dans le cadre de cette affaire. Cinq hauts gradés de la police d'Istanbul, dont celui de la direction financière qui a mené le coup de filet lancé mardi à l'aube dans la mégapole turque, ont en outre été démis de leurs fonctions et remplacés pour avoir « outrepassé leurs pouvoirs », a indiqué leur direction. De même, deux nouveaux procureurs ont été nommés pour assister les deux magistrats déjà chargés de superviser l'enquête, « compte tenu de l'importance de l'investigation », a indiqué le bureau du procureur d'Istanbul dans un communiqué.

 

Plus de détails
Ces décisions prises dans l'urgence soulignent l'embarras suscité au plus haut niveau de l'État par cette affaire, qui met en cause de nombreuses personnalités considérées comme proches du gouvernement et de son chef. Parmi les gardés-à-vue figurent le PDG de la banque publique Halkbankasi, Süleyman Aslan, des patrons, des hommes d'affaires ou des membres du Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir, dont le maire du très conservateur district stambouliote de Fatih, Mustafa Demir. Les fils des trois ministres de l'Intérieur Muammer Güler, de l'Économie Zafer Caglayan et de l'Environnement Erdogan Bayraktar étaient également toujours interrogés par la police, achevant de donner un tour très politique au scandale. Tous sont soupçonnés de corruption active, de fraude ou de blanchiment d'argent dans trois enquêtes différentes ouvertes il y a plusieurs mois par le parquet d'Istanbul. Selon les détails qui ont filtré hier dans la presse turque, la première vise un homme d'affaires originaire d'Azerbaïdjan, Reza Zarrab, suspecté d'avoir payé des pots-de-vin pour cacher certaines transactions, notamment des ventes illégales d'or à l'Iran sous embargo international, via la Halkbankasi. Selon l'agence de presse Dogan, la police a saisi 4,5 millions de dollars en liquide au domicile du PDG de cette banque, dissimulés dans des cartons à chaussures. Les deux autres enquêtes concernent le versement de dessous-de-table à des proches du gouvernement en marge de marchés publics immobiliers.


À l'origine de la controverse entre le gouvernement et la confrérie Gülen, il y a également la volonté du gouvernement de fermer les milliers d'établissements de soutien scolaires privés du pays, les « dershane », dont le mouvement tire une part substantielle de ses revenus. Le projet de suppression des « boîtes à bac » a suscité de nombreuses critiques dans les rangs de la majorité. Un député de l'AKP a été sanctionné pour l'avoir critiqué et l'ex-vedette du football turc, Hakan Sukur, lui aussi élu au Parlement, a spectaculairement claqué la porte du parti au pouvoir lundi. Jusque-là, la confrérie constituait l'un des socles de l'AKP, même si, récemment, certains hauts responsables du pouvoir réputés proches de M. Gülen ont publiquement exprimé des opinions divergentes de celles du Premier ministre. Ce fut notamment le cas du président Abdullah Gül et du vice-Premier ministre Bülent Arinç qui ont prôné la modération face à la fronde antigouvernementale qui a secoué le pays en juin dernier, en contraste avec la fermeté sans faille affichée par M. Erdogan.

 

Séparation définitive ?
Dans ce climat, l'opération de mardi a relancé la controverse entre les deux camps. Les proches du prédicateur exilé ont à peine retenu leur satisfaction. « Nous avons tous été surpris de voir que les intouchables pouvaient en fait être touchés », a écrit hier Emre Uslu, considéré comme un porte-voix des « gülenistes », dans son éditorial du journal Taraf. « Personne ne croit que l'AKP et ses proches ont les mains propres », a-t-il ajouté. Dans les colonnes du quotidien Zaman, Hüseyin Gülerce, autre relais de la confrérie, a insisté sur la « déception » provoquée par la suppression annoncée des « dershane ». « S'il y a un problème, et il y en a effectivement un, le responsable n'est pas le Hizmet (ou le service : autre appellation du mouvement Gülen), mais le gouvernement », a-t-il insisté.


Dans la foulée du Premier ministre lui-même mardi, sa garde rapprochée a riposté en dénonçant « les forces de l'ombre », visant directement le camp Gülen. « L'AKP ne tire pas sa force de forces occultes, ni de l'autre côté de l'océan ni d'alliances nauséabondes », a d'ailleurs lancé hier le vice-président du parti au pouvoir, Salih Kapusuz. Aux yeux de certains observateurs, cette querelle menace la suprématie que M. Erdogan exerce sans partage sur la vie politique turque depuis plus de dix ans. Après celles de 2002, l'actuel Premier ministre a remporté haut la main les élections législatives de 2007 et 2011, et son parti paraît largement favori des municipales de mars prochain. Mais pour l'éditorialiste de Zaman, le divorce entre la confrérie et M. Erdogan semble cette fois consommé. « Si quelqu'un me dit que tout va revenir dans l'ordre, je lui répondrais qu'il se trompe », a-t-il jugé.

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