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Déploiement de la « force mixte » dans la banlieue sud : les démocrates chiites entre optimisme prudent et scepticisme

Un soldat libanais dans la banlieue-sud de Beyrouth. Joseph Eid/AFP

L’entrée en vigueur du plan sécuritaire dans la banlieue sud de la capitale, qui marque la prise en charge par une force conjointe FSI-Sûreté générale-armée de la sécurité de cette région, a été accueillie hier avec circonspection dans les milieux démocrates chiites, hostiles à la domination du Hezbollah. Ces derniers oscillent en effet dans leurs réactions à ce plan entre un optimisme prudent et un scepticisme manifeste.


Le journaliste Nadim Qoteich avait déjà sonné la charge contre ce plan lundi soir, dans son show « DNA », sur la Future News, tournant quelque peu en dérision des déclarations jugées peu convaincantes du ministre de l’Intérieur au sein du cabinet chargé de l’expédition des affaires courantes, Marwan Charbel, sur l’importance de cette initiative dans le cadre du processus de rétablissement par l’État de son autorité sur cette véritable forteresse sécuritaire du Hezbollah.


Si l’ancien ministre Ibrahim Mohammad Mahdi Chamseddine a pris le parti de se focaliser sur l’aspect positif de cette démarche, qui « reste le but et la solution » – sous-entendu que l’autosécurité des milices ne devrait être qu’une « exception » –, il ne souhaite pas s’empresser de tirer des conclusions hâtives. Pour l’ancien ministre, il faut laisser au temps le soin d’apporter la preuve que l’État, dont l’absence est flagrante dans cette région depuis au moins deux décennies, est réellement de retour.

 

(Lire aussi: Banlieue sud : Nasrallah appelle à « une coopération maximum »)


Même son de cloche du côté du journaliste Ali Mohammad Hassan el-Amine. Sur le papier, l’initiative de voir les organes officiels de l’État prendre en charge la sécurité dans cette région répond au souhait de chaque citoyen, affirme-t-il.

 

L’optimisme, qui est de rigueur, n’abolit toutefois aucunement les angoisses et n’empêchent pas les questions de surgir. « S’agit-il véritablement d’une autorité sécuritaire ? Sera-t-elle vraiment maîtresse d’elle-même ou bien dépendra-t-elle, au plan politique, de celui qui tire les ficelles dans la région ? » – en l’occurrence le Hezbollah. Pour Ali el-Amine, ces forces de l’ordre seront face à une épreuve particulièrement délicate dans les jours à venir, puisqu’elles auront la mission de restaurer l’image du serviteur de l’État, sérieusement écornée dans cette région. Il évoque ainsi divers incidents qui s’étaient produits dans la région contre des représentants de l’autorité étatique, la dernière en date étant l’agression dont avait été victime le ministre Charbel lui-même après l’attentat de Roueiss. « La question est de savoir s’ils pourront vraiment, aux yeux des citoyens, restaurer le prestige de l’État », estime le journaliste. De plus, il serait bon de savoir si les agents de l’ordre auront les prérogatives nécessaires pour sévir contre les dérives nées de la milice ou protégées par elle... À l’évidence, ces questions nécessiteront un certain laps de temps avant de trouver des réponses empiriques valables.

Un repli motivé
Sur les raisons qui ont conduit le Hezbollah à céder du terrain en faveur de cette force mixte, Ali el-Amine évoque, comme Ibrahim Chamseddine, une multiplication des incidents au cours des dernières semaines entre les habitants de la banlieue sud et les miliciens du Hezbollah. « La situation ne pouvait plus durer. C’est la première fois que le Hezbollah se retrouve directement en confrontation avec la population. C’est la première fois qu’il donne une image milicienne de lui-même aux dépens de son propre public. Cela a créé une réaction de rejet rappelant le comportement des milices durant la guerre. Le Hezbollah ne peut pas se permettre cela à l’heure actuelle », explique Ali el-Amine, qui évoque également la stagnation économique dans cette zone, née du fait que des centaines de barrages avaient été installés par le parti pour contrôler les voitures et réorienter la circulation.

 

(Lire aussi: Ibrahim supervise l’application du plan sécuritaire de la banlieue sud)


Le sociologue Mohammad Hussein Chamseddine confirme cette hypothèse et multiplie les exemples d’opposition de la population civile aux directives des miliciens du Hezbollah. Certaines personnes refusaient de donner aux miliciens du parti des informations jugées superflues, d’autres refusaient de s’arrêter aux barrages ou de laisser les partisans contrôler leurs papiers d’identité. « En fait, l’après-attentat a été encore plus dur pour le Hezbollah que l’attentat lui-même. Les répercussions négatives ont été encore plus désastreuses. Ces mesures de sécurité préventives, qui se sont en plus avérées ne pas servir à grand-chose, se révélaient au final trop coûteuses, car provoquant un rejet des habitants de la zone à l’égard du parti », affirme le sociologue. « Le Hezbollah a pris la décision de passer la main à la force mixte pour sortir de ce bourbier. Cela était devenu une nécessité pour eux », estime Chamseddine. Au final, le Hezbollah a donc reculé devant l’émergence, dans la banlieue sud, d’une opinion publique exaspérée par les dérives de l’autosécurité.

 

(Lire aussi: « Un aveu par le Hezbollah de l’échec de l’autosécurité », souligne le Futur)


La psychologue Mona Fayad, pour qui la démarche de Charbel est en quelque sorte stérile, estime que le Hezbollah a fui de cette manière la confrontation avec la population civile. « Il a voulu préserver son halo de prestige. Il sait que les citoyens préfèrent être protégés par l’État, par ceux qui ont, de droit, la prérogative de les protéger », estime la vice-présidente du Renouveau démocratique, pour qui le « scénario » du déploiement de la force mixte, imaginé par le Hezbollah, est au demeurant peu convaincant. « Et dire que Tripoli attend depuis des lustres que les forces de l’ordre viennent s’y installer, sans parler d’autres régions du pays qui en ont tant besoin. Le ministre Charbel prétend que le déploiement de la force a été possible en vertu d’un accord avec les forces politiques influentes dans la région. Le déploiement par l’État de son autorité sur son territoire n’est-il possible que dans les régions homogénéisées, et en accord avec les forces de facto ? Qu’est-ce que c’est que cette vision de la souveraineté et de la sécurité inféodée au totalitarisme ? » s’indigne-t-elle.

 

(Lire aussi : Al-Manar : La voiture piégée de Roueiss a été préparée à Ersal)


Le journaliste et activiste au sein de la société civile Moustapha Fahs, lui, ne se fait guère d’illusions. À l’instar de son collègue Malek Mroué, il s’inquiète d’une « opération purement cosmétique ». Pour Fahs, « l’État s’est déployé d’une manière formelle, sans plus ». « Il s’agit d’une opération commandée par le Hezbollah. L’autorité, ici, est soumise aux forces de facto. En réalité, l’État est resté cantonné aux abords de la banlieue sud », souligne-t-il.


Une vision largement partagée par un général à la retraite, spécialiste du renseignement , qui compare l’opération Charbel à « du pop-corn ou de la barbe à papa ». « L’objectif est de donner satisfaction à l’opinion publique en général. Mais, en réalité, les forces de l’ordre ont été invitées par le Hezbollah à jouer le rôle de gardiens de municipalité, sinon de gardes-frontières.
Elles n’auront de prérogatives autres que celles qui seront fixées par le Hezbollah car, dans les faits, le pouvoir est toujours entièrement entre les mains du Hezbollah. Non seulement dans la banlieue sud, mais également dans l’ensemble du pays », estime ce général à la retraite.
Pour lui, tout ce ramdam n’a en définitive aucun sens ; le Hezbollah a uniquement voulu alléger son dispositif sécuritaire coûteux, et pas seulement parce qu’il était trop visible et pesant au goût des citoyens, mais aussi et surtout pour pouvoir laisser les tâches ingrates de la sécurité à des « subalternes » sous son contrôle afin de concentrer ses ressources humaines, sécuritaires et militaires à des tâches stratégiques autrement plus importantes...

 

 

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